« Sans lui, Samuel Paty serait en vie » : Abdelhakim Sefrioui face à la justice

28 novembre, 2024 / Entrevue

Le procès des acteurs présumés de l’assassinat de Samuel Paty, décapité en octobre 2020 par un jeune radicalisé, se poursuit à la cour d’assises spéciale de Paris. Parmi les accusés, Abdelhakim Sefrioui, prédicateur islamiste âgé de 65 ans, fait face à de lourdes accusations pour son rôle dans la campagne de haine ayant conduit à ce drame. Son portrait divise profondément les témoins entendus au tribunal.

Deux visages d’un accusé

D’un côté, sa compagne, Ikram H., une femme de 34 ans, le décrit comme un homme « de foi, de conviction, mais pas du tout radical ». Selon elle, les activités de Sefrioui, notamment au sein du collectif Cheikh-Yassine qu’il a fondé en 2004, n’avaient rien de violent. Elle qualifie ce mouvement, connu pour ses manifestations pro-Hamas, de « bande d’amis ».

À l’opposé, l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, brosse un tableau radicalement différent. Dépeignant l’accusé comme un « islamiste fanatique », il rappelle les nombreuses campagnes de haine orchestrées par Sefrioui à son encontre. L’imam, cible de ces attaques depuis plus d’une décennie, affirme que Sefrioui l’a qualifié de « l’imam des juifs » et sa mosquée de « synagogue de Drancy », des propos qui avaient galvanisé des militants lors de manifestations.

Abdelhakim Sefrioui s’était déjà illustré en 2010 en dénonçant les positions de Chalghoumi sur le voile intégral. L’imam, favorable à son interdiction dans l’espace public, s’était attiré la colère des milieux islamistes, notamment celle de Sefrioui, qui avait organisé des rassemblements hostiles devant sa mosquée.

Ces agissements s’inscrivent dans une rhétorique que Chalghoumi juge dangereuse : « Abdelhakim Sefrioui affirme que les lois de la République sont contre les musulmans. Pour moi, un vrai musulman respecte ces lois. » Cette opposition à la République aurait nourri, selon l’imam, un terreau fertile pour la radicalisation.

Une vidéo au cœur des débats

L’accusation se concentre particulièrement sur une vidéo publiée par Sefrioui peu avant l’assassinat de Samuel Paty. Dans celle-ci, il qualifiait l’enseignant de « voyou », un terme que Chalghoumi assimile à une « fatwa implicite », incitant à la violence sans la nommer directement. Si Ikram H. juge ce discours « virulent mais non violent », elle admet que la vidéo a été supprimée après l’attentat « par respect pour le défunt ».

Les avocats de Sefrioui soutiennent que le meurtrier, Abdoullakh Anzorov, n’a jamais vu cette vidéo. Cependant, Chalghoumi rappelle qu’elle avait été massivement partagée, influençant une jeunesse « fragile et naïve ». L’assassin, âgé de 18 ans au moment des faits, avait été exposé à un climat de haine exacerbé par des messages similaires.

Des responsabilités partagées ?

À la barre, la compagne de Sefrioui rejette toute implication directe de l’accusé : « Si Abdelhakim n’avait pas existé, le crime aurait quand même eu lieu. » Une affirmation balayée par Chalghoumi, qui conclut avec force : « Sans Abdelhakim Sefrioui, Samuel Paty serait toujours dans sa classe. »

L’interrogatoire d’Abdelhakim Sefrioui est prévu pour le 3 décembre. Il encourt une peine maximale de 30 ans de réclusion criminelle, alors que la cour continue de démêler les fils d’un climat de haine ayant conduit à l’irréparable.