« Le Testament de Charles » : Destin et dilemmes d’un officier africain
Dans Le Testament de Charles, Christian Eboulé plonge au cœur des ultimes pensées du capitaine Charles Ntchongwè, inspiré de Charles N’Tchoréré, officier gabonais naturalisé français, héroïquement tombé sous les balles nazies en 1940. Alors que son exécution approche, Charles, pris dans le tourbillon de souvenirs et de réflexions, s’interroge sur les choix de sa vie. A-t-il eu raison de renoncer à sa culture pour se faire accepter par une France coloniale ? C’est dans cette lucidité amère, où l’histoire personnelle se mêle à la grande Histoire, que se dessine le portrait complexe d’un homme tiraillé entre le devoir militaire et la quête identitaire.
Eboulé, journaliste pour TV5Monde, choisit le roman pour aborder la mémoire d’un homme qui symbolise le destin des soldats africains au service de la France. Charles revient sur sa vie de manière introspective, des bancs de l’internat religieux au Gabon à son parcours militaire en France, revisitant ainsi les humiliations, le racisme et la bravoure qui ont marqué son existence. Au-delà de l’individu, l’auteur dresse un tableau de l’histoire coloniale française, exposant les sacrifices souvent ignorés de ces hommes prêts à mourir pour un pays qui les a si peu considérés. Ce choix de la fiction, avec ses libertés narratives, permet à Eboulé de saisir les nuances émotionnelles de son personnage, d’autant plus poignantes à l’approche de sa mort.
Au cœur de cette réflexion se tient la figure fictive de son grand-père, Okili, symbole de la tradition et des racines africaines. Dans ce dialogue intérieur, Okili incarne la voix de la sagesse ancestrale, rappelant à Charles l’importance de sa culture d’origine face à l’assimilation imposée par la France. Ce conflit entre modernité et enracinement culturel constitue l’une des trames centrales du roman, soulignant la complexité de l’expérience coloniale pour les Africains. Charles, en renonçant à certains aspects de son identité pour avancer socialement, prend conscience qu’il a peut-être trahi une partie de lui-même.
Enfin, le roman aborde aussi la participation des tirailleurs africains dans les guerres européennes et les débats qu’elle suscite. Eboulé place en exergue un extrait du poème Thiaroye de Senghor, rappelant le massacre de soldats africains après leur retour de la guerre, une tragédie qui résonne avec le destin de Charles. Ce choix souligne le poids historique des injustices vécues par ces hommes et rend hommage à leur courage. À travers Le Testament de Charles, Christian Eboulé ouvre une fenêtre sur le passé pour mieux comprendre les défis de l’identité et les cicatrices laissées par la colonisation.