Proportionnelle : la clé pour réconcilier le pluripartisme et la stabilité selon Thierry Pech

22 août, 2024 / Entrevue

Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, propose une réflexion audacieuse sur l’évolution du système politique français dans une interview parue dans L’Opinion. Selon lui, l’adoption d’un scrutin proportionnel pour les élections législatives pourrait marquer un tournant décisif pour la politique française, actuellement caractérisée par une fragmentation croissante.

Pech soutient que la proportionnelle offrirait une meilleure reconnaissance du pluralisme politique et favoriserait la construction de compromis. Il explique que sous un système proportionnel, chaque parti pourrait se présenter seul, sans redouter d’être éliminé entre les deux tours comme c’est le cas avec le scrutin majoritaire à deux tours. Cette approche permettrait aux électeurs de voter selon leurs vraies préférences, en éliminant le « vote utile » qui pousse souvent les citoyens à choisir le moindre mal plutôt que le candidat de leur cœur. En fin de compte, c’est le rapport de force réel établi par les électeurs qui déterminerait la hiérarchie des partis, et les négociations pour former des alliances se feraient postérieurement sur la base des résultats obtenus.

Pourtant, la France reste le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir adopté de scrutin proportionnel pour ses élections législatives. Cette situation est souvent justifiée par la crainte du désordre et de l’instabilité associés à ce type de système. Thierry Pech conteste cette idée en soulignant que les régimes européens avec un système proportionnel ne sont pas plus instables que le nôtre. En fait, les élections de 2022 et 2024 ont démontré que le scrutin majoritaire n’assure pas toujours la stabilité ni la constitution d’une majorité parlementaire solide.

Concernant le type de proportionnelle le plus adapté à la France, Pech évoque plusieurs options. Les systèmes mixtes, combinant des éléments majoritaires et proportionnels, pourraient être intéressants, mais ils nécessiteraient des ajustements complexes comme le redécoupage des circonscriptions, ce qui semble politiquement difficile. La proportionnelle intégrale est une autre option, avec des variations selon la maille territoriale : nationale, régionale ou départementale. Tandis que les listes nationales donneraient beaucoup de pouvoir aux partis politiques nationaux et éloigneraient les élus des électeurs, les listes départementales pourraient entraîner une prime majoritaire implicite. Pech considère les listes régionales comme un compromis équilibré, permettant une meilleure représentation tout en maintenant une proximité avec les électeurs.

Si la proportionnelle avait été en place, le paysage politique actuel aurait probablement été très différent. En se basant sur les résultats des élections européennes, Pech suggère que le Rassemblement National aurait obtenu une proportion plus élevée de sièges (36% contre 22% actuellement), tandis que le Parti Socialiste aurait rivalisé presque à égalité avec la coalition Ensemble, devançant La France Insoumise.

Les partis les plus susceptibles de bénéficier du passage à un scrutin proportionnel sont ceux qui n’ont que peu de chances d’obtenir une majorité absolue par eux-mêmes. En particulier, le RN est l’un des rares partis à tirer pleinement avantage du système majoritaire actuel, mais le front républicain reste un obstacle. Pour tous les autres partis, partager le pouvoir sous un système proportionnel semble plus avantageux que de rester dans une situation où ils pourraient tout perdre. Cependant, une telle réforme impliquerait la nécessité de former des coalitions, un phénomène courant chez nos voisins européens.

Malgré les arguments en faveur du changement, Thierry Pech reconnaît que la proportionnelle n’est pas une panacée. Elle ne garantit pas de résoudre tous les problèmes politiques, mais elle pourrait offrir un cadre plus représentatif et responsable. En permettant une meilleure expression des préférences électorales et en limitant les alliances préélectorales forcées, la proportionnelle pourrait rendre le système politique français plus adaptable aux réalités contemporaines.

En conclusion, même avant la prochaine élection, l’adoption de la proportionnelle pourrait modifier de manière significative les dynamiques politiques, en permettant aux partis de se mesurer plus équitablement et de négocier des alliances plus représentatives. Thierry Pech propose donc une réflexion cruciale pour envisager une réforme qui pourrait rendre la politique française plus représentative et moins conflictuelle.