Véritable symbole de l’ascension sociale, Adile Farquane a tracé son chemin jusqu’aux plus grands médias français, porté par une seule force : la niaque. Dans cette interview exclusive accordée à Entrevue, il nous livre ses réflexions sur la méritocratie et distille des conseils précieux aux jeunes aspirants journalistes. Aujourd’hui figure emblématique de Beur FM, il revient sur 30 ans de rencontres avec les plus grands de ce monde et nous raconte comment il a naïvement refusé la présentation du célèbre jeu d’aventure Koh-Lanta.
Entrevue : Vous êtes un pur produit de la méritocratie républicaine et de l’ascenseur social, vous avez grandi dans les quartiers populaires de la banlieue parisienne, vous avez intégré TF1 très jeune, comment passe-t-on de la cité à TF1 ?
Adile Farquane : Il y a un seul mot qui m’a animé pendant toute ma jeunesse et qui m’a fait passer de mon quartier du Val-Fourré de Mantes-la-Jolie à TF1 : la niaque. Lorsque j’étais gamin, j’étais frappé par deux choses : l’injustice et les inégalités. Depuis la sixième j’ai la niaque et cette soif d’aller loin. J’avais deux possibilités : être journaliste ou avocat. Heureusement que j’ai choisi journaliste, car notre rôle est d’interpeller, d’informer, de dénoncer, de commenter mais surtout d’aller glaner des infos. Lorsque l’on parle d’inégalité et d’injustice, le journaliste ne peut être que concerné par ces deux mots.
L’ascenseur social n’est-il pas en panne aujourd’hui ?
Mon ami d’enfance Aziz Senni a écrit tout un livre sur cette question : « L’ascenseur social est en panne, j’ai pris les escaliers ». Je crois que lorsque l’on fait le bilan de ces 40 années de politique sociale et de la ville, l’ascenseur social est hélas toujours en panne.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune issu des quartiers populaires ou de la France rurale, qui souhaite devenir journaliste ?
Le conseil primordial est de ne jamais lâcher ses rêves, surtout ne rien lâcher. Vous avez un rêve, un objectif, une idée, fixez-vous un cap, ça ne va pas être tous les jours faciles, il y aura des difficultés. Comme disait Mohamed Ali, un combat ça se gagne. Et pour aller chercher la victoire il faut travailler durement.
Quel est votre plus beau souvenir de journaliste en 30 ans de carrière ?
Je n’ai que des beaux souvenirs, il n’y en a pas un en particulier. Après mes études de journalisme, quand je repense à mes années TF1, je ne vois que du positif. TF1 m’a forgé et formé, c’est une merveilleuse école, Radio France aussi étant une magnifique aventure. Mais je n’ai pas de souvenir en particulier, être journaliste est une vocation et quel que soit le média, on le fait avec amour et passion.
Vous aimez mener des interviews, vous en avez mené beaucoup, quelle a été votre meilleure interview ?
J’en ai deux : Pierre Bourdieu et Nelson Mandela. Au début des années 90, j’étais à Radio Droit de cité et Nelson Mandela était de passage à l’UNESCO à Paris, j’étais paniqué à l’idée de rencontrer ce grand monsieur qu’était Nelson Mandela. Arrivé devant lui, j’étais complètement tétanisé par le personnage et par poser la première question, ça se ressentait et il l’avait senti. Il m’avait dit : « Posez-vous, ce n’est que moi. Posez votre question et prenez le temps de la poser. » Il m’avait mis à l’aise et l’interview s’est très bien déroulée. Une autre de mes fierté est d’avoir interviewé quatre présidents français : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Francois Hollande et Emmanuel Macron. L’exercice de l’interview est en moi, c’est mon ADN, j’aime aller chercher chez l’autre quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs, et j’y arrive. La richesse de l’interview est exceptionnelle car on va découvrir l’autre.
Vous avez fait de la télévision, de la radio et de la presse écrite, que préférez-vous ?
