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Macron, Barnier, Mélenchon… « Pas de leader car il n’y a plus d’orateur », les bons conseils de Stéphane André

La défiance est totale entre les représentants du monde politique et les citoyens français. Pour remédier à cela, un grand leader doit émerger. Qui dit grand leader dit grand orateur. Stéphane André reçoit Entrevue dans les locaux de l’école de l’Art Oratoire dans le VIIIe arrondissement de Paris. Cette école, il l’a fondée en 2008. L’homme de 77 ans à la carrière bien remplie travaille ce sujet de l’expression oratoire depuis 1973. Epoque où la communication était loin d’être omniprésente. Rencontre. (partie 1/2)

Thibaud Vézirian. Cela fait 50 ans que vous travaillez ces sujets-là. Savoir bien communiquer oralement est un besoin encore plus vital dans la société actuelle ?

Stéphane André. Quand j’ai commencé à parler de ce thème, c’était une époque où la communication n’était pas à la mode. J’ai eu beaucoup de chance dans la vie parce que quand j’ai commencé, j’étais tout seul. On me disait qu’apprendre à parler en public, ce n’était pas un métier. Au mois de juillet dernier, on a fêté le 50e anniversaire de mon travail. L’école de l’art oratoire n’existe que depuis 2008, mais j’ai commencé ce travail en 1973, je sortais tout juste de l’ESSEC. Le directeur de l’école était un ancien avocat, j’étais comédien et il m’a demandé de donner des cours aux étudiants. Parce que lui était passionné par la parole en public, c’était un précurseur. Plus tard, des camarades, souvent issus du théâtre, qui ont bien voulu cautionner mon travail, m’ont rejoint.

T.V. : Donner un cours d’art oratoire, cela ressemblait à quoi à l’époque ?

Stéphane André : J’ai appris très vite à faire les différences entre l’acteur et l’orateur. L’acteur a une mission dans la société, l’orateur en a une autre. L’acteur, lui, jouant Molière, Shakespeare, propose un miroir à la société qui est venue voir la représentation. Et la société rit d’elle-même en se regardant dans le miroir de la pièce, ou pleure sur elle-même et sortir du théâtre ensuite un peu plus sage. Ça s’appelle la culture. L’orateur, lui, n’est pas là pour proposer un miroir à la société. Il est là pour la construire.

Toute personne qui prend la parole dans la vie publique le fait au titre d’une fonction de chef d’entreprise, de manager, de député, d’enseignant, de maire, de Président de la République, etc. Et il doit incarner cette fonction. Dans « incarner », il y a le mot « carne », et la carne, c’est le corps. En France, quand on entend parler d’incarnation dans les débats politiques, etc., on met un nom sur un poste, mais il n’y a pas le corps.

T.V. : C’est-à-dire ?

Stéphane André. Il y a l’homme avec son cerveau, et puis, en réunion, c’est son cerveau qui parle. Mais le corps, lui, n’incarne rien. Donc, il passe son temps à n’exposer que sa personne. Une personne, ce n’est pas un personnage. Une personne, c’est chacun de nous dans la rue, avec un discours tout aussi banal. Et quand je vois M. le nouveau Premier Ministre, M. Barnier, bon…

T.V. : Michel Barnier est un bon communicant en termes d’art oratoire ?

Stéphane André. Il parle, c’est très agréable. Ok. Ça n’a rien de la dimension d’un personnage du niveau d’un Premier ministre. Même si leur style serait différent aujourd’hui, rappelons-nous des deux derniers grands orateurs dans notre Ve République qu’ont été De Gaulle et Mitterrand. Deux styles totalement différents, deux bords politiques, mais deux orateurs politiques. Et c’est ça qui fait vivre une démocratie.

T.V. : Les personnalités politiques d’aujourd’hui ne sont pas de grands orateurs ?

Stéphane André. Disons que je ne suis pas impressionné par les numéros de Jean-Luc Mélenchon, qui adule son propre don d’orateur, et n’a pas l’humilité de se plier à la discipline d’une technique. Cette école, je l’ai construite sans le savoir pendant 50 ans, en construisant peu à peu, au contact de mes élèves une technique d’art oratoire. L’art oratoire est pour moi comme l’art du piano, du violon, l’art dramatique ou l’art lyrique. C’est très technique.

T.V. : Cela ressemble aux techniques de communication concrètes enseignées par certains journalistes en media-training ?

