Les clubs de Ligue 1 connaissent enfin le montant des droits TV ainsi que les diffuseurs du championnat. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils en sont satisfaits. Tout comme les téléspectateurs.
Joseph Oughourlian est certainement le président de club de Ligue 1 le plus expert de la finance. Grand patron de fonds d’investissement, il dirige le RC Lens avec succès depuis 2018. Alors, sa parole est d’or quand il s’agit d’aborder l’économie du football professionnel français.
Dimanche, un accord était enfin trouvé pour apporter une manne de 500M d’euros aux clubs de L1 : 400M d’euros pour diffuser 8 matchs d’un côté (DAZN, nouveau venu qui devrait proposer un abonnement à 34 euros par mois !) et 100M d’euros pour 1 match, celui du dimanche soir de l’autre (Bein Sports).
Mais cet accord bouclé en urgence ne convient pas à tout le monde. Lens, Lyon, Saint-Etienne, Brest et Rennes ont voté contre. En vain. C’est celui qui a été retenu définitivement pour 5 saisons. Une perte nette évaluée à environ 30% selon les clubs par rapport aux dernières saisons. Et un montant global si bas des droits jamais vu depuis plus de 20 ans.
Une catastrophe économique pour la majorité des clubs de L1 (pas les plus riches). Le fossé va se creuser encore plus entre les gros fonds et les plus modestes clubs. Et tant qu’il n’y aura pas un OM fort, apte à concurrencer un peu le PSG, le spectacle du haut de tableau n’attirera malheureusement pas les foules. Il faut être réaliste.
Alors Joseph Oughourlian tape du poing sur la table. Sur LinkedIn, il n’hésite pas à se prononcer avec honnêteté contre ce deal : « Je suis un président inquiet pour ses supporters cherchant à voir les matchs de leur club de cœur. Pour avoir accès à l’intégralité du championnat, il faudra désormais cumuler un abonnement DAZN (8 matchs sur 9) dont le prix avoisinera les 35 euros et un abonnement beIN (pour l’affiche du week-end) à 15 euros par mois. 50 euros mensuellement, entre 500 et 600 annuellement, voici le (cher) prix à payer pour suivre la Ligue 1. Cet élément qui apparaît bien secondaire au moment où mes confrères ne s’intéressent qu’au prix de vente des droits, est pourtant central. Il nous renvoie à un principe fondamental que l’on bafoue : le positionnement prix d’un produit. »
Il poursuit : « Après le tandem Amazon (dont le Pass Ligue 1 coûtait 14,99 euros en sus de Prime) Canal+ (autour de 20 euros par mois), comment peut-on penser qu’une inflation du coût d’abonnement avec un accès à des catalogues moins généralistes pourra soutenir une croissance des téléspectateurs du football français ? Comment songer un instant qu’aller à contre-pied de la tarification attractive des offres plébiscitées du marché (moins de 15 euros par mois pour Netflix par exemple) peut être une voie durable pour le sport le plus populaire qui soit ? »
Une analyse honnête et un triste constat de la situation : « Je suis un Président inquiet pour l’état financier du foot français. 500 millions d’euros valorisés, c’est in fine environ 9 millions d’euros pour le RCL. Jamais les clubs de L1 n’ont touché aussi peu au titre des droits TV. À l’inverse, souscrire à l’offre L1 a rarement représenté pour les fans un tel effort financier. À titre de comparaison, payer l’offre TV cette saison sera plus onéreux que l’abonnement le plus cher à Bollaert (545 euros). Cette tarification ouvre clairement la voie du piratage. » Avec de telles dépenses obligatoires pour suivre seulement le football français, en effet, l’IPTV a de l’avenir. Intraçable et très fonctionnel, la télé piratée va encore faire des adeptes.
Il conclut : « En outre, avec une visibilité des partenaires dégradée, c’est tout un schéma de revenus qu’il faudra réinventer. Je suis un membre du CA de la LFP inquiet. Alors que la contrainte d’absence de diffuseur devait nous amener à saisir l’opportunité d’un pilotage de notre propre offre TV, lisible, plurielle et abordable, cet entêtement à penser montants fixes me renvoie aux mirages du passé. »
« Par ailleurs, alors qu’il y a toujours eu consensus à refuser de vendre l’affiche de la journée à un acteur isolé, céder tardivement à cette tentation crée un revirement où l’économique court-termiste prend le pas sur le stratégique. « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent » disait Einstein, je crains que le pseudo-conservatisme des présidents ne nous y mène tout droit. » Voilà qui est clair.