J’ai commencé par la radio au collège André Chénier de Mantes-la-Jolie avec un professeur d’histoire-géo formidable, Monsieur Yann Angneroh, dans un club radio. C’est à ce moment-là que la passion de la radio m’a pris. La radio c’est magique car vous parlez à l’auditeur. Donc c’est tout naturellement que je vous réponds : la radio. J’aime également faire de la télé, mais la radio est ancrée en moi.
Justement en parlant de télévision, je crois que vous avez failli présenter Koh-Lanta, pouvez-vous raconter cette anecdote ?
Oui c’est vrai. Etienne Mougeotte qui était le patron de TF1 était mon mentor. J’étais à la fin des années 90, journaliste sur Téléfoot à la grande époque de Zidane, du Mondial 98… Un matin, Etienne Mougeotte me convoque dans son beau bureau dans la tour TF1, il me tutoie et je le vouvoie et me dit : « Adile, je suis en train de tester quelques journalistes et je pense à toi pour un jeu d’aventure. Ma responsabilité est de faire émerger de nouveaux visages et de colorer l’antenne, est-ce que ça t’intéresse ? » Et là, très naïvement, j’avais la vingtaine, je venais de terminer mes études, je me faisais une grande idée du journalisme. Je lui ai répondu : « Monsieur Mougeotte, je suis journaliste moi, je ne suis pas un animateur. Je préfère rester journaliste, je ne me vois pas animer de jeux en plus d’aventure. » Quelques mois plus tard, je me suis rendu compte que j’avais refusé la présentation de Koh-Lanta, que personne ne connaissait à l’époque, c’était totalement inconnu. Je m’en voulais un peu mais ce n’est pas grave, il ne faut pas avoir de regrets, c’est la vie, c’est ainsi.
Vous présentez tous les soirs l’émission d’actualité Les Zinformés sur Beur FM, quelle est la singularité de votre émission ?
Quand on fait un talk-show et de l’infotainment, il faut un ADN, une mécanique qui vous est propre pour incarner une tranche. La réussite d’un programme repose aussi en partie sur la personnalité du journaliste.
Comment définissez-vous Beur FM, c’est une radio généraliste, communautaire… ?
C’est tout simplement une radio thématique qui s’adresse aux quartiers populaires, à la diversité. Cette radio thématique est aujourd’hui ouverte, les journalistes sont issus de tous bords et ne sont pas forcément « beur ». Beur FM est à l’image de la France d’aujourd’hui.
Souvent à la fin de vos émissions vous dites « on ne lâche rien », pourquoi ?
C’est une phrase qui m’accompagne depuis de nombreuses années, c’est une manière de dire aux auditeurs que la vie est laborieuse mais qu’il ne faut jamais rien lâcher, c’est pour leur donner de la force.
Qui sont vos inspirations ?
Il y a eu Rachid Arhab à l’époque, quand j’étais plus jeune, c’était le seul qui me ressemblait et je disais souvent que plus tard je ferai comme lui. J’étais également fan de Bernard Tapie, il incarnait le succès story à la française. Mais il y a aussi des personnes au parcours dingues : Nelson Mandela, Zinedine Zidane, Pierre Bourdieu, Martin Luther King Mais il y a également mes parents qui ont joué un rôle fondamental.
Comment voyez-vous l’évolution du monde des médias et du traitement de l’information ?
Je ne suis pas un nostalgique, qui va vous dire que c’était mieux avant. Les médias ont évolué mais c’est dans la continuité normale. Il y a 30 ans, nous avions six chaînes, il y a ensuite eu la TNT, etc. Quand la société bouge, les médias bougent. Nous vivons des cycles, aujourd’hui les réseaux sociaux se sont emparés de l’information. Mais la priorité est la véracité de l’information, il faut y veiller car les médias sont le premier pouvoir. Demain, les médias composeront certainement avec l’intelligence artificielle et la manière dont nous devrons la traiter.
Propos recueillis par Radouan Kourak