Alors que Le Monde célèbre cette année ses 80 ans, l’ambiance au sein de la rédaction serait loin d’être à la fête, comme le rapporte une longue enquête d’Eugénie Bastié publiée dans Le Figaro. Selon elle, plusieurs journalistes, qu’elle a pu interviewer de façon anonyme, dénoncent une atmosphère de méfiance et de divisions autour du traitement du conflit israélo-palestinien. Selon des propos rapportés par Eugenie Bastié, un cadre du journal résume la situation ainsi : « Ici, tout le monde prétend être objectif, mais dès que ça explose, c’est dévastateur ».
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le débat sur la couverture journalistique du Monde s’est intensifié, alimenté par les accusations de partialité et les révélations sur certains membres de la rédaction. Au cœur de la controverse se trouve notamment Benjamin Barthe, rédacteur en chef adjoint du service international, dont l’épouse, Muzna Shihabi, militante palestinienne, a publié des propos extrêmement polémiques, et en tout cas loin d’être neutres, sur les réseaux sociaux.
Le Monde, perçu clairement aujourd’hui comme pro-palestinien, fait face à des critiques internes et externes. Certains reprochent une indulgence envers les actions du Hamas et une attitude hostile envers Israël. Selon Eugénie Bastié, il existe un mur qui trône au sein de la rédaction, sans que les journalistes n’y trouvent à redire, décoré d’images de Gaza accompagnées de caricatures jugées complotistes, qui suscite des interrogations : « Est-ce qu’on accepterait un tel affichage pour un autre conflit ? », s’est indigné une journaliste à Eugénie Bastié. Sans parler de coupures de presse d’enfants mutilés avec le commentaire « Ne laissez personne vous dire que ça a commencé le 7 octobre », ou encore de caricatures frôlant avec l’antisémitisme, comme cette statue de la Liberté vêtue d’un drapeau israélien taché de sang. Pour une rédaction qui se prend neutre et être la religion de faits, ça fait tâche… D’après Eugénie Bastié, il aurait même été dit, lors d’une conférence de rédaction en présence d’une trentaine de cadres : » On a un problème avec la communauté juive. Ils sont hostiles. »
En comparaison, un ancien administrateur du journal souligne au Le Figaro que « Le New York Times offre une couverture plus équilibrée », citant leurs enquêtes approfondies sur les viols perpétrés lors de l’attaque du 7 octobre. « Même Libération est plus pluraliste que nous ! Ils ont fait une « une » sur les viols du 7 Octobre», regrette un journaliste à Eugénie Bastié, outré par la ligne de son journal…
Le cas Benjamin Barthe
Benjamin Barthe se défend des accusations liées aux prises de position publiques de son épouse, Muzna Shihabi, ex-négociatrice de l’OLP, affirmant qu’elles n’influencent pas son travail. Cependant, ses publications répétées sur Gaza et son ton tranché suscitent des doutes. Le 4 mai 2024, Muzna Shihabi avait tweeté : « La France complice du génocide », quelques minutes avant que Barthe ne signe un article sur un médecin palestinien refoulé à Roissy. Un lien entre leurs activités professionnelles et personnelles semble difficile à écarter. Le 7 Octobre, elle avait écrit : «C’est la journée internationale de la surprise. » Le jour de la mort d’Ismaël Haniyeh, chef du Hamas, elle avait partagé sa tristesse : «Que Dieu ait pitié de lui et de tous nos martyrs, que Dieu détruise le régime sioniste.» Difficile de croire que les propos de sa femme n’influencent en aucun cas son travail…
Face aux interrogations suscitées par ces propos, le comité d’éthique du journal s’est autosaisi. Dans son rapport du 22 novembre 2024, il conclut qu’«aucune influence avérée» de Muzna Shihabi sur le travail de Barthe n’a été prouvée. Cette décision, cependant, est loin de faire l’unanimité : «Ils sont dans une logique de forteresse assiégée», a confié un cadre à Eugénie Bastié.
Des fractures internes
Le cas Barthe met en lumière des fractures plus profondes. Une journaliste rappelle le départ d’Ivanne Trippenbach, chef du service politique, dont la relation avec un conseiller ministériel avait été jugée incompatible avec ses fonctions. «Pourquoi ce deux poids, deux mesures ?», s’interroge un journaliste au Figaro.
Plus largement, la direction du journal est accusée de faiblesse face aux dérives idéologiques. Une tension générationnelle aggrave encore les choses : « La jeune génération est très à gauche et suit un agenda militant », observe un rédacteur expérimenté à Eugénie Bastié. La direction du Monde serait trop faible pour inverser cette tendance face au militantisme grimpant de la rédaction du Monde et à la progression du wokisme.
Le Monde se défend
Dans son enquête, Le Figaro précise que le directeur du journal, Jérôme Fenoglio, défend sa rédaction : « Les attaques dont nous faisons l’objet montrent que nous ne cédons pas à la pression », ajoutant : « Benjamin Barthe est un excellent spécialiste du Proche-Orient, visé depuis des mois par une campagne virulente qui cherche de fait à infléchir notre couverture du confit en cours».
Des propos qui peinent cependant à convaincre tout le monde, notamment Dominique Reynié, directeur de la Fondapol, un Think Tank qui contribue au pluralisme de la pensée et au renouvellement du débat public. Ce dernier a déclaré au Figaro : « En l’état actuel des choses, Le Monde ne peut plus prétendre être le journal de référence, c’est une formule usurpée. C’est un journal qui porte une ligne idéologique et qui a tendance à faire silence sur le point de vue des autres, que ce soit sur l’insécurité, l’immigration ou l’antisémitisme.»
Comme le conclut Eugénie Bastié, qui rapporte les propos un observateur : « Le paquebot tangue, mais il refuse d’admettre qu’il prend l’eau. »