Stéphane André. En dehors de son apparence, le journaliste ne s’intéresse pas au corps de l’orateur, ce n’est pas son expertise. C’est pourquoi il m’est arrivé souvent de co-animer des séminaires de media training, avec Jean-Marie Cavada et d’autres journalistes. C’est complémentaire. L’art oratoire, c’est la maîtrise de la pensée dans l’action. Par l’incarnation. La maîtrise de la pensée dans l’action et pour l’action. Si je fais une campagne électorale, j’incarne un certain nombre d’idées de droite ou de gauche, je représente un personnage de député bien plus grand que ma personne, je suis l’incarnation d’une certaine idée de la France. C’est ça, mais si le corps n’est pas là, il est évident qu’on n’incarne plus rien. L’incarnation élève la pensée de l’orateur.

T.V. : Tout cela signifie que les problèmes actuels de communication de nos politiques vis-à-vis du grand public, toutes ces informations et idées qui ne passent pas, c’est un problème de technique oratoire ?

Stéphane André. Il y a un problème de leadership. Si je prends deux figures opposées, qui ont été des grands exemples historiques de la parole en public : il y a le Christ et l’antéchrist, De Gaulle contre Hitler. Adolf Hitler, c’est un grand charisme, il n’y a pas de formation pour être charismatique. C’est une présence plus forte que celle des autres, on ne sait pas pourquoi. Sur scène, il se passe quelque chose. Quand Hitler est monté sur une table à Munich, bien avant la guerre, il s’est révélé. Mais quand on écoute la parole d’Hitler, c’est le cri de souffrance d’un grand psychotique : il est archi tendu, archi contracté, ce n’est pas de l’art, c’est très laid, ce n’est pas beau, ne serait-ce qu’au son.

T.V. : Le son, la voix, c’est le plus important ?

Stéphane André : C’est ce qui constitue l’identité d’un orateur. Le son de la voix d’Hitler est très laid. A l’opposé de ça, De Gaulle a une voix, une expression, il y a une élégance dans son comportement. Charles De Gaulle, c’est de l’art oratoire, c’est du leadership. Il est dans les canons de la technique, il a d’ailleurs pris des cours avec Jean Yonnel, grand comédien du Théâtre français. Quand il arrive au pouvoir en 1958, Marcel Bleustein-Blanchet, grand publicitaire, donne le conseil à De Gaulle d’aller prendre des cours chez Jean Yonnel.

T.V. : Les plus grands leaders ne maîtrisent pas tous l’art oratoire ?

Stéphane André. Napoléon s’est rapproché de François-Joseph Talma, un grand comédien de son époque. Tous les grands orateurs politiques ont compris leur proximité avec les grands comédiens. Ils servent une cause, une idée et un public, c’est ça un orateur. Aujourd’hui, ce que vous voyez de la société, et notamment de la politique, montre un grand besoin de techniques oratoires. On est surtout centré sur la rhétorique, beaucoup moins sur l’éloquence. Et l’éloquence n’existe qu’au moment où l’orateur est sur scène. C’est-à-dire qu’il entre, met d’abord son corps en équilibre entre le sol au-dessous de lui, le ciel au-dessus de lui, le public en face de lui.  Et c’est parce qu’il est en scène, en harmonie avec le monde physique qu’il l’est aussi avec l’univers intellectuel. Alors peut lui venir une idée essentielle qu’il n’aurait pas eue en préparant son discours, et que ses conseillers, qui ne sont pas à la tribune, ne peuvent pas trouver. Les grands orateurs politiques ont eu leurs idées les plus géniales face au peuple.

T.V. : Dans le paysage politique actuel, qui auriez-vous envie de conseiller en particulier ?

Stéphane André. Le niveau des orateurs aujourd’hui a baissé considérablement. Je vous parlais de De Gaulle et de Mitterrand. Je suis allé rechercher loin. Depuis Mitterrand, les présidents de la République ont eu une expression qui a été beaucoup plus ordinaire. Ils ont voulu descendre dans l’arène pour être comme tout le monde. Or, César ne descend pas dans l’arène. Mais comment peut-on être Président en étant comme tout le monde ? Le statut ne suffit pas. Il faut l’incarner. Si je me mets à parler comme tout le monde, je n’incarne plus le statut.

T.V. : Alors qu’est-ce qu’un bon discours public ?

Stéphane André. Parler en public ne consiste pas à dire ce qu’on a prévu de dire, mais d’aller au-delà grâce au public. Nos orateurs, aujourd’hui, veulent absolument dire ce qu’ils ont prévu de dire, tout ce qu’ils ont prévu de dire et rien que ça. Ils n’ont pas de relation à la salle. Ils ne sont pas corps à corps avec la salle. Ils regardent dans le vide ou dans leurs notes. Michel Barnier regarde dans le vide, il y trouve une idée, il la donne. Puis il va chercher une autre idée dans le vide, et il la donne. On assiste à de vrais tunnels, que les journalistes sont bien obligés d’interrompre. Il ne regarde pas la ou le journaliste pour trouver ses mots, donc il ne regarde pas la France pour stimuler sa pensée. Elle tourne en rond et ne s’élève pas… Regarder la ou le journaliste, c’est regarder la France.

