Présidentielle en Tunisie : Kais Saied en route vers un second mandat, dans un scrutin verrouillé

06 octobre, 2024 / Entrevue

Les Tunisiens ont commencé à voter ce dimanche pour une élection présidentielle où l’issue semble déjà connue. Le président sortant, Kais Saied, largement favori, est en bonne position pour être réélu, dans un contexte où les principaux rivaux ont été écartés ou emprisonnés. Les bureaux de vote, ouverts depuis 08h00, accueilleront les 9,7 millions d’électeurs inscrits, mais l’enthousiasme est loin d’être au rendez-vous. Beaucoup de Tunisiens, confrontés à une crise économique sévère, semblent indifférents à cette élection.

Une élection sous contrôle

Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, Kais Saied, 66 ans, ancien professeur de droit constitutionnel, a peu à peu concentré les pouvoirs, suscitant l’inquiétude de la société civile et de l’opposition qui dénonce une « dérive autoritaire ». Depuis le « coup de force » de juillet 2021, lors duquel il a suspendu le Parlement et gouverné par décrets, Saied a largement remodelé le paysage politique tunisien à son avantage.

En effet, seuls deux autres candidats ont été autorisés à participer à cette élection, sur un total de 17 postulants. Parmi eux, Ayachi Zammel, un industriel libéral emprisonné depuis septembre, et Zouhair Maghzaoui, un ancien allié du président et figure de la gauche panarabiste. Ce dernier critique sévèrement le bilan de Saied, qu’il qualifie de « nul », tout en appelant à une mobilisation des électeurs.

Un scrutin controversé

Le déroulement de cette élection a été vivement critiqué, notamment par l’opposition et les ONG comme Human Rights Watch. La sélection des candidats a été drastique, avec des exigences élevées en termes de parrainages et l’éviction de personnalités susceptibles de représenter une réelle menace pour Saied. Des figures majeures de l’opposition, telles que Rached Ghannouchi, leader du parti islamo-conservateur Ennahdha, et Abir Moussi, nostalgiques de l’ère Ben Ali, sont aujourd’hui en prison.

L’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), autrefois perçue comme un garant de la démocratie, est désormais sous l’influence directe du président, qui a réformé sa composition en avril 2022, lui conférant le pouvoir de nommer ses membres. Cette mainmise sur le processus électoral fait craindre que les résultats soient biaisés, même si l’Isie a promis des résultats préliminaires d’ici mercredi.

Une population désabusée

Malgré l’importance du scrutin, une forte abstention est attendue. Les Tunisiens, préoccupés par une crise économique profonde, semblent détachés de la politique. Lors des élections législatives de 2022, seuls 11 % des électeurs s’étaient déplacés, un signe de découragement généralisé.

« L’effondrement de la participation est le meilleur indicateur du désenchantement des Tunisiens envers leurs dirigeants », explique Pierre Vermeren, expert français du Maghreb. Les préoccupations des citoyens se concentrent davantage sur la flambée des prix, les pénuries alimentaires et la chute de leur pouvoir d’achat, que sur les promesses de réformes constitutionnelles.

Vers un second mandat

Malgré les critiques, Kais Saied conserve un soutien notable, notamment parmi les classes populaires, grâce à son discours populiste promettant de lutter contre les « forces du complot » et de construire une « nouvelle Tunisie ». Ce scrutin semble une formalité pour lui, d’autant que les autres candidats ne constituent pas de véritables concurrents. Toutefois, sa réélection pourrait accentuer les tensions dans le pays, notamment face à une opposition déjà muselée et à une société civile sous pression.

Cette élection s’inscrit dans un contexte de dérive autoritaire où la justice, les médias et les partis politiques ont été affaiblis, renforçant le pouvoir quasi absolu de Kais Saied. Pour de nombreux Tunisiens, il s’agit d’un retour à une forme de dictature, près de 13 ans après le Printemps arabe.