Meurtre de Philippine : la lettre poignante d’une précédente victime du suspect

30 septembre, 2024 / Entrevue

Une jeune femme, victime de viol en 2019 par Taha O., aujourd’hui suspecté du meurtre de Philippine, a brisé le silence dans une lettre bouleversante. Elle y réclame la mise en place d’une commission d’enquête sur la récidive des crimes sexuels, questionnant le système pénitentiaire français.

« Philippine aurait pu être ma sœur »

C’est dans un message adressé à l’AFP que cette femme, souhaitant conserver son anonymat, s’est exprimée pour la première fois depuis la découverte du corps de Philippine. Cette étudiante de 19 ans, inscrite à l’université Paris-Dauphine, a été retrouvée morte et enterrée dans le bois de Boulogne. Une enquête judiciaire a été ouverte pour viol et homicide, et Taha O., un ressortissant marocain de 22 ans, est désigné comme le principal suspect.

La victime de 2019 avait joué un rôle décisif dans l’arrestation de Taha O. à l’époque. Alors âgée de 23 ans, elle avait réussi à obtenir des informations sur son agresseur en le persuadant de se revoir, permettant ainsi aux enquêteurs de le localiser et de l’arrêter rapidement. Cet acte de sang-froid avait conduit à la condamnation de Taha O. à sept ans de prison. Cependant, avec les réductions de peine prévues par la loi, il fut libéré au bout de cinq ans.

Le meurtre de Philippine, survenu peu après sa libération, a profondément marqué cette première victime : « J’ai tout fait pour empêcher une récidive », écrit-elle. « J’ai porté plainte pour que ce viol soit reconnu, pour protéger d’autres femmes. Pourtant, à sa libération, il aurait récidivé et commis l’irréparable. »

Le système pénitentiaire en question

Dans sa lettre, la victime exprime son incompréhension et sa colère quant à l’échec du système à prévenir la récidive de Taha O. Elle se demande : « Pourquoi le système pénitentiaire a-t-il échoué à prévenir cette récidive ? Pourquoi n’a-t-on pas su arrêter cette escalade de la violence jusqu’au meurtre d’une jeune femme ? »

Elle soulève également le problème de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), à laquelle Taha O. était soumis mais qui n’a pas été exécutée. Cette question a déclenché de vives réactions dans la sphère politique, notamment au sein de l’extrême droite. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a même appelé à renforcer l’arsenal juridique pour mieux protéger les citoyens français.

Cependant, la rédactrice de la lettre insiste pour que l’échec de l’OQTF ne soit pas le seul point de discussion. « Les raisons de ce dysfonctionnement doivent être éclaircies », écrit-elle, « mais cela ne doit pas oblitérer la question primordiale de la récidive. » Elle met également en lumière l’absence de dispositifs de coopération internationale efficaces pour prévenir la récidive des criminels expulsés.

La lettre se termine par un appel à la mise en place d’une commission d’enquête sur la prévention de la récidive des crimes sexuels et sexistes. La victime questionne l’efficacité des mesures mises en place en détention pour limiter les risques de récidive : « Quelles mesures de prévention de la récidive sont réellement mises en place dans les centres de détention ? Quel est l’impact de la détention sur la réduction des risques de récidive ? »

Elle souligne l’importance d’une approche collective pour examiner les lacunes du système et mettre en place des solutions concrètes : « Il me semble essentiel que nous nous interrogions collectivement sur l’effectivité des moyens mis en place et ceux à créer pour que ce qui est arrivé ne se reproduise plus. »

Au-delà des frontières : un humanisme à défendre

En réponse aux débats centrés principalement sur l’expulsion des délinquants étrangers, la lettre rappelle que « notre fraternité, notre humanisme, ne peut pas s’arrêter aux portes de nos frontières ». La victime insiste sur la nécessité de développer une réponse globale face à la violence sexuelle, au-delà de la simple question de l’expulsion.

Ce témoignage est un rappel poignant de l’échec du système à protéger les victimes potentielles et la nécessité urgente de revoir les politiques de gestion des criminels sexuels. En appelant à une commission d’enquête, la victime cherche à mettre fin à une tragédie qui, selon elle, aurait pu être évitée.

« Philippine aurait pu être ma sœur », écrit-elle, soulignant à quel point cette tragédie la touche personnellement. « Je ne peux être la voix de Philippine, je ne suis que la mienne. Mais la parole que je porte se joint à celle des femmes qui ont lutté et qui luttent encore aujourd’hui contre les violences sexistes et sexuelles. »

Cette lettre met en lumière le besoin d’une réponse sociale forte face à la récidive des crimes sexuels et rappelle que, malgré les efforts individuels des victimes pour obtenir justice, le système peut parfois échouer à les protéger ainsi que d’autres innocents.


L’intégralité de la lettre :


« Je suis la première victime de Taha O. Je pense à Philippine et à sa famille, et je suis immensément triste. J’aimerais les réconforter, la réconforter, mais je ne fais face qu’au vide insupportable laissé par sa mort.
J’ai tout fait pour que ce qui m’est arrivé ne se répète pas. J’ai porté plainte pour que le viol que j’ai subi soit nommé et reconnu, que mon agresseur soit reconnu coupable et moi, victime. J’ai tenu bon pendant les deux ans d’enquête, d’instruction et de procès en me disant que ma démarche protégerait d’autres femmes.
La  justice a été faite, mon agresseur a été condamné à la peine quasi-maximale encourue pour ce type de crime commis par un mineur et a été incarcéré. Immédiatement après sa libération, il aurait récidivé et commis l’irréparable. Si tel est effectivement le cas, pourquoi ? Pourquoi le système pénitentiaire a-t-il failli à prévenir cette récidive ? Pourquoi n’a-t-on pas su arrêter cette escalade de la violence jusqu’au meurtre d’une jeune femme ?
La dangerosité de Taha O. était connue. Un homme qui viole une femme est dangereux. Qu’il soit inconnu de sa victime ou son mari, qu’il soit étranger ou français, que le viol ait eu lieu dans une forêt ou dans un appartement conjugal. Le viol est un crime. Il est le radical de la violence, il contient en son sein une négation de l’autre, de son droit à être et à exister.
Une obligation à quitter le territoire français (OQTF) avait été émise à l’encontre de mon agresseur.
Celle-ci n’a pas été exécutée. Les raisons de ce dysfonctionnement devront être éclaircies et ces failles corrigées. Ces questions ne doivent cependant pas oblitérer la question primordiale de la prévention de la récidive. Quand bien même cette OQTF aurait été respectée, quels dispositifs de coopération internationale existent pour prévenir la récidive de crimes sexistes et sexuels de criminels expulsés ? Notre fraternité, notre humanisme, ne peut pas s’arrêter aux portes de nos frontières.
Je souhaiterais le lancement d’une commission d’enquête sur la prévention de la récidive dans les cas de crimes sexuels et sexistes. Quelles mesures de prévention de la récidive sont prévues et effectivement mises en place dans les centres de détention ? Quel est l’impact de la détention dans la réduction des risques de récidives ? Quels programmes d’accompagnement à la réinsertion sont prévus ? Il me semble essentiel que nous nous interrogions collectivement sur l’effectivité des moyens mis en place et ceux à créer pour que ce qui est arrivé ne se reproduise plus.
Philippine aurait pu être ma sœur. Je ne peux être sa voix, je ne suis que la mienne. La parole que je porte se joint à celle des femmes qui ont lutté et luttent encore aujourd’hui contre les violences sexistes et sexuelles. ».