Après le cataclysme des droits TV français au rabais cet été, c’est toute l’économie du football qui doit se mettre à table et revoir son système de diffusion des matchs. Alors que les audiences s’érodent un peu partout, que les jeunes générations se désintéressent des matchs de 90 minutes, le football est à tournant. Quelles solutions sont possibles ?
400M€ de droits TV en moyenne chaque année pour diffuser 8 matchs de Ligue 1 sur 9, voilà le deal obtenu par DAZN, la plateforme de diffusion de contenus sport détenue par Len Blavatnik, l’homme d’affaires (citoyen américain et anglais, né en Ukraine) à la tête d’une fortune d’environ 30 milliards de dollars.
Le hic, c’est que les fans de football en France ne sont pas prêts du tout financièrement et psychologiquement à payer un abonnement de 29,99€ (minimum) sur 12 mois pour voir un tel spectacle, sans émission d’avant, ni d’après match, sans 4K, sans concurrence au PSG, sans star, etc.
Alors quand Shay Segev, le PDG du « Netflix du sport », annonce à L’Equipe dernièrement vouloir « atteindre en 6 mois 1,5M d’abonnés« , désolé mais il rêve. Objectif strictement inatteignable. Un peu comme le milliard de droits TV annoncé par Vincent Labrune, boss de la Ligue de Football Professionnel (LFP) l’an dernier.
Il faut être factuel et connaître le marché français. L’objectif de DAZN n’a rien de réel, en tout cas pas à court terme et en proposant uniquement L1, Ligue des Champions féminine, basket français (Betclic Elite) et sports de combat (MMA-PFL, Kickboxing-Glory).
« J’aimerais pouvoir proposer un prix inférieur si je le pouvais« , poursuit-il, « mais si vous le comparez à un billet de match, combien coûte-t-il aujourd’hui ? Entre 50 et 80 euros en moyenne pour les moins chers« . Les supporters lui répondent volontiers, d’eux-mêmes, via les réseaux sociaux, qu’en s’abonnant à leur club favori de L1, ils payent moins cher à aller directement au stade toute l’année que l’abonnement DAZN sur 12 mois… Difficile de rapprocher les points de vue des deux camps.
Ce qui inquiète, c’est la suite : « Atteindre en six mois 1,5 million d’abonnés, au minimum un million. En prenant en compte les différentes formules, nous avons besoin de 1,5 million d’abonnés, ne serait-ce que couvrir nos dépenses. » DAZN ne rentrera donc jamais dans ses dépenses en un an. Qu’on se le dise. Entre les appels massifs au boycott, la grogne des supporters dans les stades et le triste spectacle proposé, ce n’est pas gagné…
Sans Mbappé, sans Neymar, sans Messi, la L1 ne fait plus rêver. Sans un grand OM pour concurrencer le PSG, aucune histoire à raconter au monde entier. Les droits TV à l’étranger sont d’ailleurs toujours en suspens, non vendus au cas par cas à des diffuseurs. Un cas similaire à la Serie A, le championnat d’Italie a repris samedi mais n’est plus disponible en France. Bein Sport n’ayant pas prolongé le deal. Une aubaine pour étoffer les droits de DAZN en France, mais la plateforme va-t-elle foncer ?
C’est bien de crier contre les pirates, c’est mieux de répondre aux évolutions sociétales
En attendant, les fans de football trouvent des combines illégales pour regarder du football. Où ils veulent, quand ils veulent. C’est le crédo des nouvelles générations. Ces Français, qui s’informent au plus vite, via des notifications et puis c’est tout, veulent faire simple et peu coûteux. Et le plus simple, aujourd’hui, ça s’appelle l’IPTV ou Telegram.
Le football y est disponible dans toutes les langues, à toute heure, en bonne qualité. Et tout est limpide, via un seul compte. Libre à chacun ensuite de regarder sur son smartphone, sa tablette ou sa télé.
Quand on voit dans quelle crise était l’industrie de la musique aux débuts des années 2000, on ne peut y voir que des similitudes avec celle, actuelle, de la télévision. Les majors hurlaient dans les médias contre les pirates, contre le piratage, contre la consommation gratuite de musique. C’est bien de crier, c’est mieux de s’organiser pour répondre aux évolutions sociétales.
Cela ne sert à rien de poursuivre les pirates, ils auront toujours un temps d’avance. La majorité des gens qui regardent actuellement le football français via IPTV ou les canaux Telegram ne sont pas contre le fait de payer un abonnement. Le souci, c’est le prix, et la simplicité pour s’abonner, se connecter. Beaucoup de sexagénaires (et plus) ne comprennent actuellement absolument rien à la façon de faire pour regarder la L1. DAZN (DaZone), ils appellent ça « Dazne » ou ne connaissent absolument pas.
Alors quelle est la solution ? Si l’industrie de la musique a réussi à prendre ce tournant il y a 15 ans, via Spotify ou Deezer par exemple, pourquoi la télévision n’y arriverait pas ? La FIFA et l’UEFA doivent mettre tout le monde à table et stopper la course en avant des droits TV. Une course qui va droit dans le mur. Les diffuseurs n’ont plus les reins assez solides pour suivre. Les audiences ne sont pas assez bonnes pour amener un niveau suffisant de revenus publicitaires. Et les téléspectateurs sont lessivés, financièrement et moralement.
Comme expliqué dans mon émission quotidienne, Le Dèj Foot, en direct, il faudrait donc réunir tous ces acteurs. Les Ligues ont la possibilité de créer leur « Spotify/Deezer » du football, certains grands médias aussi. Il faut réunir les droits, simplifier l’accès, ouvrir à des comptes « famille ». Et ce ne sera pas 1,5 millions d’abonnés à viser mais le double. Deux fois moins chers mais deux fois plus d’abonnés, voilà un deal rentable pour tous. Car, oui, les Français sont prêts à payer 15€-20€ par mois pour la L1 (et d’autres contenus sportifs). Une offre pas forcément facile à mettre en place pour un nouvel entrant sur un marché, comme l’est DAZN. Mais en étant accompagné par la Ligue, par l’UEFA et la FIFA, tout est possible.
Le football n’appartiendra jamais à une élite, c’est un sport populaire et ce sont les Ultras qui mettent l’ambiance dans les stades. Aux dirigeants du football de les choyer. Car sans ambiance, pas d’émotion, pas de football.