Le 12 septembre, Bassirou Diomaye Faye, élu président du Sénégal en mars de cette année, a pris une décision d’ampleur : dissoudre l’Assemblée nationale. Cette mesure, bien que prévue par la Constitution, soulève de nombreuses questions sur la direction politique du pays, les tensions institutionnelles et les défis sociaux auxquels le Sénégal fait face. Derrière ce geste se cache une stratégie politique complexe visant à restructurer le pouvoir législatif pour permettre au président de gouverner plus efficacement. Mais cette décision s’accompagne de risques importants, tant sur le plan politique qu’économique.
La dissolution de l’Assemblée nationale était prévisible, les blocages au sein du Parlement ayant paralysé l’action gouvernementale pendant plusieurs mois. Le président Faye, élu sur une promesse de transformation systémique et de rupture avec l’ancien régime de Macky Sall, se retrouvait confronté à une Assemblée nationale dominée par les partisans de ce dernier. Cette opposition majoritaire empêchait la mise en œuvre de réformes clés, allant jusqu’à bloquer la suppression du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) — deux institutions symboles de l’ancien pouvoir.
Cette situation créait un bras de fer permanent entre l’exécutif et le législatif, compliquant l’adoption de nouvelles lois. En décidant de dissoudre l’Assemblée, Faye a choisi une stratégie de rupture nette, misant sur des élections législatives anticipées pour obtenir une majorité parlementaire plus favorable à son programme. Toutefois, ce pari reste risqué. Le président se retrouve dans une situation délicate où une majorité parlementaire hostile pourrait à nouveau émerger, voire entraîner une cohabitation si le pouvoir exécutif et le législatif restent divisés.
Le contexte politique : blocages et recomposition
Les tensions actuelles entre l’exécutif et l’Assemblée nationale reflètent une recomposition profonde du paysage politique sénégalais. La coalition Benno Bokk Yakaar, qui dominait la scène politique sous Macky Sall, détient encore une majorité significative au Parlement. Cette majorité n’a pas hésité à défier le nouveau président en bloquant des projets de loi, et en menaçant même le gouvernement de motions de censure. Ainsi, l’incapacité du Premier ministre Ousmane Sonko à prononcer un discours de politique générale reflète cette impasse politique.
Cependant, l’opposition elle-même est fragmentée, ce qui pourrait jouer en faveur du président lors des élections du 17 novembre 2024. Les figures de l’opposition, telles qu’Amadou Ba, Khalifa Sall ou encore Karim Wade, tentent de construire des alliances, mais peinent à s’unir autour d’un projet commun. Cette désunion pourrait permettre à Faye de réorganiser le Parlement en faveur de son parti, Pastef-Les Patriotes, et d’éviter une nouvelle phase de blocages.
Au-delà des enjeux purement politiques, la dissolution de l’Assemblée nationale a des répercussions directes sur les réformes économiques et sociales que le président Faye souhaite mettre en place. Le Sénégal est confronté à de nombreux défis, notamment le chômage massif chez les jeunes, la crise migratoire qui pousse des milliers de Sénégalais à risquer leur vie pour rejoindre l’Europe, et une économie toujours fragile.
Le président Faye a fait des promesses ambitieuses lors de sa campagne électorale, notamment sur la souveraineté économique et la justice sociale. Cependant, en l’absence d’une majorité parlementaire stable, il lui est difficile de lancer des réformes d’envergure. Les audits lancés par son gouvernement, visant à évaluer la gestion des finances publiques sous Macky Sall, n’ont pour l’instant pas débouché sur des actions concrètes. Les blocages institutionnels ont ralenti les projets de relance économique, laissant place à un sentiment de déception au sein de la population, particulièrement parmi la jeunesse qui avait placé de grands espoirs en Faye.
Pour certains observateurs, cette inaction est un signe de fragilité politique. D’autres estiment que la dissolution de l’Assemblée pourrait enfin permettre de surmonter ces obstacles et d’accélérer les réformes nécessaires à la transformation du pays. Néanmoins, si les prochaines législatives ne donnent pas au président une majorité solide, ses ambitions risquent de rester lettre morte, alimentant un mécontentement populaire déjà grandissant.
La décision de dissoudre l’Assemblée a suscité des réactions contrastées. Du côté des alliés du président, la dissolution est perçue comme un « soulagement ». Aminata Touré, ancienne Première ministre et proche de Faye, a salué cette décision, estimant qu’elle permettrait de « parachever la victoire » remportée lors de l’élection présidentielle. De même, des membres de la coalition au pouvoir ont justifié cette dissolution comme une étape nécessaire pour aligner les priorités du pays avec la majorité parlementaire.
Cependant, du côté de l’opposition, les critiques sont virulentes. Les partisans de Benno Bokk Yakaar parlent de « parjure » et accusent Faye de vouloir installer un régime autoritaire. Anta Babacar Ngom, seule femme candidate à la dernière présidentielle, dénonce une rupture avec les principes d’éthique républicaine, accusant le président de chercher à consolider un pouvoir sans partage.
Quelles perspectives pour les législatives du 17 novembre ?
À l’approche des élections législatives anticipées, prévues pour le 17 novembre 2024, la scène politique sénégalaise est en pleine ébullition. Le président Faye et son parti, Pastef-Les Patriotes, partent favoris, mais le contexte est bien plus incertain qu’il n’y paraît. La fragmentation de l’opposition pourrait jouer en sa faveur, mais rien ne garantit qu’il obtienne une majorité confortable. Si le président échoue à sécuriser une Assemblée favorable, il pourrait faire face à une nouvelle période de blocages institutionnels, voire à une cohabitation, ce qui limiterait considérablement sa marge de manœuvre pour mener à bien son programme.
En définitive, la dissolution de l’Assemblée nationale par Bassirou Diomaye Faye est un pari audacieux qui pourrait soit consolider son pouvoir, soit fragiliser encore davantage son jeune mandat. Les résultats des élections législatives détermineront en grande partie si le Sénégal s’engage vers une nouvelle ère de réformes ou s’il s’enlise dans des tensions politiques prolongées.