Quand la Hongrie défie l’Europe : le jeu de pouvoir de Viktor Orban

02 octobre, 2024 / Entrevue

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le gouvernement hongrois de Viktor Orban a souvent été accusé de jouer un rôle d’obstruction au sein de l’Union européenne. En retardant ou en bloquant certaines décisions, Budapest a cherché à influencer le soutien apporté par l’UE à Kiev. Cela s’est traduit par des tentatives pour débloquer des fonds européens gelés, qui avaient été retenus en raison de préoccupations concernant le respect de l’État de droit en Hongrie.

L’année dernière, Viktor Orban a cherché à faire pression sur l’UE pour qu’elle débloque ces fonds, ce qui a finalement été fait sous conditions. Plus récemment, la Hongrie a fait obstruction à l’envoi de fonds à l’Ukraine, dénonçant ce qu’elle considère être une discrimination. Par ces manœuvres, Viktor Orban a réussi à retarder l’acheminement de milliards d’euros d’aide militaire à Kiev, mais les autres États membres ont jusqu’à présent hésité à appliquer des sanctions sévères à son encontre, comme celles prévues par l’article 7 du traité de l’UE, qui pourrait priver Budapest de son droit de vote au Conseil européen.

Malgré ces obstacles, l’Union européenne semble avoir trouvé un moyen de contourner l’impasse. Sous la présidence belge du Conseil de l’UE au premier semestre de cette année, une nouvelle interprétation juridique des règles internes a été proposée pour accélérer l’envoi de l’aide militaire à l’Ukraine. Selon cette interprétation, la Hongrie aurait perdu son droit de regard sur l’utilisation de certains fonds en raison de son abstention lors d’un vote crucial sur la saisie des actifs souverains russes immobilisés. Cela a permis de débloquer 1,4 milliard d’euros d’aide militaire directe à l’Ukraine, provenant de ces actifs gelés.

En réaction, l’Union européenne a défini une nouvelle stratégie pour garantir le soutien financier à l’Ukraine. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a proposé un prêt exceptionnel pouvant aller jusqu’à 35 milliards d’euros pour soutenir Kyiv. Ce prêt, accordé sur la base d’une majorité qualifiée d’États membres de l’UE, contournait ainsi le droit de veto hongrois, marquant un tournant majeur dans la prise de décision au sein de l’UE et renforçant la dynamique d’intégration fiscale.

Cette mesure a également permis à l’Union de démontrer sa capacité à s’organiser pour répondre à une situation urgente, indépendamment des blocages internes. En effet, la possibilité d’émettre de la dette commune sans l’unanimité des États membres représente un pas vers une intégration plus poussée, notamment en matière de politique financière.

Sur le plan politique, Viktor Orban continue de se distinguer par sa posture stratégique. Le Premier ministre hongrois, qui se positionne souvent comme le défenseur d’une Europe « forteresse », reste fidèle à ses alliances avec des figures populistes européennes comme Herbert Kickl en Autriche et Geert Wilders aux Pays-Bas. Tous trois partagent une vision commune : limiter les compétences de l’Union européenne, protéger les valeurs chrétiennes et renforcer la souveraineté nationale.

Orban, en particulier, se distingue par son approche pragmatique des relations internationales. Lors de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, il a annoncé son intention d’organiser un sommet de paix entre l’Ukraine et la Russie, impliquant des acteurs internationaux tels que la Chine et le Brésil. Cette initiative s’inscrit dans la continuité de ses démarches diplomatiques précédentes, où il a cherché à se positionner comme un médiateur entre l’Est et l’Ouest, même si ses initiatives n’ont pas toujours été bien accueillies au sein de l’UE.

Cependant, la position ambiguë de la Hongrie vis-à-vis de la Russie et ses initiatives diplomatiques controversées ont conduit à une dégradation des relations entre Budapest et Bruxelles. L’UE doit désormais composer avec un dirigeant qui, bien qu’opposant à certaines politiques européennes, reste un acteur majeur au sein du Conseil de l’UE. Viktor Orban continue de peser sur les décisions européennes, utilisant habilement les règles institutionnelles pour servir ses propres intérêts nationaux, souvent en échange de concessions obtenues par la levée de ses nombreux veto.

En résumé, Viktor Orban a su, malgré les critiques et les tentatives de marginalisation, maintenir une influence notable au sein de l’Union européenne. En jouant de manière stratégique avec les mécanismes de l’UE et en cherchant des alliances alternatives, notamment avec la Chine et le Brésil, le Premier ministre hongrois entend positionner la Hongrie comme un acteur incontournable sur la scène européenne, tout en défiant la politique dominante au sein de l’Union. Ce faisant, il incarne une nouvelle vague populiste en Europe, qui, en dépit des oppositions et des résistances, continue de redéfinir le paysage politique du continent.