Russie : mort en détention de Pavel Kouchnir, pianiste militant contre la guerre, alors qu’il avait entamé une grève de la faim

07 août, 2024 / Entrevue

C’est une bien triste nouvelle que nous venons d’apprendre et que les autorités russes ne souhaitaient pas ébruiter : militant fervent contre la guerre, le pianiste russe Pavel Kouchnir, âgé de 39 ans, est décédé en détention le 27 juillet à Birobidjan, dans la région autonome juive, une province reculée de l’Extrême-Orient russe, suite à une grève de la faim. La mort de Pavel Kouchnir, dissimulée par les autorités, a été révélée par Olga Romanova, fondatrice de l’ONG « La Russie en prison » (Rous sidiachtchaïa), qui défend les droits des détenus grâce à un vaste réseau d’informateurs dans les prisons russes.

Dans une interview diffusée ce lundi 5 août par la chaîne d’opposition russe Nastoïachtche Vremia, Olga Romanova a indiqué qu’elle avait appris la mort de Kouchnir par ses codétenus. Ceux-ci ont rapporté que le musicien avait entamé une grève de la faim et de la soif, ce que son corps n’a pas pu supporter, a-t-elle expliqué. La mort de Pavel Kouchnir a été confirmée par sa mère, Irina Vina, 79 ans. Elle a précisé que l’administration pénitentiaire avait tenté de le sauver en lui administrant des perfusions, mais en vain.

Selon Olga Chrygounova, une amie de Pavel Kouchnir réfugiée en Europe et citée par le média d’opposition VotTak, la famille du pianiste a probablement reçu des menaces du FSB pour garder le silence sur cette affaire. Diplômé du Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, l’un des meilleurs établissements de musique du pays, Kouchnir semblait destiné à une brillante carrière. Après avoir travaillé pour les conservatoires de Koursk et de Kourgan, il a déménagé en 2023 à Birobidjan où il a été engagé comme soliste de la philharmonie. Ses proches, interrogés par Radio Svoboda, ont raconté qu’il espérait trouver dans cette région éloignée plus de liberté et échapper à l’obligation de participer à des concerts glorifiant la guerre.

Sur les réseaux sociaux, amis et collègues rendent hommage à sa virtuosité, sa joie de vivre et ses talents d’écrivain et de poète, évoquant ses pamphlets antiguerre écrits en alexandrins. La plupart ignoraient son arrestation fin mai à Birobidjan. Détenu provisoirement, il avait été accusé d’incitation à des actions terroristes à cause de quatre vidéos antiguerre publiées sur sa chaîne YouTube, qui comptait alors cinq abonnés.

Pavel Kouchnir était un pacifiste de longue date. En 2014, il s’était opposé à l’invasion et à l’annexion de la Crimée. Dès le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, il s’était mobilisé en collant des affiches et en publiant des critiques de la politique du Kremlin. « En 2022, avant même de déménager à Birobidjan, Pavel écrivait des tracts contre la guerre et les placardait à Kourgan, où il vivait à l’époque. La nuit, il collait des affiches dans les lieux publics, et, pendant la journée, des tracts plus petits avec des symboles de paix et des citations bibliques », a raconté son amie Olga à Radio Svoboda.

Le massacre de Boutcha, près de Kiev, où les troupes russes ont commis des atrocités de masse entre le 27 février et le 31 mars 2022, a été un tournant pour lui. « Ce massacre est une honte pour notre patrie. Le fascisme signifie la mort de notre pays, et Poutine est un fasciste. Notre peuple a sacrifié des millions de vies pour éradiquer le fascisme. Cette guerre ignoble que Poutine mène en notre nom défie ma conscience, mes valeurs, tout ce que j’ai de meilleur en moi », écrivait-il alors dans une lettre à Olga, lue à la radio en son hommage. Ces mêmes propos, repris dans ses vidéos YouTube, ont conduit à son inculpation.

Lundi dernier, les proches de Pavel Kouchnir ont lancé une collecte de fonds pour rapatrier sa dépouille à Tambov, sa ville natale, à 450 kilomètres au sud-est de Moscou. « Son corps est toujours à la morgue », a fait savoir Olga sur son compte Facebook…

La rédaction d’Entrevue est particulièrement touchée par cette tragédie alors même que Omar Harfouch, notre directeur de publication, également pianiste et compositeur, donnera un concerto pour la Paix le 18 septembre au Théâtre des Champs-Élysées, ainsi que le 20 septembre à l’ONU, en marge de la Journée internationale de la Paix…