L’histoire a parfois un sens de l’ironie mordant. Quatre-vingts ans après que les panzers allemands ont déferlé vers l’Est dans une guerre d’anéantissement, voilà que la Bundeswehr s’installe à nouveau aux portes de la Russie. Cette fois-ci, c’est sous la bannière de l’OTAN et avec la bénédiction de ses hôtes que l’Allemagne franchit un Rubicon symbolique : pour la première fois depuis 1945, des soldats allemands s’établissent en garnison permanente face à Moscou. Un tournant géopolitique qui fait voler en éclats les derniers tabous de l’après-guerre et redessine la carte militaire européenne.
La 45e brigade blindée : le retour du militarisme allemand en terre balte
Ce n’est pas une simple rotation de troupes que Berlin envoie en Lituanie, mais une force de frappe conséquente. La 45e brigade blindée, fraîchement créée pour l’occasion, alignera 5 000 soldats équipés pour le combat de haute intensité. Inaugurée en grande pompe à Vilnius, cette unité s’installe d’abord dans un quartier général temporaire avant de prendre ses quartiers définitifs à Rūdninkai d’ici 2027. « Notre mission est claire. Nous devons assurer la protection, la liberté et la sécurité de nos alliés lituaniens ici, sur le flanc oriental de l’OTAN », déclare sans ambages le général Christoph Huber, comme pour exorciser les fantômes du passé.
De l’Afghanistan à Kaliningrad : la métamorphose stratégique allemande
La différence est fondamentale avec les précédentes missions extérieures de la Bundeswehr. En Afghanistan, les soldats allemands venaient, combattaient et repartaient. En Lituanie, ils s’installent, construisent et restent. Cette présence permanente, à quelques kilomètres seulement de l’enclave russe de Kaliningrad et de la Biélorussie, marque l’aboutissement d’une transformation radicale de la doctrine militaire allemande. L’Allemagne pacifiste et réticente à l’usage de la force, née des cendres du Troisième Reich, cède définitivement la place à une puissance militaire assumée, prête à défendre le flanc oriental de l’Alliance. Pour la Lituanie, coincée entre la Russie et son vassal biélorusse, l’arrivée de ces troupes représente bien plus qu’un simple renfort militaire. C’est l’assurance que cette fois-ci, contrairement aux heures sombres du XXe siècle, l’Allemagne se tiendra aux côtés des Baltes face à toute menace venue de l’Est. Une ironie de l’histoire que ni Hitler, ni Staline n’auraient pu imaginer.