Dans un entretien accordé au Point, Gebran Bassil, président du Courant patriotique libre (CPL) et principal allié chrétien du Hezbollah, a exprimé des critiques ouvertes contre son partenaire politique chiite. Face à la montée des tensions avec Israël, Bassil a plaidé pour l’arrêt des hostilités engagées par le Hezbollah en soutien à Gaza, estimant que cette guerre va à l’encontre des intérêts du Liban.
Les limites de l’alliance avec le Hezbollah
Depuis 2006, le CPL de Bassil est lié au Hezbollah par un accord stratégique, scellé sous la présidence de son beau-père, Michel Aoun, afin de renforcer la coopération entre chrétiens et chiites dans les institutions libanaises. Cependant, cette alliance montre aujourd’hui ses fragilités. Alors que le Hezbollah est engagé militairement contre Israël depuis le 8 octobre 2023, Bassil s’oppose fermement à cette stratégie, soulignant que le Liban ne devrait pas payer le prix d’une guerre qui ne le concerne pas directement.
« Le rôle du Liban n’est pas de libérer la Palestine. Nous avons le droit de défendre notre territoire, mais nous ne devrions pas nous engager dans une guerre pour soutenir Gaza », a déclaré Bassil.
Depuis le début des affrontements, les bombardements israéliens ont causé la mort de plus de 700 personnes au Liban, dont une grande majorité de civils, et ont forcé près de 90 000 Libanais à fuir leurs foyers. Bassil déplore le lourd tribut payé par son pays : « Israël ne se contente pas d’attaquer le Hezbollah. Ils ciblent tout le Liban, détruisant maisons et infrastructures. »
Il critique également l’inaction de la communauté internationale face à ce qu’il décrit comme des « atrocités » perpétrées par Israël, rappelant que le Conseil de sécurité des Nations unies n’a toujours pas condamné ces frappes.
La stratégie du Hezbollah remise en question
Pour Bassil, la décision du Hezbollah d’ouvrir un nouveau front en solidarité avec Gaza n’est pas seulement imprudente, mais également contre-productive. « Nous avons connu 17 ans de stabilité après 2006, une période qui a permis de signer un accord sur les frontières maritimes avec Israël et d’attirer des investissements. Aujourd’hui, cette guerre détruit tout », a-t-il regretté.
L’ancien ministre des Affaires étrangères estime que la priorité du Liban devrait être de se préserver en tant qu’État souverain et stable, surtout dans le contexte d’une crise politique et économique aiguë. « Nous n’avons ni président, ni gouvernement légitime, et notre économie est en ruine. Ce n’est pas le moment de nous engager dans un conflit pour une autre cause que la nôtre. »
Bassil appelle donc le Hezbollah à cesser ses attaques contre Israël. « Nous devons défendre notre territoire, mais cela ne signifie pas que nous devons déclencher une guerre totale en soutien à Gaza », a-t-il insisté, tout en reconnaissant que le Hezbollah, jusqu’à présent, a fait preuve de retenue en évitant une escalade plus large.
Cette position marque un tournant dans les relations entre le CPL et le Hezbollah, Bassil réaffirmant que l’accord entre les deux partis était centré sur la défense du Liban, et non sur une offensive régionale : « Nous avons toujours parlé de stratégie défensive, jamais de stratégie d’attaque. »
La paix avec Israël, un objectif sous conditions
Sur la question de la normalisation avec Israël, Bassil rappelle que le Liban est toujours attaché à l’initiative arabe de 2002, qui conditionne toute paix avec Israël à la restitution des territoires occupés. « Nous sommes pour la paix, mais une paix juste, qui respecte nos droits », a-t-il déclaré, en opposition à une normalisation unilatérale comme celle engagée par certains pays arabes avec les accords d’Abraham.
Pour le leader du CPL, la priorité doit rester la protection de la souveraineté libanaise et la reconstruction de l’État. En refusant de se laisser entraîner dans une guerre ouverte, Gebran Bassil tente de repositionner son parti en tant que défenseur des intérêts nationaux, au-delà des clivages confessionnels et des alliances régionales.