Trump veut rivaliser avec la Chine dans la « bataille » de la souveraineté maritime

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Le président américain Donald Trump, à l’instar de la Chine, cherche à s’emparer de plusieurs points d’accès maritimes, estimant que le fait de posséder la meilleure marine du monde ne suffit plus à garantir la supériorité des États-Unis. Il ambitionne ainsi de prendre le contrôle du canal de Panama et du Groenland.

S’exprimant devant le Congrès cette semaine, Trump a déclaré : « Nous allons relancer l’industrie de la construction navale américaine, tant commerciale que militaire. »

Étant donné que le canal de Panama est une artère vitale pour l’économie américaine, il a affirmé vouloir en reprendre la gestion, accusant la Chine d’y exercer une domination. Il a également exprimé son souhait d’annexer, « d’une manière ou d’une autre », le Groenland, île stratégique et la plus grande de l’Arctique. Il a aussi confirmé son intention d’imposer des taxes aux navires chinois, de plus en plus nombreux à accoster dans les ports américains.

Malgré le tumulte médiatique et diplomatique, la concrétisation de ces propositions reste incertaine. Avec l’intensification des tensions et l’expansion de l’influence chinoise dans les océans, la souveraineté maritime des États-Unis est désormais menacée, et la flotte « grise » de la marine américaine ne suffit plus à la garantir.

Selon Sophie Quentin, chercheuse en géopolitique maritime à l’université de Portsmouth, « il s’agit du lancement d’une nouvelle phase de souveraineté maritime ».

Alessio Patalano, professeur de guerre et de stratégie au King’s College de Londres, s’interroge : « Difficile de savoir si cela relève d’une véritable réflexion stratégique ou si Trump s’adresse avant tout à son électorat. » Mais il ajoute, cité par l’Agence France-Presse : « Dans tous les cas, la finalité reste la même : servir les intérêts de ses électeurs partisans du slogan « Make America Great Again » en relançant la construction navale ou en taxant les navires chinois, ce qui renforce la souveraineté maritime. »

L’avancée chinoise
Lors du salon maritime de Paris en février, Nick Childs, de l’Institut international d’études stratégiques, a souligné les progrès rapides de la Chine au-delà de sa marine militaire. Il a évoqué sa domination sur la construction navale, ses investissements dans les grands ports et infrastructures maritimes, ainsi que l’équipement de sa flotte de pêche avec du matériel militaire.

La montée en puissance des entreprises maritimes chinoises, perçues comme proches du régime communiste, inquiète Washington.

Fin février, le centre de recherche Jamestown Foundation a estimé que « le contrôle économique exercé par Pékin sur des ports situés à des points de passage stratégiques dans le monde entier représente une menace pour les États-Unis et leurs alliés ».

L’étude met en avant « deux entreprises d’État, COSCO et China Ports Holding, ainsi que la société privée Hutchison, qui gère deux ports du canal de Panama et sur laquelle Pékin pourrait également exercer une influence considérable ».

Trump a fait de la participation chinoise dans la gestion du canal un argument pour la dénoncer. Son administration envisage d’imposer des taxes aux navires chinois se rendant aux États-Unis, bien que les modalités restent floues.

Tout en reconnaissant que Pékin poursuit un agenda maritime, Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime de Nantes, met en garde contre une analyse simpliste : « COSCO, par exemple, fonctionne selon une logique financière et n’achemine vers les États-Unis que des marchandises destinées à la consommation des Américains. »

Néanmoins, les menaces américaines semblent porter leurs fruits. Début mars, bien que niant toute pression, la société Hutchison a accepté de vendre ses ports du canal de Panama à un consortium américain.

De son côté, le géant français du transport maritime CMA-CGM a annoncé jeudi un investissement de 20 milliards de dollars aux États-Unis, notamment pour la construction navale et l’augmentation du nombre de navires battant pavillon américain.

Des obstacles pour les États-Unis
Si les États-Unis dominent toujours militairement les océans, ils présentent certaines faiblesses. « La marine marchande américaine s’est considérablement réduite et le reste de sa flotte commerciale est vieillissant, ce qui nuit à la capacité de sa flotte stratégique. Le secteur de la construction navale est en crise. Tout cela est connu mais n’a pas été corrigé. Sous Biden, rien n’a changé », souligne Quentin.

Tourret ajoute : « Il n’existe aucun moyen permettant aux États-Unis de construire des navires rapidement. »

Patalano souligne quant à lui un problème fondamental : « L’industrie navale américaine manque de l’expertise des entreprises japonaises et coréennes, et n’a pas la capacité de production des sociétés chinoises qui fabriquent des navires comme s’il s’agissait de biscuits. Sur quels marchés les Américains peuvent-ils espérer s’imposer ? »

Dans cette logique, la volonté de Trump d’acquérir le Groenland et de renforcer les liens avec le Canada s’inscrit dans une stratégie maritime, alors que la Chine et la Russie s’intéressent elles aussi à l’Arctique.

Selon Patalano, « la région arctique deviendra l’un des principaux théâtres de la puissance maritime, notamment pour les sous-marins lanceurs de missiles balistiques, qui constituent un élément clé de la dissuasion ».

Mais « les États-Unis sont en retard. Tandis que la Chine peut déployer trois brise-glaces, les garde-côtes américains peinent à maintenir en mer leurs deux navires vieillissants », souligne Quentin.

De manière plus générale, « les ressources adaptées aux opérations en zone polaire et le personnel qualifié pour assurer une présence durable et étendue dans toute la région font défaut », selon un rapport du centre de recherche Rand publié en 2023.

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