T.V. : Si vous arriviez à le croiser sur le trottoir, deux minutes, vous pourriez lui dire déjà, de changer quoi ?

Stéphane André. Je lui dirais, « mon vieux, venez prendre des cours ! » Ce n’est pas si facile que cela, de parler en public. C’est un sport, exactement comme le tennis. Comme le rugby ou la boxe. Il faut de l’entraînement. Mais les gens pensent que c’est simple… Je hais cette division entre le fond et la forme. Nous avons dans notre école une métaphore : il y a l’auteur et il y a l’acteur. Au théâtre, il y a des auteurs : Molière, Shakespeare, par exemple. Mais en art oratoire, trop d’orateurs se prennent pour des auteurs en rédigeant leurs discours. En réalité, au théâtre, le génie, c’est un individu, l’auteur dramatique. En art oratoire, il n’y a pas d’auteur. Je peux préparer mon discours. Et quand j’arrive devant le public, je vais au-delà du discours, comme le faisait De Gaulle, grâce au public que je regarde et qui m’inspire.. L’auteur, en art oratoire, ce n’est plus un individu. C’est le collectif que l’orateur sait construire avec son public.

T.V. : De mémoire, quand Emmanuel Macron est élu Président en 2017, et aussi pendant sa campagne, ses discours font mouche. C’est ce qui a aussi fait la différence ?

Stéphane André. Emmanuel Macron, c’est très intéressant, parce qu’il a été bon orateur à certains moments. Le jour où il fait son premier discours de Président, il est un bon orateur. Il a alors un certain leadership. Quand il reçoit la visite de Donald Trump en France, aussi. Mais pendant sa campagne, il se casse la voix. Emmanuel Macron est un orateur insuffisant, la voix est trop petite. Et depuis, quand il est interviewé par des gens de votre corporation, les journalistes, il est en bras de chemise, il est accoudé, il parle comme s’il était à une terrasse de café. Il fait exactement Monsieur tout le monde, il descend dans l’arène. Et là, il n’incarne plus la fonction, il fait du mal à la fonction. Et à une tribune, quand il lâche son papier et regarde la salle, il est dans le vrai. C’est-à-dire qu’Emmanuel Macron est très irrégulier.


Pour lire directement la partie 2 de l’interview de Stéphane André, cliquez ici.


Stéphane André, l’école de l’art oratoire (4 bis, rue de Lord Byron, Paris 8)

Emmanuel Macron insiste pour un temps d’échanges à l’école sur le racisme et l’antisémitisme

Le viol d’une jeune fille de confession juive, samedi dernier à Courbevoie (Hauts-de-Seine) par une bande d’adolescents à peine plus âgés suscite une vague d’émotions massive dans le pays. Emmanuel Macron souhaite qu’un « temps d’échanges » sur le racisme et l’antisémitisme soit mis en place dans les écoles dés les prochains jours.

Conseil des ministres pesant ce mercredi 19 juin. Après l’annonce de la mise en examen de deux adolescents de 13 ans, mardi, pour viol en réunion, menaces de mort, injures et violences à caractère antisémite sur une jeune fille de 12 ans à Courbevoie (Hauts-de-Seine), le Président de la République tente de resserrer les rangs. Et de sensibiliser les plus jeunes à cette haine entre cultures étrangères, religions diverses ou opinions différentes.

Le chef de l’Etat souhaite organiser « un temps d’échanges » sur le racisme et l’antisémitisme dans les écoles dans les prochains jours. Une annonce forte pour éviter de nouvelles dérives, agressions ou harcèlements.

Emmanuel Macron refuse que « les discours de haine aux lourdes conséquences s’y infiltrent ». Pas sûr que cela ne soit pas déjà fait. Mais ce n’est pas une raison de ne pas combattre la haine de l’autre, devenue pour certains quotidienne.

Une heure. Une petite heure de temps d’école pour que des professeurs tentent de sensibiliser les plus jeunes. Ou au moins les faire parler. Pour mieux en raisonner certains. La ministre Nicole Belloubet est chargée d’organiser à la hâte cette demande présidentielle. Cela concerne les écoles primaires et collèges. Pour ce qu’il reste d’élèves encore scolarisés en cette toute fin d’année. Les lycéens étant déjà en période d’examens.

Après Sciences Po, les grandes écoles sous surveillance

L’affaire a fait la Une au mois de mars. Sciences Po Paris au cœur d’une polémique après une mobilisation pro-palestinienne au sein de son établissement. L’affaire s’est même invitée en Conseil des ministres, mentionnée par Emmanuel Macron lui-même. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) avait alors affirmé que des jeunes appartenant à l’association avaient été « pris à partie comme juifs et sionistes » lors de cette occupation d’un amphithéâtre.

