Au Japon, une tendance inquiétante émerge parmi les personnes âgées : de plus en plus de retraités, souvent sans ressources, choisissent la prison plutôt que la vie à l’extérieur. Ce phénomène, bien qu’insolite, est le reflet d’une pauvreté endémique qui touche une partie de la population âgée. Selon un reportage de CNN, cette réalité touche particulièrement les individus les plus démunis, qui se sentent plus en sécurité et mieux pris en charge derrière les barreaux que dans la société.
Le Japon est reconnu pour son faible taux de criminalité, mais pour certains de ses citoyens âgés, la prison représente une forme de protection sociale. Loin de l’image d’un lieu de punition, les établissements pénitentiaires japonais apparaissent comme un havre de paix pour des personnes qui n’ont d’autre choix que de vivre dans la précarité. Nourriture, soins médicaux, et un toit sont garantis dans les prisons, des avantages que beaucoup de personnes âgées ne peuvent pas se permettre une fois à la retraite.
Ce phénomène a été mis en lumière lors d’une visite d’une prison de femmes, située au nord de Tokyo. Là, des détenues âgées expliquent comment leurs conditions de vie en dehors des murs pénitentiaires étaient bien plus difficiles que derrière les barreaux. « Si j’avais eu une situation financière stable, je n’aurais pas volé », raconte une Tokyoïte de 60 ans, arrêtée pour vol de nourriture. C’était son deuxième séjour en prison pour un délit similaire, un geste qu’elle ne regrette pas. À l’époque de son arrestation, elle ne possédait que 40 dollars (environ 38 euros) à sa disposition.
Le vol, en particulier celui de biens alimentaires, est l’infraction la plus fréquente parmi les détenues âgées au Japon. En 2022, plus de 80 % des femmes incarcérées de plus de 60 ans étaient emprisonnées pour des vols, souvent de faible envergure, mais symboliques de la misère dans laquelle elles vivent. Le système de protection sociale au Japon ne couvre pas toujours les besoins des retraités les plus démunis, ce qui laisse nombre de ces personnes dans une situation de grande précarité.
La pauvreté des personnes âgées au Japon est d’ailleurs un problème grandissant. Environ 20 % des Japonais de plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté, un chiffre bien plus élevé que la moyenne des pays membres de l’OCDE, où cette proportion s’élève à 14,2 %. Pour ces personnes, l’idée de finir leurs jours dans des conditions relativement dignes et sécurisées semble plus attrayante que de survivre dans la rue ou de dépendre d’une famille qui, dans beaucoup de cas, ne peut pas se permettre de les soutenir.
Ce phénomène soulève des questions profondes sur le modèle social japonais. Le pays, réputé pour sa forte cohésion sociale et ses valeurs collectives, peine à répondre aux besoins d’une population vieillissante. La prise en charge des seniors, notamment les plus fragiles financièrement, reste un enjeu majeur. En l’absence d’une aide sociale suffisante et face à une pression économique croissante, certains Japonais estiment qu’il vaut mieux se retrouver derrière les barreaux que d’affronter la misère du monde extérieur.
Les autorités japonaises, conscientes de cette tendance, cherchent à adapter leurs politiques pénitentiaires et sociales, mais le problème reste complexe. Alors que les prisons peuvent offrir une certaine forme de sécurité, elles ne constituent évidemment pas une solution durable à la pauvreté des personnes âgées. Un changement structurel dans le système de protection sociale, qui garantisse à tous les citoyens un minimum vital, semble être plus que jamais nécessaire pour éviter que ces hommes et ces femmes n’aient à faire le choix désastreux entre la liberté et la prison.
La situation est un miroir des défis sociaux contemporains du Japon : l’allongement de l’espérance de vie, la baisse de la natalité et l’augmentation de la pauvreté des seniors. Derrière cette réalité, c’est tout un modèle de société qui est remis en question.