« Nous ne sommes pas tous des Teddy Riner ou des Zinedine Zidane mais on peut accéder à ses rêves » : Yann Rayepin, le livre de sa vie (INTERVIEW)

08 juin, 2024 / Thibaud Vézirian

Le petit garçon qui rêvait d’être un champion a écrit le livre de sa vie. À 37 ans, Yann Rayepin est en pleine promotion de son premier livre, qui raconte son parcours. Celui d’un ex-champion de gymnastique. Il s’est confié à Entrevue.

Détenteur de 14 titres nationaux, individuels et par équipe, Yann Rayepin vit désormais près de Genève (Suisse), du côté français. D’abord chargé d’affaires pour de grosses entreprises, puis ingénieur d’affaires, il s’est ensuite consacré entièrement à son projet de livre. Afin de livrer sa vérité sur son parcours et aider les nouvelles générations de sportifs.

Thibaud Vézirian. Bonjour Yann, vous avez eu l’envie d’écrire ce livre, « Déraciné », qui raconte l’histoire vraie d’un petit garçon qui voulait devenir un champion. Comme beaucoup d’ailleurs. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ?

Yann Rayepin. Je suis parti très tôt de l’île de la Réunion, vers 9 ou 10 ans. Sans mes parents. Je suis d’abord arrivé en internat pour 3 ans à Avignon, ça a été un choc. Mes parents sont restés vivre à 10 000 kilomètres, à Saint-André, je suis donc devenu autonome et indépendant très tôt. Si j’ai eu une belle carrière de gymnaste, je souhaitais en raconter les péripéties, les difficultés. Et surtout parler de l’impréparation à l’après-carrière de sportif de haut niveau. Il n’y avait pas d’accompagnement pour ça. J’ai donc eu cette envie de transmettre quelque chose. À mes enfants, de 5 et 9 ans, à mes parents aussi, car à l’époque, on ne se disait pas grand chose de ce qui se passait au quotidien.

Thibaud Vézirian. Il n’y avait ni téléphone, ni visio, ni tablette. Un tout petit peu Internet dans cette fin des années 90 que vous décrivez dans votre livre. Vous vous sentiez seul ?

Yann Rayepin. J’étais seul. Sans papa, sans maman. Mais j’ai été ensuite le premier sportif de haut niveau à intégrer l’EDHEC, une école de commerce à Antibes, sans horaire aménagé pour les sportifs de haut niveau. Je bénéficie alors de la gratuité de l’école et c’est tout. Mais l’idée de ce livre n’est pas de parler de la solitude en internat. J’ai eu l’envie profonde de partager la partie immergée de l’iceberg : la reconversion professionnelle et les sport-études, dont le terme est galvaudé. Les entraineurs et fédérations ne sont pas très contents quand on veut faire des études secondaires. Ce n’est pas leur objectif du tout.

T.V. Votre reconversion professionnelle vous est rapidement apparue comme primordiale ? C’est une preuve de grande maturité quand on est adolescent ou jeune adulte.

Yann Rayepin. Préparer ma reconversion professionnelle était le plus important. Et parler de ce chemin difficile aussi. On ne parle jamais de cette zone d’ombre, ce manque d’accompagnement, on est mis sur un piédestal en tant que sportif de haut niveau mais l’accompagnement ne suit pas. Je suis allé toquer à la porte de l’EDHEC : c’était la seule école à ne pas faire d’horaires aménagées pour les sportifs de haut niveau. Ils m’ont dit d’aller d’abord passer mon concours. Je l’ai fait. Avec la deuxième meilleure note à l’oral. J’étais le premier sportif de haut niveau à intégrer l’école. J’ai été exempté d’assiduité mais pas des examens. Je devais rattraper les cours en plus de mes deux entraînements par jour.

« Le problème, c’est que ce sont toujours les mêmes qui sont là, aux commandes. »

Yann Rayepin, au sujet de la Fédération de gymnastique

T.V. Avec cet emploi du temps hyper chargé, on se dit qu’être sportif de haut niveau, en dehors du football et certains salaires mirobolants, peut-être, c’est un monde infernal si on veut viser une aussi belle carrière professionnelle derrière, non ?

