Au cours des dernières décennies, les Canaries ont vu leur population augmenter et le tourisme s’intensifier, avec des millions de visiteurs attirés par les plages volcaniques et le climat doux toute l’année. Cependant, cette croissance rapide s’est faite au détriment d’une planification adéquate pour gérer les eaux usées. La majorité de ces effluents, souvent chargés de polluants organiques et chimiques, est rejetée en mer sans traitement préalable ou avec un traitement minimal, parfois via des canalisations clandestines. Ce phénomène menace non seulement les écosystèmes marins fragiles, mais aussi la santé des résidents et des touristes.
Sur les quelque 400 points de rejet identifiés à travers cet archipel espagnol, seuls environ 26 % disposent d’une autorisation officielle. Cette situation alarmante est le résultat d’une explosion démographique et touristique qui a transformé ce havre de paix en une zone sous pression, sans que les infrastructures nécessaires n’aient suivi le rythme.
Les eaux marines des Canaries, naturellement pauvres en nutriments (oligotrophiques), sont particulièrement vulnérables à ces rejets. L’apport excessif de matières organiques peut entraîner une eutrophisation, un processus où la prolifération d’algues prive l’eau d’oxygène, mettant en péril la biodiversité marine, comme les herbiers de posidonie ou les populations de poissons. À cela s’ajoutent des risques sanitaires : les eaux non traitées peuvent transporter des bactéries pathogènes, exposant baigneurs et consommateurs de produits de la mer à des infections.
Face à cette crise, les autorités régionales ont entrepris de moderniser les infrastructures d’assainissement, avec des projets de stations d’épuration à la pointe de la technologie. Cependant, le retard accumulé est considérable. En 2023, des rapports ont souligné que seules 30 % des eaux usées produites dans l’archipel étaient correctement traitées, un chiffre bien en deçà des normes européennes. À Tenerife, par exemple, des stations saturées ou vétustes peinent à absorber la demande, tandis que des zones comme Gran Canaria signalent des déversements illégaux récurrents.
Pour aggraver la situation, la dépendance des Canaries à l’eau douce, souvent produite par dessalement, complique la gestion des ressources hydriques dans un contexte insulaire où chaque goutte compte. Les experts estiment que la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), une pratique encore peu développée localement, pourrait alléger la pression sur les ressources tout en réduisant les rejets en mer. Des initiatives similaires ont déjà porté leurs fruits dans d’autres régions, comme à Dakar, où les eaux traitées irriguent des cultures et produisent du biogaz.
Malgré ces efforts, la route reste longue. Les habitants exigent des solutions rapides, tandis que les écologistes appellent à une régulation stricte du tourisme et à une sensibilisation accrue des visiteurs. Car dans ce paradis Atlantique, le cauchemar des eaux usées risque de ternir durablement l’image d’un joyau naturel, si des mesures radicales ne sont pas prises.