Sylvain Augier revient sur ses envies de suicide : « J’ai pris ma moto. Je suis allé au passage à niveau, là où passe le TGV, et je me suis mis sur les rails. »
De 1990 à 2005, Sylvain Augier a été l’une des grandes figures de France 3, en animant Faut pas rêver et La Carte aux trésors. Aujourd’hui retiré des médias, il se confesse comme jamais dans un livre, Je reviens de loin, dans lequel il raconte sa descente aux enfers, son accident de parapente, son addiction à la morphine, son trouble bipolaire ou encore sa tentative de suicide. À cette occasion, nous l’avions interviewé dans notre numéro de décembre. Une interview bouleversante à retrouver en intégralité ici !
Marie Giancani : Bonjour Sylvain. Revenons sur votre parcours. Vous avez eu très tôt le goût de l’aventure et des médias ?
Sylvain Augier : Oui. Ça m’a pris à 13 ans. C’était en mai 68. Quand j’ai vu Julien Besançon, qui était à l’époque journaliste pour Europe 1, couvrir les barricades et les tirs de gaz lacrymogène. Je me suis dit: « C’est ce métier-là qu’il faut que je fasse, sinon ma vie n’aura aucun intérêt ! » Donc j’ai trouvé ma vocation. À peine rentré de mon service militaire au Nicaragua, j’ai été embauché à France Inter grâce à André Turcat, pilote de Concorde. Il m’aimait bien. Il m’a donc donné un coup de piston. Il a contacté France Inter et le directeur de l’information, et j’ai été embauché comme reporter.
Après la radio, comment êtes-vous êtes arrivé à la télé ?
J’ai écumé les couloirs de Radio France pendant 15 ans, et puis un jour, je suis allé voir Philippe Gildas à Canal+ pour lui parler d’un projet. Il m’a dit : « Ton idée m’intéresse ». C’était un bêtisier de la pub. IEt puis plus tard, George Pernoud, qui présentait Thalassa, m’a embauché sur France 3. D’abord pour les après-midi sport et aventure, et ensuite pour faire Faut pas rêver. Ça a duré presque 10 ans. Entre temps, j’avais croisé Michel Drucker, que je rêvais de rencontrer, et qui est devenu un ami. D’ailleurs, mon seul vrai ami dans ce métier, c’est Michel Drucker.
Vous rêviez de rencontrer Michel Drucker ?
Oui. À 13 ans, je le regardais à la télévision et je me disais : « Je veux faire comme lui ». Il se trouve que Faut pas rêver se tournait dans le Studio Gabriel et Michel m’a demandé si j’avais des idées. Je lui ai dit : « On pourrait tourner la France vue du ciel », il m’a dit banco ! Et voilà. Alain Vautier, qui était à la direction des programmes, et qui a lancé La Carte aux trésors, s’est dit : « Augier comme pilote de l’hélico’ blanc, ça serait une bonne idée ! » Et je l’ai fait pendant 10 ans.
« Plus personne ne me reconnaît dans la rue, mais je m’en fous. »
Est-ce que la célébrité vous manque ?
Non. Je ne fais plus d’antenne depuis 10 ans, plus personne ne me reconnaît dans la rue, mais je m’en fous. Ça m’est égal. J’ai rencontré des gens hors du commun comme l’Abbé Pierre, Sœur Emmanuelle, Maurice Béjart, j’en passe et des meilleurs. Ces rencontres-là ont beaucoup plus d’importance dans ma tête que la notoriété provisoire que vous donne la télévision. Après ces rencontres, la notoriété devient une notion superficielle sans intérêt.
Est-ce que l’on est riche quand on est un animateur star ?
Les animateurs vedettes gagnent très bien leur vie. Moi, quand je faisais La Carte aux trésors et Faut pas rêver, je gagnais royalement ma vie. Et puis les deux se sont arrêtés et j’ai eu un train de vie beaucoup plus modeste. La télé, ça peut s’arrêter très vite. Il ne faut pas faire ce métier pour courir après l’argent. On devient mercenaire à ce moment-là.
On dit souvent que le monde de la télévision est impitoyable. C’est le cas ?