Yann Rayepin. J’étais le patient zéro ! Le petit garçon que j’étais s’est bien vite rendu compte que la marche allait être assez élevée. Heureusement, tout s’est accéléré ensuite : après avoir eu mon diplôme d’entraîneur, vers 19-20 ans, l’EDHEC va me suivre jusqu’à l’INSEP en ouvrant un cursus de e-learning pour sportifs de haut niveau. J’étais le défricheur. Mais ça a été très difficile comme période, ce manque d’accompagnement. Il a fallu redoubler d’efforts. Aujourd’hui, être sportif de haut niveau ne vous garantit pas de carrière professionnelle par la suite. Les entreprises sont peu au fait du sport de haut niveau, on nous caricature de « bourrin ».

T.V. Écrire a été aussi un moyen de dénoncer de toutes les sombres affaires qui tournent autour de la Fédération de gymnastique ?

Y.R. Écrire, au début, je l’ai fait pour mes enfants. Comment ça se fait que la famille de papa est à la Réunion ? Comment ça se fait que papa était en équipe de France ? Ce sera intéressant pour eux de le lire un jour. Laisser une trace. Raconter tout ça à ma famille, mes parents. Ils ne savaient pas ce qui se passait à l’époque, comment étaient les entraineurs, comment c’était à l’entraînement. Il ne fallait pas communiquer. La Fédération a connu beaucoup d’histoires très limites. Ce partage d’expériences permet de faire évoluer les choses. Je n’ai pas été confronté à ces problèmes-là, même si c’était à mon époque. Ça correspondait à une façon de faire, où ce n’était pas grave s’il y avait de la casse. Le problème, c’est que ce sont toujours les mêmes qui sont là, aux commandes. C’est très compliqué pour un ancien sportif de haut niveau de rester ami avec cette Fédération. Je n’ai pas eu de rancœur en écrivant mais ce livre, c’était une main tendue pour mettre des choses en place, changer, évoluer. Et accepter les erreurs. Je ne peux pas dire que ça en prenne le chemin.

T.V. On peut tout de même dire que certaines affaires ont éclaté, notamment via des témoignages de femmes.

Y.R. Côté masculin, il y a eu beaucoup moins de courage que du côté féminin pour dévoiler des choses, dénoncer, tenir ensemble. L’omerta est plus présente chez les garçons. Mais mon combat, comme je n’ai pas été confronté à des violences physiques, c’est autre chose. Des violences morales, oui, j’en ai connu. Un manque d’accompagnement au niveau de la Fédération, oui, c’est clair. Une personne en charge de la formation me disait ne pas connaître l’EDHEC et que ça ne me servirait à rien d’intégrer cette école. Et maintenant cette personne est chargée de la reconversion professionnelle des athlètes depuis la Fédération, c’est absurde…

T.V. Avec autant de bâtons dans les roues, comment vous vous en êtes sorti ?

Y.R. J’ai eu la chance d’avoir un mental. Et on le renforce au fur et à mesure des expériences. Beaucoup de jeunes se cassent la gueule parce qu’ils ne peuvent pas suivre mentalement. On n’avait pas de téléphone à l’époque, à la fin des années 1990. Dans le froid, sans papa, sans maman. Même s’il y a pire qu’Avignon. Le choc était déjà là. C’est un livre qui s’appuie sur le fait de vouloir vivre ses rêves. Je me suis accroché, j’ai passé outre, j’ai franchi ces barrières, je suis venu pour ça. Et je vais réussir. Nous ne sommes pas tous des Teddy Riner ou des Zinedine Zidane mais on peut accéder à ses rêves. Je raconte ce parcours-là, ce déracinement-là. Quand on quitte le cocon familial.

T.V. Hormis les titres, quelle a été votre plus grande satisfaction ?

Y.R. Tout ! 14 titres nationaux, une médaille européenne, un diplôme de l’EDHEC, être élève à Sciences Po Paris, travailler avec les Nations Unis pour lutter contre le décrochage scolaire à Madagascar… Tout, tout ! Ce livre, c’est une nouvelle aventure. J’ai rencontré l’écrivain et enseignant Alain Mabanckou, au salon du livre à Genève, il m’a félicité. C’est génial. Et réussir à attirer l’attention des médias, c’est beau aussi.


Yann Rayepin, auteur de « Déraciné » (en auto-édition), 200 pages, 22 euros. Pour commander.