Lucrecia Martel : Une rétrospective au Centre Pompidou interroge le passé et le présent de l’Argentine

Entrevue 1

Le Centre Pompidou célèbre jusqu’au 1er décembre l’œuvre unique de la réalisatrice argentine Lucrecia Martel. Réputée pour ses récits à la fois intimes et profondément politiques, la cinéaste offre, à travers ses films, une réflexion puissante sur le passé colonial, les désordres familiaux et les tensions sociales de son pays natal. La rétrospective met à l’honneur ses quatre longs-métrages La Ciénaga (2001), La Niña Santa (2004), La Femme sans tête (2008) et Zama (2017), ainsi que plusieurs courts-métrages et œuvres documentaires. Cette exploration est enrichie par une série de rencontres, de projections et la publication d’un ouvrage consacré à son travail, Lucrecia Martel – La Circulation.

Un cinéma organique et engagé

Née à Salta, dans une région rurale et conservatrice du nord de l’Argentine, Lucrecia Martel ancre ses récits dans les contradictions de sa propre histoire. Ses premiers films, souvent qualifiés de « trilogie de Salta », explorent les non-dits familiaux et les divisions de classe, tout en dénonçant le racisme latent et l’oppression coloniale. Ce qui l’intéresse, ce ne sont pas les films eux-mêmes, mais la circulation des idées, des affects et des discussions qu’ils provoquent. Son approche cinématographique se distingue par une attention extrême au son, qu’elle considère comme l’élément le plus immersif du cinéma.

En 2017, Zama marque une rupture avec ses œuvres précédentes, abordant de manière frontale l’histoire coloniale argentine. Ce film, tiré du roman d’Antonio Di Benedetto, illustre la stagnation et l’aliénation d’un fonctionnaire espagnol en quête de reconnaissance dans les colonies. L’artiste soutient qu’en imposant une langue et une culture, on établit un contrôle sans avoir besoin de soldats.

Une voix essentielle face aux bouleversements politiques

Alors que l’Argentine traverse une période d’incertitudes sous la présidence controversée de Javier Milei, l’engagement de Lucrecia Martel en faveur de la culture et des récits alternatifs résonne avec force. Actuellement, elle travaille sur Chocobar, un documentaire consacré à l’assassinat en 2009 de Javier Chocobar, un militant autochtone pour les droits à la terre. Ce projet prolonge son exploration des luttes sociales et de la nécessité de réécrire les récits dominants.

La rétrospective est une invitation à plonger dans un cinéma qui questionne avec audace les structures de pouvoir et les mémoires collectives. Plus qu’une célébration, c’est un appel à élargir notre champ de vision et à réinventer les récits qui nous façonnent.

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