À quelques jours de l’annonce du prix Nobel de littérature 2024, le débat sur la diversité des lauréats refait surface. Le professeur William Marx, titulaire de la chaire de Littératures comparées au Collège de France, propose de bousculer les traditions en récompensant chaque année deux à trois auteurs au lieu d’un seul, afin de promouvoir une plus grande diversité linguistique et géographique. Cette suggestion n’a pas laissé le comité Nobel indifférent, bien que des résistances demeurent.
Des inégalités persistantes
Depuis sa création en 1901, le prix Nobel de littérature a souvent été critiqué pour son manque de diversité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : seulement 14 % des lauréats sont des femmes, et à peine 10 % sont issus du « Sud global ». Des auteurs comme Naguib Mahfouz, unique lauréat de langue arabe (1988), ou Rabindranath Tagore, seul écrivain indien récompensé (1913), apparaissent comme des exceptions dans un palmarès dominé par des auteurs occidentaux, principalement anglophones et francophones. Face à ce constat, William Marx a profité de sa consultation par le comité Nobel en 2022 pour proposer d’attribuer le prix à plusieurs auteurs chaque année, comme c’est le cas dans les disciplines scientifiques. Selon lui, cette initiative permettrait de mieux refléter la diversité du paysage littéraire mondial.
La réponse du comité Nobel
Interrogé par Télérama sur cette proposition, Anders Olsson, président du comité Nobel, reconnaît les difficultés à diversifier le palmarès. « Nous sommes conscients que nous avons un grand problème linguistique », admet-il. La nécessité de lire les œuvres des candidats dans leur langue d’origine crée un biais en faveur des langues dominantes comme l’anglais, le français et l’allemand. Malgré des efforts pour consulter des experts en littératures africaines ou asiatiques, la maîtrise limitée des langues non-européennes reste un frein majeur à l’ouverture du Nobel à d’autres horizons littéraires.
Quant à la suggestion de récompenser plusieurs auteurs, Anders Olsson se montre prudent. Bien que le prix ait été décerné conjointement à deux lauréats à quatre reprises dans le passé, cette option n’a jamais été perçue positivement par l’Académie suédoise. « Il est préférable que le prix soit attribué à un seul écrivain chaque année », estime-t-il, en raison du risque de voir ce choix comme un compromis diluant la valeur du prix.
Les paris et les perspectives pour 2024
L’annonce imminente du lauréat suscite, comme chaque année, de nombreuses spéculations. L’autrice chinoise Can Xue, avec son style avant-gardiste souvent comparé à celui de Kafka, est fréquemment citée parmi les favoris. Des écrivains non occidentaux, comme le Kényan Ngugi wa Thiong’o, le Hongrois László Krasznahorkai ou encore l’Américano-antiguaise Jamaica Kincaid, sont également pressentis. Ces spéculations reflètent le souhait de voir enfin des écrivains issus de régions linguistiques sous-représentées obtenir cette prestigieuse distinction.
Le comité Nobel a en effet montré sa capacité à surprendre par le passé, comme en 2021 avec le choix du romancier Abdulrazak Gurnah, originaire de Zanzibar et écrivant en anglais, ou en 2012 avec l’attribution du prix à Mo Yan, auteur chinois. Cependant, la tendance majoritaire reste ancrée dans la récompense d’écrivains de langue européenne. La question se pose alors : l’Académie saura-t-elle répondre à l’appel à une plus grande diversité lancé par William Marx et d’autres critiques ?
L’annonce du lauréat 2024, prévue ce jeudi 10 octobre à 11h00 GMT, lèvera le suspense. Si l’Académie suédoise souhaite vraiment diversifier son palmarès, ce prix pourrait bien être attribué à une voix plus atypique et moins connue du grand public occidental, contribuant ainsi à démocratiser des œuvres littéraires encore trop peu accessibles.