Ce mardi matin-là, une centaine d’étudiants investissent l’amphithéâtre principal de Sciences Po Paris, dans le cadre d’une « journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine ». Une étudiante membre l’Union des étudiants juifs de France a alors « été empêchée d’accéder à l’amphithéâtre » où se tenait l’action, et « des propos accusatoires ont été prononcés à l’encontre » de l’association étudiante.

Face à cette situation discriminatoire, voire violente, le gouvernement a fait sentir sa fermeté sur le sujet. Afin d’éviter des dérives. Mais ce type de mobilisation pourrait-il faire boule de neige ? Et se dérouler ailleurs, dans d’autres campus ? L’ombre d’autres pays se fait-il sentir jusque-là ? HEC a par exemple noué un lien fort avec le Qatar, s’installant à Doha via la Qatar Foundation dès 2010.

Entrevue a pu entrer en contact avec HEC Paris, qui ne souhaite « pas apporter de commentaire sur le sujet » des manifestations pro-Palestine. Pour autant, avec la forme de financement actuel des grandes écoles, via des sociétés, des fonds d’investissement ou même des États, un risque de collusion existe-il ? Des pressions peuvent-elles s’exercer pour rogner leur indépendance ?

« HEC Paris est très majoritairement financée par les frais de scolarité en provenance des programmes pré expérience, des programmes MBAs et de formation continue », précise la prestigieuse école. « Elle bénéficie en outre du support de donateurs via la Fondation HEC et de subventions qui permettent d’innover pour des projets à vocation sociale (bourses), académiques (recherche) ou à impact comme par exemple dans l’entrepreneuriat social. »

Quid du Qatar, médiateur incontournable du conflit Israël-Palestine, qui joue un rôle actif auprès de l’Occident mais en liens étroits avec le Hamas ? Son softpower actif met les autorités françaises sur leurs gardes. De la même manière, la France lutte contre le financement opaque des mosquées, derrière quoi se cacherait l’influence des Frères Musulmans, bien implantés au Qatar.

Les problèmes n’arrivent pas qu’aux autres. Et bien souvent, ce qui se déroule aux Etats-Unis arrive ensuite en France. Outre Atlantique, l’Université de Berkeley (Californie) est un « haut lieu du militantisme », comme le disait Le Monde en octobre 2023. Les violents actes antisémites n’ont jamais été aussi nombreux qu’actuellement.

Sur la côte est des Etats-Unis, à Harvard, début janvier, c’est Claudine Gay, la présidente de l’université, qui annonce sa démission. Elle était vivement critiquée depuis une audition au Congrès, où elle n’avait pas condamné clairement des appels au génocide des juifs. La lutte contre l’antisémitisme sur les campus est un combat permanent. Les associations juives s’inquiètent plus que jamais de la situation. Car derrière le financement de Harvard, on retrouve le Qatar et l’Arabie Saoudite, pour près de 11 millions de dollars de dons en 2022 et 2023. Double jeu ? Situations à clarifier.

Là-bas, certains pays du Moyen Orient s’affichent parmi les principaux donateurs des grandes écoles depuis une dizaine d’années. Dans le dernier rapport du Ministère de l’Éducation américain (octobre 2023), le montant total des dons aux universités, venant du Qatar, de l’Arabie Saoudite et d’autres pays de la région est de 2,2 milliards de dollars. Colossal. Faut-il y voir un lien du jeu qatari ambigu ou est-ce un « simple softpower » à surveiller ?

HEC peut-elle ignorer toutes ces luttes d’influence ? « Pas de risque » nous répond-on : « La zone des pays du GCC (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis) représente autour de 8% du budget d’HEC. Nous sommes une école à but non lucratif. Au Qatar, nous travaillons en partenariat avec la Qatar Foundation, qui finance notamment nos locaux, comme ceux des autres grandes universités américaines, présentes au sein d’Education City. Les frais de scolarité sont les mêmes que ceux de Paris. »

Mais vu la situation géopolitique actuelle, les grandes écoles vont-elles devoir faire preuve de toujours plus de prudence face aux influences extérieures ? « HEC Paris est une institution indépendante juridiquement », rappelle l’école. « C’est un “établissement d’enseignement supérieur consulaire”. La Qatar Foundation n’est en aucun cas impliquée dans cette gouvernance. »

Rassurante, la direction d’HEC se veut même un acteur du changement au Qatar. « Nous contribuons à la dynamique d’ouverture et de progrès de la région du Golfe, à commencer par celle du Qatar, qui a d’immenses challenges à relever pour passer d’une économie de l’extraction à une économie de la connaissance. Cette transition est et sera réalisée par la génération que nous formons sur place depuis plus de dix ans. »