L’intelligence artificielle (IA) pourrait être à l’origine d’un tournant majeur, mais de nombreux dirigeants d’entreprise négligent certaines vérités fondamentales, comme l’écrit la Dr Kelly Monahan (*), experte du futur du travail.
Restructuration des entreprises et des activités
L’IA est sur le point de transformer les entreprises, mais beaucoup de dirigeants simplifient à l’excès ses capacités, en se concentrant sur l’automatisation plutôt que sur la collaboration.
Ayant consacré ma carrière à l’étude du futur du travail, je suis enthousiaste quant aux promesses de l’IA, mais je reste prudente face aux récits hâtifs qui l’entourent.
Renforcement des activités ou automatisation du travail ?
J’ai récemment examiné une étude menée par Anthropic intitulée « Quelles tâches économiques peuvent être réalisées grâce à l’IA ? », basée sur des millions de conversations avec le système intelligent Claude. J’ai constaté que l’impact réel de l’IA n’est pas aussi évident que beaucoup le pensent. Bien que l’IA transforme le monde des affaires, les dirigeants ignorent des faits clés sur ses implications et ses applications dans la réalité.
Idées fausses
Voici quelques points sur lesquels beaucoup se trompent encore à propos de l’IA :
- L’IA est plus axée sur l’amélioration que sur l’automatisation
D’après les résultats d’Anthropic, l’IA ne correspond pas parfaitement au modèle d’un moteur d’automatisation optimal. Les données montrent un équilibre plus nuancé entre le renforcement des activités (57 %) et leur automatisation (43 %).
Pourtant, une étude que nous avons menée au début de l’année dernière a révélé que 58 % des dirigeants mondiaux considèrent l’IA comme un outil d’automatisation destiné à réduire le personnel et les coûts, tandis que 42 % seulement la perçoivent comme un moyen d’amplifier les capacités humaines.
L’IA excelle dans la collaboration avec l’humain
Cette vision ignore un principe fondamental : l’IA brille souvent lorsqu’elle travaille avec les humains, plutôt que lorsqu’elle les remplace. En effet, l’étude d’Anthropic a révélé que près d’un quart (23,3 %) des tâches dans les interactions IA concernent l’apprentissage ou l’acquisition de connaissances. Cela signifie que les humains utilisent l’IA pour recueillir des insights, affiner leurs stratégies et prendre des décisions plus éclairées.
Un rôle administratif et de supervision limité
- Le rôle administratif de l’IA est restreint
Le biais en faveur de l’automatisation se retrouve aussi dans la perception des capacités administratives de l’IA. Beaucoup supposent que l’IA peut coordonner des projets, superviser des équipes ou même prendre des décisions stratégiques. Pourtant, les données d’Anthropic montrent que les capacités administratives de l’IA restent limitées, ce qui souligne les restrictions pratiques des outils actuels.
Une gestion efficace ne se résume pas à la supervision et à l’optimisation des processus, mais repose aussi sur l’empathie, la communication et la capacité à inspirer et guider les individus. L’IA peut analyser des données, rédiger des recommandations et même aider aux évaluations de performance, mais elle ne peut pas remplacer les qualités humaines essentielles au leadership.
En d’autres termes, l’IA peut aider les managers à être plus efficaces, en identifiant des tendances clés ou en fournissant un feedback instantané, mais elle ne les remplacera pas de sitôt.
Des outils pour les tâches, pas pour occuper des postes
- L’impact de l’IA sur le travail concerne les tâches, et non les titres de poste
De nombreux dirigeants évaluent l’IA comme si elle remplaçait directement des rôles entiers, alors qu’en réalité, elle s’intègre dans les flux de travail à un niveau granulaire.
C’est pourquoi certains sous-estiment la manière dont l’IA redéfinit la structure des emplois. Un poste est avant tout un ensemble de tâches, dont certaines sont routinières et d’autres créatives.
L’analyse des rôles pour identifier les tâches pouvant être prises en charge par l’IA est essentielle. Une statistique frappante du rapport d’Anthropic révèle que 36 % des emplois utilisent l’IA dans au moins 25 % de leurs tâches. Ces tâches impliquent souvent des compétences cognitives avancées, telles que la pensée critique et l’analyse des systèmes.
L’IA est également utilisée pour l’écoute active, la compréhension de texte et l’aide à la rédaction, mais elle ne prend pas en charge l’ensemble des responsabilités d’un poste dans son intégralité.
Les dirigeants qui ne font pas la distinction entre tâches et titres de poste risquent de sous-estimer la véritable valeur de l’IA et de mal positionner leur organisation.
Des écarts dans l’adoption de l’IA
- Les taux d’adoption de l’IA ne sont pas aussi élevés que le battage médiatique le laisse entendre
On s’attendait à ce que 80 % ou plus des emplois intègrent rapidement l’IA dans au moins 10 % de leurs tâches. Pourtant, les données réelles d’Anthropic révèlent que ce chiffre est plutôt de 57 %. C’est un écart significatif que les dirigeants doivent prendre au sérieux.
Les entreprises ne sont pas prêtes pour l’IA
Ce n’est pas le potentiel transformateur de l’IA qui est en cause, mais la capacité des entreprises à l’adopter. Les obstacles sont nombreux : contraintes réglementaires, infrastructures IT obsolètes, manque de formation, etc.
Comme je le rappelle souvent aux dirigeants, le déploiement réussi de l’IA ne dépend pas seulement de la technologie, mais aussi de l’évolution culturelle, du développement des compétences et d’une stratégie d’intégration impliquant tous les niveaux de l’organisation.
Un besoin de formation à tous les niveaux
- L’éducation et la sensibilisation à l’IA sont essentielles
L’étude d’Anthropic indique que l’utilisation de l’IA n’est pas plus élevée chez les personnes ayant reçu une formation spécialisée intensive. Cela peut sembler contre-intuitif, mais ceux qui possèdent des diplômes avancés travaillent souvent dans des domaines régulés ou aux cadres de pensée complexes qui nécessitent une supervision humaine importante.
À mesure que nous préparons la prochaine génération à un environnement de travail où l’IA est omniprésente, nous devons leur apprendre à intégrer efficacement ces outils dans leur expertise, et pas seulement à les programmer.
Comprendre l’IA, c’est savoir à la fois ses limites et son potentiel, c’est reconnaître quand elle est un allié précieux et quand elle est un substitut insuffisant à l’intelligence humaine.
Changer la mentalité des dirigeants
Nous devons passer de « l’IA contre les humains » à « l’IA avec les humains ».
Le principal enseignement pour les dirigeants est le suivant : ne précipitez pas la transformation de votre entreprise en pensant uniquement à remplacer les humains par l’IA. Concentrez-vous plutôt sur l’amélioration de la créativité humaine.
Les meilleures entreprises seront dirigées par des leaders possédant de l’empathie, une vision stratégique et des compétences de communication précises – des qualités que l’IA ne peut que partiellement soutenir à ce jour.
Si nous avons appris quelque chose des dernières décennies, c’est que ce n’est pas la technologie seule qui définit le succès, mais la manière dont nous nous y adaptons. Et c’est un défi profondément humain.
(*) Kelly Monahan est directrice générale chez Upwork et dirige le programme de recherche sur le futur du travail. Elle a précédemment occupé le poste de directrice du futur du travail chez Meta.
Article publié dans Fast Company, avec l’aimable autorisation de Tribune Media Services.