L’ours polaire, une merveille de la nature dont la fourrure ne gèle jamais

Entrevue 1

Les ours polaires sont parfaitement adaptés à leur habitat glacial de l’Arctique. Ils possèdent une fourrure blanche, une peau épaisse et grasse, des griffes acérées et peuvent courir à une vitesse de 40 km/h.
Aujourd’hui, les chercheurs ont découvert que ces grands prédateurs de l’Arctique possèdent un pouvoir caché fascinant, observable dans n’importe quel documentaire sur la faune : leur fourrure ne retient pas la glace.

Selon une nouvelle étude publiée dans la revue Science Advances, une substance graisseuse sécrétée par les glandes de la peau des ours polaires les aide à survivre dans des conditions extrêmes en empêchant leur fourrure de geler, même par des températures inférieures à zéro.

La quête d’une explication
Bodil Holst, physicienne à l’Université de Bergen en Norvège et auteure principale de l’étude, explique que son intérêt pour la fourrure des ours polaires a commencé il y a cinq ans après avoir regardé un jeu télévisé sur les animaux de l’Arctique. Elle avait remarqué que les ours apparaissaient à peine sur les caméras thermiques, ce qui signifiait que leur fourrure était à la même température que l’environnement.

Dans une interview accordée à Al Jazeera Net, elle ajoute : « J’ai compris que cela signifiait que la température externe de leur fourrure était inférieure au point de congélation, mais je n’ai jamais vu un ours polaire couvert de glace dans un documentaire sur la faune, même après avoir plongé dans de l’eau glacée avant de retourner sur la terre ferme pour manger sa proie. »

En règle générale, les poils des mammifères gèlent lorsqu’ils sont mouillés par temps froid. Holst s’est donc demandé pourquoi ce phénomène ne se produisait pas chez les ours polaires, contrairement à d’autres mammifères vivant dans des environnements froids, comme le bœuf musqué ou même les explorateurs polaires à la barbe givrée.

N’ayant trouvé aucune réponse auprès des chercheurs de l’Institut polaire norvégien, elle a réuni une équipe internationale de 12 scientifiques pour étudier la résistance au gel de la fourrure des ours polaires.

Dans un premier temps, Holst pensait que cette propriété était liée à la structure des poils des ours, mais une analyse microscopique a montré qu’ils ressemblaient beaucoup aux cheveux humains. Elle a alors décidé d’examiner les graisses présentes dans la fourrure.

Une composition graisseuse anti-gel
Dans une approche pluridisciplinaire, les chercheurs ont congelé des blocs de glace sur différents matériaux, y compris de la fourrure d’ours polaire lavée et non lavée, des cheveux humains contenant leur graisse naturelle, ainsi que des revêtements de skis traités avec des fluorocarbones, substances chimiques utilisées pour réduire la friction.

Ils ont ensuite mesuré la force nécessaire pour détacher la glace de chaque matériau. Julian Carolan, chimiste au Trinity College de Dublin et co-auteur de l’étude, a même utilisé ses propres cheveux pour l’expérience.

Les résultats ont montré que la fourrure d’ours polaire non lavée, riche en graisse, était aussi efficace que les revêtements de skis traités aux fluorocarbones pour empêcher l’adhérence de la glace. En revanche, la fourrure lavée et les cheveux humains étaient beaucoup plus sujets à l’accumulation de glace.

L’étude a révélé que la force nécessaire pour retirer la glace de la fourrure d’ours polaire était quatre fois plus faible que celle requise pour la fourrure lavée ou les cheveux humains. Cela signifie que les ours peuvent se débarrasser facilement de la glace qui pourrait s’y accumuler.

Holst et son équipe ont démontré que cette résistance au gel provient des graisses naturelles sécrétées sur les poils, et non de la structure même de la fourrure. Cette couche lipidique joue un rôle clé dans l’effet anti-gel.

Une analyse chimique a montré que cette graisse, appelée sébum, contient un mélange de cholestérol, de diacylglycérol et d’autres acides gras, se distinguant ainsi du sébum d’autres mammifères, y compris les humains.

De plus, la graisse des ours polaires ne contient pas de squalène, une molécule courante dans les cheveux humains et la fourrure de nombreuses espèces marines comme les loutres. Or, cette substance favorise l’adhérence de la glace. L’absence de squalène dans le sébum des ours polaires pourrait donc être un facteur clé de leur résistance au gel.

Cette composition unique réduit considérablement l’adhérence de la glace sur leur fourrure, leur permettant de survivre dans des conditions extrêmes.

Une connaissance ancestrale des peuples de l’Arctique
Cette découverte scientifique vient confirmer un savoir ancien des peuples autochtones de l’Arctique.

Les Inuits, par exemple, ont longtemps exploité ces propriétés en traitant la fourrure d’ours polaire de manière à préserver son sébum. Contrairement aux méthodes de tannage utilisées pour d’autres types de fourrures, leur technique permettait de conserver ses caractéristiques anti-gel.

Ils utilisaient également la fourrure de différentes manières. Certains chasseurs inuits du Groenland portaient des vêtements en peau d’ours polaire pour se déplacer discrètement sur la glace. D’autres plaçaient des morceaux de fourrure sous les pieds de leurs sièges pour éviter qu’ils ne collent à la glace dans des conditions extrêmes.

Ils fabriquaient aussi des bottes en peau d’ours polaire, leur permettant de marcher silencieusement sur la glace lorsqu’ils traquaient les phoques, tout comme les ours polaires qui attendent patiemment leurs proies près des trous de respiration dans la banquise.

Des applications inspirées de la fourrure d’ours polaire
Après avoir compris comment les ours polaires restent secs et au chaud, Holst estime que « cette étude offre des pistes pour développer des matériaux anti-gel d’origine naturelle, fournissant une alternative plus écologique aux solutions chimiques actuellement utilisées ».

Les chercheurs espèrent que cette découverte conduira à la mise au point de nouvelles technologies inspirées de la graisse des ours polaires, permettant de remplacer certains produits contenant des substances chimiques nocives, comme les perfluoroalkyl et polyfluoroalkyl (PFAS).

Par exemple, la proportion spécifique de glycérine et de cire dans la graisse des ours polaires pourrait inspirer de nouveaux revêtements anti-gel pour les skis et d’autres surfaces exposées aux intempéries, en remplacement des produits chimiques industriels actuels.

Ces substances, surnommées « polluants éternels » en raison de leur persistance dans l’environnement, sont couramment utilisées dans les poêles antiadhésives, les vêtements imperméables, les emballages alimentaires et de nombreux autres produits. Cependant, des recherches indiquent qu’elles peuvent contaminer les eaux souterraines et être associées à des risques sanitaires, notamment le cancer et l’infertilité.

La graisse naturelle des ours polaires rivalise avec certaines des fibres synthétiques les plus avancées utilisées pour résister au gel.

L’équipe de Holst explore actuellement des applications plus écologiques, sans fluorocarbures, pour le développement de cires de ski (interdites en Norvège pour des raisons environnementales), de lubrifiants et même de liquides de dégivrage pour les avions.

Les chercheurs estiment que les ingénieurs pourraient s’inspirer des composants présents dans la graisse des ours polaires, comme la cire capillaire, pour concevoir des produits plus sûrs destinés aux personnes travaillant dans des environnements froids.

Cette découverte révolutionnaire pourrait ainsi ouvrir la voie à des innovations inspirées de la nature, tout en réduisant notre dépendance aux produits chimiques polluants

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