« Juste la fin du monde » : Une mise en scène originale au Théâtre de l’Atelier

Entrevue 1

Juste la fin du monde, chef-d’œuvre de Jean-Luc Lagarce, est une œuvre phare du théâtre contemporain français, écrite en 1990 et marquée par la disparition prématurée de l’auteur en 1995. Cette nouvelle production au Théâtre de l’Atelier, mise en scène par Johanny Bert, propose une approche originale et intrigante du texte, avec une mise en scène personnelle et audacieuse. Le spectacle est accompagné d’une adaptation du Journal de Lagarce, Il ne m’est jamais rien arrivé, présenté en prélude à la pièce.

Le choix scénographique de Johanny Bert est l’un des aspects les plus frappants de cette production. Loin d’une simple reconstitution réaliste, il propose un décor fascinant, où des objets et meubles suspendus dans le vide – vestiges du passé de Louis, le personnage principal – tournoient au-dessus du plateau tout au long du spectacle. Ces objets du quotidien, qui semblent échappés d’un autre temps, descendent progressivement pendant les scènes, en créant une atmosphère à la fois étrange et poétique. Ils symbolisent le poids du passé qui s’accroche au présent de Louis, venu annoncer sa mort imminente à sa famille après des années d’absence. Cette idée visuelle inhabituelle et originale renforce la sensation d’un monde suspendu, où le temps semble figé.

Outre ces objets flottants, Johanny Bert introduit un autre élément intrigant : le visage du père de Louis, représenté par une marionnette masquée, qui s’éclaire mystérieusement dans l’ombre entre les scènes. Ce choix, à la fois subtil et étrange, ajoute une dimension presque fantomatique à l’univers familial dépeint par Lagarce, renforçant l’idée que la maison de famille est un lieu hanté par les non-dits et les souvenirs douloureux.

Vincent Dedienne incarne Louis avec une sobriété marquée, dans un rôle qui l’éloigne de ses performances habituelles. Son jeu, intime et introspectif, capte la complexité du personnage, mais il semble parfois effacé, ce qui empêche de pleinement saisir la tension émotionnelle qui traverse les échanges familiaux. Le personnage de Louis, qui doit faire face à une famille qu’il a quittée, est en quête de réconciliation, mais ses rapports avec ses proches, bien que porteurs de cruauté et de non-dits, ne semblent pas atteindre la profondeur émotionnelle attendue.

Autour de lui, les autres membres de la famille – interprétés par Christiane Millet, Loïc Riewer, Astrid Bayiha, et Céleste Brunnquell – apportent chacun leur propre intensité au drame familial. En particulier, Loïc Riewer incarne le frère cadet, pris par la rancœur et la frustration, avec une énergie qui permet de mieux saisir l’agitation sous-jacente de cette famille en crise.

Cependant, c’est dans Il ne m’est jamais rien arrivé, le seul-en-scène qui ouvre la soirée, que Vincent Dedienne trouve une pleine mesure de son talent. Ici, le comédien, soutenu par une mise en scène minimaliste et une création visuelle en direct, parvient à saisir avec finesse l’humour, la mélancolie et la lucidité du Journal de Lagarce. Ce moment d’introspection et de vérité, plus intime et précis, touche davantage le public et fait écho à la profondeur du texte de Lagarce.

La mise en scène de Johanny Bert, bien que pleine de touches personnelles et visuellement marquante, ne parvient pas toujours à transmettre toute la puissance émotionnelle du texte de Lagarce. Le spectacle, cependant, demeure une proposition intrigante, avec une scénographie audacieuse et une exploration originale de l’univers de l’auteur. La soirée est une relecture sensible et personnelle du Journal de Lagarce, et le metteur en scène réussit à offrir à Vincent Dedienne un cadre où il peut exprimer plus librement toute la richesse de son jeu.

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