Le nouveau film de Woody Allen, Coup de chance, est en salles depuis le 27 septembre. À 87 ans, le réalisateur ne veut pas entendre parler de retraite, et ce malgré les polémiques. Accusé en 1997 par son ex-femme ( Mia Farrow ) d’abus sexuel sur sa fille adoptive Dylan Farrow ( mais toujours blanchi ), il est victime de nouvelles accusations en 2014, reprises par #MeToo en 2018, qui lui ont valu d’être lâché par Hollywood. Interview.
Entrevue : Suite aux affaires et polémiques, une partie d’Hollywood t’a tourné le dos. C’est difficile à vivre ?
Woody Allen : L’éventualité de ne plus jamais faire de film ne m’a jamais inquiété, et ça ne m’inquiète toujours pas. Si je ne pouvais plus tourner, je serais toujours ravi d’écrire des pièces de théâtre, des livres. J’ai largement assez d’argent pour tout arrêter. Je ne suis pas obligé de faire des films.
Tu es réputé pour être un acharné du travail. Tu n’as jamais eu peur de te tuer au boulot ?
Dans mon métier, le travail est un monde irréel, et moi, je me sens mal à l’aise dans le monde réel.. Et puis, il faut garder la main. C’est comme avec ma clarinette : je suis obligé d’en jouer tout le temps pour espérer garder mon niveau… médiocre !
Il t’arrive de dormir un peu ?
Depuis que j’ai raconté que, tant qu’à mourir, j’aimerais que ce soit en plein sommeil, j’hésite à aller me coucher !
Finir tes jours en France, tu y as pensé ?
Il est déjà trop tard ! ( Rires ) Mon problème, c’est qu’aux États-Unis, être à la fois juif, new-yorkais, intello et gauchiste, ça fait quatre raisons de me faire lyncher.
Des pseudo-intellos, tu as dû en fréquenter pas mal, non ?
Beaucoup ! J’ai même perdu un bout de temps avec les intellos ! Tous ces gens qui se mentent sur leur propre statut d’artiste en se gargarisant avec des idées de caricature ! On leur parle de Van Gogh et tout ce qu’ils retiennent, c’est ses souffrances, ses dettes et le fait que ses œuvres furent rejetées ! Alors qu’eux, dès qu’ils publient une crotte que personne n’achète, ils se prennent pour les créateurs du moule !
Quand t’es venu ton goût pour la culture ?
À la base, je suis un type d’une culture assez limitée. Mais au lycée, j’ai découvert qu’il était nécessaire d’en avoir un minimum, car il y avait des tas de filles superbes qui ne s’intéressaient qu’aux mecs cultivés. Alors, pour assurer, je m’y suis mis. Pourtant, à la maison, la tendance n’était pas à la culture. Mes parents ne m’ont jamais emmené ni au théâtre ni dans un musée.
Ce sont pourtant eux qui t’ont fait découvrir le jazz, non ?
Pas du tout ! ( Rires ) En fait, ma mère me répétait : « Je vais finir par attraper mal au crâne si tu continue à jouer de la flûte. » C’est moi qui, tout seul, à 15 ans, en m’achetant une radio, ai découvert le jazz de la Nouvelle-Orléans.
Et ton père ?
Mon père, lui, ne s’intéressait qu’aux sports à la télé. Il lisait peu… Et j’étais comme lui, à l’époque, du genre une bière à la main devant la télé ! J’étais un enfant de la rue, je jouais au foot et au base-ball, et j’étais plutôt athlétique. À l’école, j’avais un niveau consternant. C’est grâce à mes lunettes qu’on m’a pris pour un intello ! Heureusement, le cinéma a sauvé ma vie !
Et aujourd’hui, tu es considéré comme un génie du septième art !
C’est gentil, mais je n’ai aucun mérite. Comme je l’ai écrit un jour : « Entre le génie et moi, il n’y a qu’un obstacle : moi ! » Si j’ai réussi mes films, c’est parce que j’ai raté la plupart de mes mariages ! Il a bien fallu que je m’épanouisse quelque part !
L’art de séduire est omniprésent dans ton œuvre. Quels sont tes rapports avec la séduction ?
Des rapports pénibles ! ( Rires )Enfant, j’ai été élevé entouré de ma mère, de ma sœur, des sept sœurs de la mère et de mes cousines ! J’étais donc très chouchouté.
Tu dis que tu as des rapports pénibles avec la séduction, mais ça ne t’a pas empêché de sortir avec de jolies femmes…
Parce que je mise tout sur l’humour. J’avais plus de mal avec les femmes limitées intellectuellement. Mais je m’en fichais un peu. Ce n’est pas avec un cerveau que les hommes aiment coucher !
Tu as déclaré un jour que le sexe était ton instrument préféré…
C’est vrai. Chez moi, de fréquentes relations sexuelles libèrent un flux créatif extraordinaire.
Tu as un type de femmes ?
Avant, oui. Jeune, j’étais attiré par les folles, les hystériques. Toutes mes copines avaient des cicatrices aux poignets. Mais à la longue, ça m’a fatigué.
