Alors que la Syrie a chuté dans une percée fulgurante aux mains des islamistes et que Bachar al-Assad a fui à Moscou, un nouveau gouvernement de transition a été annoncé.
L’offensive éclair de Hayat Tahrir al-Sham (HTS)
Le 27 novembre, qui aurait cru que les groupes armés, endormis ces dernières années dans la région d’Idlib tenue par les kurdes, se réveilleraient et renverseraient un régime dynastique vieux de 50 ans en 10 petits jours ? Ce scénario, espéré par certains, redouté par beaucoup d’autres, a pourtant engendré dimanche 8 décembre la chute du gouvernement al-Assad : Alep, Hama, Homs et désormais la capitale Damas et la zone côtière avec les villes de Lattaquié et de Tartous, berceau du pouvoir alaouite, toutes sont tombées comme un château de cartes.
Si l’Occident se réjouit d’une « libération » pour le peuple syrien du joug de son tyran, le sort de sa population n’est pas moins incertain. L’arrivée aux affaires du chef d’Hayat Tahrir al-Sham a raison d’inquiéter : Abou Mohammad al-Jolani n’est autre qu’un proche de l’ancien calife de Daesh, Abou Bakr al-Baghdadi.
« On dit qu’il s’est éloigné d’Al-Qaïda, auquel HTS est affilié, mais il faudrait être naïf pour croire à cette vitrine démocratique. Faire peau neuve certes, mais HTS n’est pas moins un groupe terroriste. Il faut rappeler qu’après le 11 septembre, Al-Jolani va combattre de 2003 à 2011 avec Al-Qaïda en Irak, sous l’autorité d’Al-Zarqaoui, le terroriste numéro un à l’époque avant Ben Laden lui-même ! » explique le reporter de guerre Régis Le Sommier.
Califat islamique ou transition démocratique ?
Iran, Irak, Libye ou Afghanistan, les chutes de leurs chefs auront toutes engendré le chaos. Dans cette région instable du Moyen-Orient, l’avenir des populations syriennes reste incertain. Si l’Occident en appelle à une transition démocratique pour la Syrie, l’ombre d’un État islamique rôde sur le Levant.
Alors que Mohammed al-Bachir vient d’être nommé à la tête du gouvernement provisoire, faut-il se réjouir de l’accession au pouvoir de ce proche d’Al-Jolani ? S’il a annoncé son attachement à la défense de toutes les communautés composant la Syrie pour reconstruire ensemble le pays, le rêve d’un nationalisme arabe, uni au-delà des différences ethniques et religieuses entre sunnites, chiites, alaouites, kurdes et chrétiens, est mort avec la chute de Bachar Al-Assad.
Le profil du nouveau ministre de la Justice a de quoi inquiéter. A peine nommé, Shadi Muhammad Al-Waisi a annoncé qu’il n’y aurait plus de femmes juges et que les tribunaux seraient désormais réservés exclusivement aux hommes. Toutes les affaires en cours gérées par des femmes devront être transférées à des juges masculins. Si les islamistes ne tolèrent pas que des femmes occupent des fonctions avec des pouvoirs décisionnels ou occupent des postes de responsabilité, on peut se questionner légitimement sur l’arrivée de Shadi Al-Waisi aux affaires : est-il ministre de la justice ou de l’application de la charia ?
Sur qui peuvent désormais compter les minorités alaouites, chrétiennes ou kurdes pour les défendre, à l’heure où l’esclavage sexuel fait déjà son retour dans la cité d’Alep ? Occupée sur le front ukrainien depuis 2022, la Russie alliée de Bachar Al-Assad semble définitivement hors du jeu militaire et diplomatique. De son côté, le parrain iranien est plus que jamais affaibli par la chute du gouvernement syrien, passage géographique et politique stratégique entre Téhéran et le Hezbollah libanais. La réponse pourrait se trouver du côté de la Turquie voisine conduite par Erdogan : Ankara laissera-t-elle à ses portes l’établissement d’un Califat régi par la charia ? Malgré ses intérêts évidents dans la chute de la dynastie alaouite, sa capitulation reste peu probable.