La France s’apprête à lever le voile sur l’un de ses derniers grands tabous professionnels : la rémunération. D’ici 2026, les salariés pourront réclamer le salaire médian pour un poste équivalent au leur. Une avancée sociale selon certains, un casse-tête RH selon d’autres. Bienvenue dans l’ère de la transparence… forcée.
Bientôt la fin du flou salarial ?
La directive européenne du 10 mai 2023 s’attaque frontalement aux écarts de salaire entre les sexes, qui atteignent encore 14 % en France pour des postes équivalents. Le texte impose aux entreprises de divulguer des fourchettes de rémunération dans les offres d’emploi, d’interdire la question du salaire précédent en entretien, et d’informer tout salarié sur le salaire médian à poste égal. Une petite révolution dans un pays où parler salaire reste aussi mal vu que demander la recette du camembert à un Normand. Du côté des salariés, l’accueil est plutôt enthousiaste. Pour 60 % d’entre eux, cette transparence est synonyme d’égalité. Surtout pour les femmes, qui sont deux fois moins nombreuses que les hommes à oser négocier leur salaire. Leur fournir une base objective, c’est leur rendre un levier de pouvoir. Quant à ceux qui postulent, ils n’ont plus envie de jouer à « devine mon salaire » : 93 % des cadres seraient plus enclins à répondre à une offre d’emploi si la rémunération est affichée. Les entreprises qui continuent de jouer à cache-cache risquent bien de perdre des talents avant même la première rencontre.
Une transparence qui pique en interne
Mais si cette loi promet une meilleure équité, elle vient aussi secouer les fondations d’un monde du travail encore très attaché à l’opacité. Car qui dit transparence dit comparaisons… et qui dit comparaisons dit frustrations. Comment expliquer à deux salariés d’un même service qu’ils ne gagnent pas pareil sans ouvrir la boîte à ressentiments ? L’effet boomerang est réel : certaines entreprises pourraient être tentées d’unifier artificiellement les salaires pour éviter les vagues, au risque d’éteindre toute logique de mérite. Côté employeurs, c’est la méfiance. Seuls 15 % estiment que la transparence facilitera les négociations salariales. Pis, un tiers redoute qu’elle ne saborde l’idée même de méritocratie. Pourtant, une majorité d’entre eux reconnaît que clarifier les pratiques salariales pourrait aussi renforcer leur attractivité et leur marque employeur. À condition, évidemment, d’avoir une politique de rémunération digne de ce nom — ce qui est loin d’être le cas partout. Le vrai défi reste celui-ci : demain, si un salarié conteste sa rémunération, ce sera à l’entreprise de prouver qu’elle n’a pas discriminé. Et pour cela, il faudra plus qu’un entretien annuel mal rangé dans un tiroir. Il faudra des grilles, des traces, des critères objectifs. En somme, une RH structurée.