Dans tes premiers films, les héros étaient des moralistes. Puis petit à petit, ils ont de plus en plus ressemblé à des escrocs. Vieillir, ça t’a fait changer ?
Moraliser a toujours été l’une de mes faiblesses, notamment dans mes films. Mais je me dis que Bergman et Tolstoï ont le même défaut ! Du coup, j’invente de plus en plus des moralistes de pacotille, chiants et prétentieux.
À propos de morale, que voudrais-tu dire aux gens qui affirment qu’ils ne veulent plus voir tes films à cause des polémiques ?
Les gens ne connaissent absolument aucun détail des affaires. Tout ce qu’ils savent, ils l’ont lu dans la presse à sensation. Et même si tout ce qu’ils lisaient était exact, ils n’ont aucun droit de porter un quelconque jugement sur ma vie privée.
D’après toi, qu’est-ce que les gens pensent de tout ça ?
Je ne sais pas. Je crois qu’ils pensent ce qu’ils ont lu dans la presse à scandale.
Et selon toi, ça ne reflète pas la réalité ?
Ils devraient me considérer comme un père merveilleux qui a été accusé, vicieusement à tort, d’attentat à la pudeur sur un enfant, qui a été disculpé, mais à qui on a interdit de voir ses enfants. Je me suis retrouvé dans un tribunal où, l’un après l’autre, les témoins, que ce soit la nurse, les pédiatres des enfants et le psychiatre désigné par la cour, tous ont déclaré : « Cet homme n’a pas commis d’attentat à la pudeur sur sa fille, c’est un père merveilleux. » Pourtant, le public ne voit pas ça…
Tu as ressenti de l’injustice ?
Rien au monde ne peut justifier qu’on arrache brutalement, arbitrairement et pour toujours, une petite fille de 7 ans à son père. Qu’elle se réveille un matin, l’embrasse pour lui dire au revoir, et qu’elle ne le revoie plus jamais. Même les criminels peuvent voir leur enfant en prison. Ce qui m’est arrivé est incroyable.
Comment as-tu réussi à t’échapper de tout ça ?
Ça n’a pas été si difficile que ça. J’évite les informations, je regarde le sport…. Il m’a fallu soigneusement slalomer mais j’y suis arrivé. Tout ça n’aurait pas pu arriver sans une énorme complicité organisée.
La complicité de qui ?
La complicité des responsables de l’enquête, des journalistes, du système judiciaire. Je ne veux pas parler de complot, mais l’affaire a bénéficié des encouragements de ces gens. C’était tellement ridicule, idiot, qu’à ce moment-là, quand le premier scandale a éclaté dans les années 1990, je me suis juste dit : « Tout ce qui compte, c’est les enfants, peu importe ce qui arrivera, tant pis pour moi et le tort que ça pourra faire à ma carrière. Je vais simplement me battre pour mes gamins, peu importe ce qu’il me faudra faire. » Alors, j’ai fait tout ce que j’ai pu. J’ai dépensé des millions de ma fortune personnelle. Tout l’argent qui devait revenir à mes enfants a été englouti par les honoraires des avocats. Je me suis battu jour et nuit. J’ai engagé des détectives privés. J’ai fait mon maximum.
Aujourd’hui encore, tu crois que la différence d’âge dans un couple est mal perçue par les gens ?
J’ai été marié deux fois à des femmes de trois ans mes cadettes, et je suis sorti avec des millions de femmes… Diane Keaton, Mia Farrow… Et 99,99% d’entre elles n’étaient pas plus jeunes que moi. En admettant que je sois sorti avec 50 femmes, disons 90, je ne connais pas le nombre exact, il se peut que, de temps en temps, l’une d’entre elle ait été jeune, mais pas plus que la normale pour un type qui sort avec des nanas.
Comment Soon-Yi Previn ( sa femme actuelle, Ndlr. ) a-t-elle supporté toutes les affaires ?
Elle est plus solide que moi. Elle peut se promener en ville en toute tranquillité, personne ne l’importune. Il arrive qu’un paparazzi la photographie, mais ça n’est pas très fréquent. Elle s’est très bien comportée pendant toute l’affaire. Je me suis fait éreinté parce que je suis vieux et connu.
As-tu quand même tiré du positif de tout cela ?
Ça m’a permis de me dépasser. À un moment donné, j’ai dû moi-même passer à la télévision et parler de ma vie privée, et même de ma vie sexuelle, alors que je déteste ça. Autrefois, je pensais que j’aurais préféré mourir plutôt que de subir ça. Mais je l’ai fait, j’en ai été capable, et je ne me suis pas retrouvé muet ou aveugle pour autant. Nos pires craintes sont bien plus terribles lorsqu’on les anticipe qu’en réalité.
C’est vrai qu’on ne te voit quasiment jamais dans les talk-shows. Pourquoi ?
Les talk-shows sont pour moi insurmontables. Je suis trop timide. C’est pour ça que je préfère répondre à des interviews « papier » car j’aime rencontrer les gens en tête-à-tête…
Qu’as-tu appris sur toi ?
Ce que j’ai appris ? Que je suis plus solide que je ne le croyais.
Et qu’as-tu appris de la vie ?
J’ai appris à avoir moins peur…