Oui. Moi, j’ai été éjecté de La Carte aux trésors sous prétexte que j’avais eu un accident de moto en Corse quelques mois auparavant… Je ne suis pas sûr qu’il y avait un lien de cause à effet, mais il faut accepter le fait que l’on peut être remplaçable facilement. Ce qui a été le cas. Ils m’ont remplacé par Marc Bessou, ils l’ont viré au bout d’un an. Ils ont pris Nathalie Simon, ils l’ont viré au bout de deux ans et maintenant, ils le font avec… Heu… Cyril… Comment il s’appelle ? Que je ne connais pas, hein. Je ne porte pas de jugement, je n’ai pas regardé ses émissions. Mais on est tous remplaçables. Regardez Ardisson et son émission Tout le monde en parle. Il a été viré du jour au lendemain de l’antenne pour un prétexte que je ne connais pas. Dans le milieu de la télé, il y a un côté imprévisible, avec des règlements de compte et des changements de tête.
George Pernoud a été une plus belle rencontre, mais aussi une source de déceptions ?
La plus mauvaise rencontre que j’ai faite a été Pernoud, parce qu’il m’a choisi sans me donner de conseils. C’était uniquement des critiques et puis un jour, il m’a convoqué et il m’a dit : « Avec toi, on va dans le mur ! » Je suis parti vexé, outragé. Je n’ai jamais compris pourquoi il m’avait dit ça, ni ce que j’avais fait de mal. Ça fait partie des règlements de compte dont on parlait tout à l’heure. J’avais quand même deux 7 d’or, ce n’était pas rien.
On dit que la perte de Thalassa a causé sa mort…
Bien sûr que ça a causé sa mort. Il voulait sauver Thalassa et sa tête a déconné… J’en suis totalement convaincu : il est mort de la perte de l’émission Thalassa.
« Dans le milieu de la télé, il y a un côté imprévisible, avec des règlements de compte et des changements de tête. »
Dans votre cas, votre éviction de la télévision a-t-elle été le début de votre descente aux enfers ?
Non. Ça a été une prise de conscience. D’un seul coup, je gagnais moins d’argent. Il fallait donc que je réduise la voilure. Je me suis dit qu’il fallait que je m’adapte à ma nouvelle situation et que j’apprenne à vivre sans la notoriété, sans l’argent. Il a fallu que j’apprenne à vivre plus humblement, plus normalement. Mais quand je pense à ma bipolarité et à mon accident, ça relativise les problèmes. Je sais ce qui est grave et ce qui ne l’est pas. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.
En 1988, vous êtes en effet victime d’un accident de parapente. Une convalescence longue et douloureuse débute et entraîne une addiction à la morphine. Racontez-nous…
La voile que j’avais prise était instable, elle s’est fermée en deux, elle est tombée en torche et j’ai touché la pente avec une vitesse effarante. D’un seul coup, je me suis retrouvé avec le pied qui pendait au bout d’une artère, le bras rabattu sur l’autre bras et le coude et l’épaule démantibulés. Je me suis dit : « Dieu m’a abandonné, je vais rester là, je vais perdre tout mon sang et je ne vais pas m’en sortir ». Puis l’hélico est arrivé et on m’a sauvé. J’ai souffert d’une gangrène, d’une infection osseuse, il y a eu plusieurs greffes ratées… Je voulais garder mon pied. Mon pied a regreffé avec les muscles du dos, la peau de la cuisse et les nerfs des jambes. J’ai pris beaucoup de morphine. Aujourd’hui, je boite et je marche lentement, mais c’est un miracle. Tout ça pour vous dire qu’après avoir connu l’accident de parapente, la douleur, et les greffes, je relativise les problèmes quand ils se présentent.
Pour l’addiction à la morphine, c’est Carol, votre épouse, qui vous a aidé à arrêter ?
Je lui ai avoué mon addiction avant de partir pour un tournage de La Carte aux trésors au Maroc. Je lui ai dit : « Voilà où j’en suis, je prends 4 ampoules de morphine de synthèse tous les deux jours. » Elle m’a fouillé, m’a enlevé tout ce que j’avais et a tout balancé dans les toilettes. Et elle m’a dit : « Si tu continues, je te quitte ». À l’instant où elle m’a dit ça, je me suis dit : « J’arrête, je ne veux pas la perdre ». Elle m’a sauvé. Il a fallu que j’apprenne à vivre avec une douleur que je connais bien, je la sens en vous parlant.
Et suite à ça, vous avez été diagnostiqué bipolaire…
J’ai vécu de longues années avec la bipolarité sans le savoir. Je n’ai été diagnostiqué que deux ans après mon accident. J’ai un fond d’anxiété depuis tout petit, je le raconte dans le livre. Une fois que l’on est diagnostiqué, on n’est pas guéri. Il y a de grosses chutes de moral. Ce qu’il faut, c’est tomber sur le psychiatre qui vous trouve le bon traitement. Moi, j’ai fini par trouver ici, dans le Gard, à Sommières, une psychiatre qui m’a precrit le traitement qu’il me faut. La psychiatrie évolue, il y a des progrès.
