Sans papiers, elle gagne 20 000 euros au blackjack mais ne peut les récupérer

Entrevue 1

Rachel, une sexagénaire sans papiers, a remporté 20 000 euros au blackjack en 2015. Cependant, faute de pièce d’identité valide, elle ne peut toucher son gain, un problème qui la poursuit depuis neuf ans.

Depuis toujours, Rachel, 65 ans, est une habituée des jeux de grattage. Quand elle découvre son gain en 2015, elle a les yeux qui pétillent de joie. Mais la Française des jeux (FDJ) lui réclame une pièce d’identité en cours de validité pour émettre le chèque. Rachel ne possède qu’un passeport israélien périmé.

« Je monte doucement, j’ai peur de tomber », dit-elle, sa voix s’échappant de l’escalier menant au cabinet de son avocate, Me Najet Azizi-Mehenni, à La Garenne-Colombes. Elle apparaît, une petite dame aux cheveux mi-longs noirs, un peu voûtée, à l’allure chétive. « Il me faut une carte mais je n’ai pas de carte et si je pars maintenant, je ne pourrai pas revenir… »

Arrivée en France il y a environ trente ans pour des vacances, Rachel décide de rester, trouvant l’Hexagone plus paisible que Jérusalem, où elle a failli mourir deux fois à cause de bombes. Mais sa vie en France est loin d’être tranquille. Sans papiers et sans domicile fixe, Rachel mène une vie clandestine, faisant des ménages et s’occupant de personnes handicapées pour subvenir à ses besoins. En 2002, elle tente de se régulariser, mais ne reçoit jamais de réponse.

Pour s’échapper de la rudesse de son quotidien, Rachel joue à la loterie, espérant que la chance tournera en sa faveur. « Les gens comme moi, ils jouent », dit-elle en haussant les épaules. En janvier 2015, elle achète cinq tickets de blackjack à La Défense, là où elle a l’habitude de passer le temps. « Et c’était la bonne ! » se rappelle-t-elle, encore émerveillée. Sous la légère pellicule, elle découvre qu’elle a gagné 20 000 euros. « Je n’en revenais pas. J’ai regardé dix fois. Je n’en ai pas dormi de la nuit tellement j’étais contente. »

Mais la joie est de courte durée. La FDJ refuse de lui remettre son gain sans une pièce d’identité en cours de validité. Rachel tente sa chance à Châtelet, où on lui fait un chèque. « J’ai laissé traîner », avoue-t-elle. Elle se rend à La Poste et à la banque, mais sans papiers, elle ne peut ouvrir de compte. Par peur de la convoitise, elle ne parle à personne de cette bonne nouvelle. Les mois passent, puis les années. Le chèque est réémis trois fois, en 2017, 2018 et 2019. Puis, le Covid survient, Rachel tombe malade et développe des problèmes de cœur.

L’avocate de Rachel, Najet Azizi-Mehenni, décide de porter sa voix et de l’aider à obtenir son gain. « Humainement, cette situation me révolte », précise-t-elle. Rachel ne peut pas refaire son passeport au consulat sans retourner en Israël, mais elle ne pourra jamais revenir en France sans titre de séjour. La FDJ reste inflexible, exigeant une pièce d’identité en cours de validité et un RIB à son nom pour émettre le paiement.

« En 2015, les mesures gouvernementales pour la lutte contre le blanchiment et la fraude se sont renforcées et les exigences de contrôle également », explique la FDJ dans un courrier à Rachel. « De ce fait, nous ne pourrons procéder à la réémission du paiement uniquement sur présentation d’une pièce d’identité en cours de validité. »

Me Najet Azizi-Mehenni déplore cette situation ubuesque. « À l’origine, on lui a émis un chèque, à trois reprises, sans problème. Pourquoi pas maintenant ? » Elle a également demandé à mettre le chèque en sécurité ou à permettre à un tiers de récupérer l’argent, mais cela a été refusé.

Rachel a formulé une demande de titre de séjour en octobre dernier auprès de la préfecture des Hauts-de-Seine. Mais les délais peuvent être longs. En attendant, elle continue de vivre dans la précarité, logeant actuellement à bord de l’Amirale-Major-Georgette-Gogibus, un ancien bateau de croisière transformé en centre d’hébergement d’urgence par l’Armée du salut, amarré au niveau du pont de Neuilly.

Malgré tout, Rachel garde espoir. « L’espoir fait vivre », dit-elle en souriant. Son histoire illustre les difficultés administratives et humaines auxquelles sont confrontées les personnes sans papiers en France.

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