Tom Connan : « Les jeunes vivent toutes les crises sociales de plein fouet ! »

Entrevue 1

Le salon de la littérature érotique revient cette année avec une édition riche en découvertes, en échanges et en débats autour de l’intime. Ce dimanche 17 novembre, de 15h à 21h, à La Bellevilloise (Paris, 20e), cet événement unique rassemblera des auteurs, éditeurs, et passionnés autour de ce genre littéraire fascinant. Les visiteurs pourront découvrir des livres, assister à des lectures publiques et participer à des tables rondes.

Parmi les invités, Tom Connan, interviendra lors de la conférence « Comment écrire sur l’intime permet de dépeindre la société ». Tom Connan explore dans ses ouvrages les thèmes de la jeunesse, de l’ascension sociale et des relations de pouvoir, posant des questions qui résonnent avec les défis de notre époque. Son dernier livre, Capital Rose, soulève des réflexions sur la précarité, l’ubérisation de l’intime et l’importance de questionner nos valeurs sociales.

Pourquoi vous sentez-vous particulièrement concerné par les problématiques de la jeunesse, un thème récurrent dans vos œuvres (Radical et Pollution) ?

Tom Connan : Je suis convaincu que la jeunesse est une matière foisonnante pour l’analyse. Elle est au carrefour des grandes problématiques de notre temps : l’anxiété climatique, la précarité économique, le logement. Ce sont des défis cruciaux pour ceux qui ont encore toute une vie devant eux, qui doivent trouver un toit, un emploi, un équilibre. Ces crises frappent de plein fouet les jeunes, et le marché du logement est, par exemple, encore plus rude qu’il y a dix ou vingt ans.

Un autre segment de la population est tout aussi vulnérable : les personnes âgées. On parle souvent de la « classe active », ceux qui ont entre 30 et 60 ans, mais ce sont ceux qui se trouvent aux extrémités des générations qui se retrouvent dans les situations les plus difficiles.

Pourquoi avoir choisi la prostitution comme levier d’ascension sociale dans votre récit ?

Tom Connan : J’ai remarqué qu’aujourd’hui, beaucoup abordent leur situation de manière très pragmatique. La génération de nos parents aspirait avant tout à construire une vie autour du mariage, des enfants et d’une carrière stable. Désormais, on s’interroge davantage sur la façon de capitaliser, de transformer ses talents en ressources concrètes.
Nombreux sont les jeunes qui se tournent vers les réseaux sociaux comme TikTok, non pas seulement pour être vus, mais pour bâtir un capital de visibilité qui, potentiellement, peut se transformer en rente. C’est une forme de matelas de sécurité.

Les travailleurs du sexe, dans ce contexte, s’inscrivent dans une logique semblable. Ils réfléchissent en termes de « monétisation » de leur capital intime. Des plateformes comme OnlyFans ont popularisé cette forme d’ubérisation de la vie privée, et l’idée s’est ancrée : un individu en situation de précarité peut puiser dans son capital érotique pour gravir les échelons. Ce raisonnement, autrefois marginal, est désormais courant.

Estimez-vous que le travail du sexe est un métier comme un autre ?

Tom Connan : Non, je ne crois pas que ce soit un travail comme un autre, même si sa banalisation s’intensifie dans notre société « start-up nation ». Le développement de ce secteur est appuyé par des acteurs de la tech – Mym, OnlyFans – qui ont conçu le marché avant même qu’il n’existe véritablement.


Ce qui est frappant, c’est que ce type de travail touche à l’intimité de façon inédite. Aujourd’hui, notre vie privée est sur la place publique, mais dans des proportions encore plus poussées avec ces plateformes, qui laissent des traces permanentes et présentent des risques accrus pour les trajectoires de vie. Ce n’est pas un métier anodin, et il est souvent sous-estimé dans ses impacts à long terme.

Critiquez-vous l’ubérisation du travail du sexe ?

Tom Connan : Dans le principe, je ne trouve pas cela choquant. Chaque personne devrait être libre de disposer de son corps, tout comme elle devrait avoir le droit de choisir l’avortement ou l’euthanasie. Mais le contexte social change la donne. Ce que je trouve tragique, c’est la pression sociale et économique qui pousse tant de jeunes vers cette voie. Les success stories dans ce domaine sont souvent le fait de personnes qui n’avaient pas d’autre choix.

Nous sommes dans une société en déclin économique. Autrefois, quand on voulait gagner un peu d’argent, on donnait des cours particuliers. Aujourd’hui, c’est le travail du sexe qui apparaît comme une option. Ce constat doit nous pousser à réfléchir sur notre capacité à créer des emplois stables et bien rémunérés. Sinon, cette banalisation relève d’un grand cynisme. La critique sociale est indispensable dans ce débat.

Selon vous, quel message essentiel doit transmettre Capital Rose ?

Tom Connan : L’hypocrisie, voilà le cœur de la réflexion que je propose. Ce qui m’a le plus marqué, lors de mon enquête pour ce livre, c’est cette contradiction : la prostitution est tolérée, mais les clients peuvent être sanctionnés. Les travailleurs du sexe, eux, sont victimes de chantage, ils n’ont aucun statut et sont exclus de la sphère professionnelle, ce qui complique leur accès au logement et les pousse à des pratiques clandestines, amplifiant le risque de violence.
Un statut leur offrirait des garanties, une forme de protection. Ce qui me frappe, c’est cette double peine. On peut débattre de l’abolitionnisme, mais l’entre-deux dans lequel nous nous trouvons actuellement est dommageable pour les individus que nous devrions protéger. Les dérives les plus graves, comme la prostitution des mineurs, sont en partie liées à cette hypocrisie institutionnelle. Il ne faut pas oublier que les travailleurs du sexe sont souvent des personnes vulnérables qu’il faut protéger, y compris parfois contre elles-mêmes. Au-delà, je crois qu’un statut permettrait de sortir certaines personnes de la clandestinité, et de faire en sorte qu’elles ne soient plus traitées comme des parias.

Pour en savoir plus, rendez-vous au Salon de la Littérature Érotique, à La Bellevilloise, le 17 novembre. Tom Connan, parmi d’autres auteurs, explorera les facettes de l’intime et son reflet dans nos réalités sociales. Une occasion à ne pas manquer pour découvrir, débattre et peut-être, changer notre regard sur ces enjeux contemporains.

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