Dans une enquête publiée par Télérama ce lundi 23 septembre 2024, la société de production Bangumi, fondée par Yann Barthès et Laurent Bon, et notamment connue pour son émission phare Quotidien diffusée sur TMC, fait l’objet de graves accusations de souffrance au travail. Plusieurs anciens et actuels salariés témoignent sous couvert d’anonymat, évoquant un cadre de travail toxique, marqué par des pratiques managériales problématiques, des pressions incessantes, des burn-out, et des accusations de harcèlement.
Une gestion des ressources humaines sous tension
Derrière l’image cool et dynamique de Quotidien, l’envers du décor semble bien plus sombre. Un ancien cadre de Bangumi dépeint une entreprise capable de « broyer » ses salariés, malgré des moyens importants. Parmi les équipes les plus touchées, on retrouve celles de la postproduction, composée principalement de monteurs, graphistes et assistants de production, pour la plupart intermittents ou en contrats courts. L’enquête de Télérama rapporte qu’un graphiste, Paul, ayant travaillé pendant quatre ans pour l’émission, a été évincé après avoir pris part à un mouvement de grève des intermittents de l’audiovisuel en décembre 2023. Paul, ainsi que d’autres collègues, avait participé à une courte manifestation réclamant une revalorisation des salaires. Le lendemain, il est convoqué par la responsable de la postproduction et informé que sa collaboration avec l’entreprise était terminée, pour avoir « mis l’émission en danger ». Bien que la direction rejette toute atteinte au droit de grève, prétextant des « pauses cigarette prolongées » et d’autres comportements jugés inappropriés, ce licenciement a laissé des traces dans l’équipe.
Un autre témoignage révèle qu’un monteur expérimenté a été « blacklisté » après avoir posté un message de soutien à Paul sur l’application Telegram. La direction de Bangumi, par la voix d’Antoine Herrera, directeur de la production, assure qu’il n’y a pas de « blacklistage » mais une gestion complexe des plannings et la nécessité de faire tourner les équipes, tout en introduisant de « nouveaux talents ». Cependant, ces incidents ont provoqué le départ de plusieurs autres membres de l’équipe de postproduction, dont certains dénoncent un fossé entre les valeurs affichées par l’entreprise et les pratiques managériales en interne.
Des journalistes sous pression
Les témoignages de souffrance au travail ne se limitent pas aux équipes techniques. Plusieurs journalistes travaillant ou ayant travaillé pour Quotidien font état de pressions constantes et d’un climat tendu. Un ex-journaliste explique qu’à Bangumi, « c’est marche ou crève », résumant l’environnement de travail à celui d’une start-up ultra-compétitive. « Tu montes dans le train ou tu restes à quai », dit-il. Une autre journaliste confie qu’elle partait chaque matin travailler « avec la boule au ventre », jusqu’à ce que cela devienne intenable. Cependant, quitter l’entreprise est perçu par beaucoup comme une « trahison ». Selon Télérama, plusieurs employés ont dû négocier âprement pour obtenir une rupture de contrat anticipée, souvent dans des conditions difficiles.
La direction de Bangumi, et notamment son cofondateur Laurent Bon, réfute ces accusations en soulignant que l’entreprise respecte la législation et qu’aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour. « Nous ne sommes ni une secte ni une famille », affirme Laurent Bon, qui insiste sur le fait que gérer une quotidienne comme Quotidien est une tâche exigeante, et que « tout le monde n’est pas forcément taillé pour ». Il reconnaît néanmoins que l’accompagnement des salariés peut être nécessaire dans certains cas, ou qu’ils doivent être orientés vers d’autres opportunités.
Au-delà de Quotidien, d’autres programmes de Bangumi sont également mis en cause. Reportages Martin Weill, l’émission mensuelle incarnée par le journaliste globe-trotter, est au centre de certaines des accusations les plus graves. Un ancien rédacteur en chef de l’émission est actuellement en arrêt pour burn-out, avec un diagnostic de « syndrome anxiodépressif avec épuisement professionnel », selon un courrier médical révélé par Télérama. Le journaliste en question dénonce des « intimidations » et des « critiques publiques incessantes » de la part de Martin Weill, qu’il qualifie de « relations toxiques ». La direction de Bangumi a ouvert une enquête interne sur ces accusations, mais les faits rapportés par le journaliste n’ont pas été corroborés par les autres salariés entendus dans le cadre de cette enquête. Cependant, le poste de rédacteur en chef des Reportages Martin Weill semble particulièrement difficile, avec cinq rédacteurs différents en l’espace de cinq ans.
Martin Weill, décrit comme un journaliste brillant et extrêmement exigeant, travaille souvent à travers le monde, imposant un rythme intense à ses collaborateurs. Laurent Bon admet que l’accompagnement de Martin Weill nécessite « autant d’éditorial que de management humain », en raison de la nature du travail et des conditions dans lesquelles l’équipe évolue.
Des plaintes devant les prud’hommes
L’enquête révèle également que certains anciens salariés de Bangumi ont décidé de porter leur différend devant les prud’hommes. Parmi eux, on retrouve notamment le duo de chroniqueurs Éric et Quentin, qui avaient quitté Quotidien discrètement en 2019. Les affaires se sont conclues par des négociations « à l’amiable », accompagnées de solides clauses de confidentialité.
Malgré les accusations, Bangumi continue de connaître un succès public indéniable. Pour sa rentrée en septembre 2024, Quotidien a battu son record historique d’audience, attirant plus de deux millions de téléspectateurs en moyenne. Un succès qui contraste avec les tensions internes révélées par les témoignages des employés, soulevant la question de savoir si le prix de cette réussite n’est pas trop lourd à porter pour certains collaborateurs.
Laurent Bon, quant à lui, reste ferme sur ses positions, déclarant que Bangumi est « une boîte normale », capable de gérer les inévitables tensions qui surviennent dans une entreprise de cette taille. Toutefois, les récits de souffrance au travail et les procédures engagées laissent planer une ombre sur cette « success story » de la production télévisuelle française.