En 2010, à 55 ans, vous tentez de mettre fin à vous jours. C’est venu sur un coup de tête ? Racontez-nous cet épisode…
Je ne pensais qu’à ça depuis 6 mois : me suicider. J’avais acheté une corde, un tuyau pour m’asphyxier à la voiture de mon fils et du lithium en grande quantité pour détruire mes reins… J’avais aussi voulu acheter une arme automatique, mais je n’avais pas pu. J’avais également commandé aux États-Unis 2 000 € de produit que les vétérinaires utilisent pour mettre à mort les animaux et qu’on utilise en Suisse et en Belgique pour partir vite. Donc c’est vous dire, je ne pensais vraiment qu’à ça. C’était affreux. Quand j’y repense, j’ai du mal à imaginer que ça me soit arrivé.
Et vous avez donc failli passer à l’acte…
Oui. Un soir, je n’en pouvais plus. J’étais mal dans ma peau, je me suis dit qu’il fallait que ça s’arrête. C’était une attaque de panique, j’étais seul à la maison. J’ai pris un bout de papier, j’ai écrit « Carol » avec son numéro de portable et j’ai pris ma moto. Je suis allé au passage à niveau, là où passe le TGV, et je me suis mis sur les rails. J’ai attendu, attendu, attendu, en me disant que c’était la bonne solution, que ça allait s’arrêter, que je n’aurais plus mal. La locomotive est arrivée, et là, ça a été une terreur animale, sans doute le cerveau reptilien. Un TGV qui arrive en face de vous, c’est terrifiant, donc j’ai fait un écart de deux mètres. J’ai laissé passer le TGV et je me suis dit tout de suite après : « Si je m’étais suicidé, ce serait la fin de ma souffrance, mais ce serait le début de la souffrance de ceux que j’aime. » Donc je ne me suiciderais jamais, voilà. Mais je suis allé loin pour en arriver à cette conclusion positive.
Ça faisait 5 ans que vous n’étiez plus à la télévision quand vous avez tenté de mettre fin à vos jours. Si vous aviez encore été à l’antenne, seriez-vous tombé aussi bas ?
Non. Je n’étais plus à la télévision comme vous dites, plus personne ne m’attendait. Mais depuis, Carol a eu la bonne idée de me proposer de faire quelque chose avec la mairie de Sommières. Je reçois des écrivains prestigieux comme Éric-Emmanuel Schmitt, Laurent Gounelle, Bernard Werber, Boris Cyrulnik, bientôt Philippe Labro. Ça me donne une activité. Mais la question que je me pose, c’est : après, qu’est-ce que je fais ?
Il y a une personne dans les médias qui a pris de vos nouvelles après votre tentative de suicide ?
Personne ne l’a su. À l’époque, je n’en parlais pas du tout. J’étais incapable de formuler quoi que ce soit à propos de cette tentative. C’est venu longtemps après. D’ailleurs, il m’a fallu beaucoup de maturité pour sortir mon livre, parce que je me mets à nu. Je me suis dit : « Allez tant pis, peut-être que ça servira a quelqu’un, et moi, en tout cas, ça me fait du bien de le raconter ». Mais je ne l’avais jamais dit à personne, pas même à ma femme. Ma famille n’était pas au courant. Je n’étais pas fier de moi…
Comment vous sentez-vous depuis la parution du livre ?
Soulagé, parce qu’il existe. Le simple fait d’avoir réussi à le boucler et le rendre public, ça m’a fait du bien. Je me sens léger.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous anime et vous aide à vous lever le matin ?
Peut-être devenir écrivain, écrire au jour le jour. On verra. Tous les matins, je prends mon traitement de façon domestique, et si j’appréhende, je prends la journée minute par minute.
Vous aimeriez refaire de la télé ?
Ça dépend de qui il s’agit, et de quoi il s’agit…
Si vous pouviez décrire la personne que vous étiez avant votre tentative de suicide et l’homme que vous êtes aujourd’hui ?
La personne d’avant le livre, c’est : dans le doute. Et maintenant, c’est : le plaisir d’une équipe qui a cru à un pari réussi, un pari qui s’avère réussi. Je me félicite de notre entente et du résultat…