Le médiamanager reconnu Walid Harfouch, aujourd’hui directeur du digital d’Entrevue, connaît la guerre de près. Il nous a confié ses souvenirs personnels bouleversants liés au régime d’Assad en Syrie. Un récit où la douleur, enfouie depuis des années, refait surface au moment où les écrans diffusent des images des prisonniers politiques syriens enfin libérés.
« Avec la chute du régime Assad en Syrie, la première chose que j’ai faite, c’était d’appeler mon papa.
En voyant les images des milliers de prisonniers politiques sortant des geôles syriennes défiler sur Instagram, je lui ai demandé :
« Et ta cellule, à l’époque, papa, elle était comment ? »
Sa réponse, avec une voix tremblante, était claire :
« La même que celles que tu vois à la télévision maintenant. »
J’avais 5 ou 6 ans à l’époque où papa a été emprisonné en tant que prisonnier politique en Syrie. Deux ans de détention.
Pendant la guerre au Liban, papa imprimait et distribuait en cachette des brochures contre le régime d’Hafez al-Assad et était aussi connu pour ses activités contre l’occupation syrienne du pays des Cèdres.
Je me rappelle très bien des atrocités psychologiques que les soldats syriens nous infligeaient, à maman, ma sœur, mon frère et moi.
Je me souviens de ce grand chien, incontrôlable, que les soldats mettaient devant la porte de notre appartement à Tripoli, et des tortures psychologiques constantes qu’ils exerçaient sur notre famille pour forcer papa à dénoncer ses camarades, ce qu’il a toujours refusé de faire.
Je me souviens aussi de la seule visite qui nous étaient autorisées pour voir papa dans sa prison à Damas.
Nous étions pauvres, et le salaire de maman, enseignante dans une école publique, suffisait à peine pour nous nourrir. Nous prenions donc le bus, depuis la station Ahdab de Tripoli jusqu’à Damas, avec seulement deux billets pour quatre personnes.
Cela signifiait que mon frère et moi devions rester debout la moitié du trajet, en échangeant nos places avec maman et notre sœur. Mais peu importait : bientôt, nous allions voir papa.
Je me souviens très clairement de cette unique fois où je l’ai vu en prison.
Il est arrivé avec une longue barbe, mal coiffé, escorté par des soldats grossiers.
Je ne l’ai pas reconnu et je me suis jeté en sanglots dans les bras de maman, criant que ce n’était pas mon père.
La scène était si dramatique que les soldats lui ont permis de se raser et de se coiffer avant de revenir nous voir.
Et c’est là, enfin, que mon papa m’a pris dans ses bras et m’a assis sur ses genoux.
Je lui racontais, naïvement, qu’un autre homme barbu prétendait être mon père.
Papa avait les larmes aux yeux, et moi, j’étais aux anges de pouvoir passer ces quelques minutes avec lui.
En parlant cette semaine avec papa sur WhatsApp, il m’a dit qu’il comprenait aujourd’hui qu’il avait été « chanceux » d’être libéré après « seulement » deux ans de prison, en voyant ces prisonniers sortir des geôles, après 30 ou 40 ans d’enfermement sous terre, privés même du droit de rêver qu’un jour ils reverraient la lumière du soleil…
Les photos qui circulent aujourd’hui sur Internet réveillent les souvenirs les plus profondément enfouis. Derrière chaque cliché se cache une histoire inconnue, faite de douleur et de souffrance. Avec le temps, nous apprendrons la vérité sur ceux qui se trouvent derrière ces images. Sur ceux qui ont survécu à l’indicible… et dont l’histoire doit impérativement être entendue. »