La rupture est brutale et inattendue. Dans la nuit de jeudi à vendredi, les autorités tchadiennes ont annoncé la fin de l’accord de coopération militaire signé avec la France en 1966. Une décision qui intervient dans un contexte tendu pour l’influence française en Afrique, et qui marque un tournant stratégique pour N’Djamena. Cette annonce a surpris d’autant plus qu’elle a suivi de quelques heures une visite jugée cordiale du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, auprès de son homologue tchadien Abderaman Koulamallah.
Une décision symbolique de souveraineté
Le Tchad a présenté cette rupture comme un acte de souveraineté nationale. Selon le ministre Koulamallah, il est temps pour le pays de redéfinir ses alliances en fonction de ses priorités stratégiques. « La France doit désormais considérer que le Tchad est un État souverain, jaloux de son indépendance », a-t-il déclaré, tout en précisant que la transition serait « harmonieuse » et respectueuse des modalités prévues par l’accord.
En dépit de cette prise de distance, le gouvernement tchadien a assuré que cette décision ne remettait pas en cause les liens d’amitié historiques entre les deux pays. Toutefois, le rapprochement du Tchad avec d’autres puissances, notamment la Russie, ces dernières années, éclaire d’un jour nouveau cette volonté d’émancipation vis-à-vis de Paris.
Cette rupture marque une nouvelle étape dans le retrait progressif des forces françaises d’Afrique, amorcé depuis plusieurs années. Après les départs du Mali, du Burkina Faso et du Niger, le Tchad, souvent présenté comme un pilier de la présence militaire française au Sahel, tourne lui aussi la page. À cela s’ajoute une déclaration récente du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, affirmant qu’il n’y aurait bientôt plus de bases militaires françaises sur son territoire.
Ces annonces s’inscrivent dans un contexte global de rejet croissant de l’influence française en Afrique, alimenté par une rhétorique souverainiste et par l’influence de puissances comme la Russie, la Chine ou la Turquie, qui proposent des partenariats alternatifs.
Un contexte sécuritaire tendu
Malgré cette rupture, le Tchad reste confronté à des défis sécuritaires majeurs, notamment liés à la présence de groupes jihadistes dans la région du bassin du Lac Tchad. En octobre dernier, une attaque menée par Boko Haram contre une base militaire tchadienne a causé la mort d’au moins 40 soldats. Le gouvernement tchadien a d’ailleurs appelé la communauté internationale à renforcer son soutien dans la lutte contre le terrorisme.
Paradoxalement, la France a toujours été un allié clé du Tchad dans cette lutte, notamment à travers l’opération Barkhane. Mais la volonté du président Mahamat Idriss Déby de diversifier ses partenaires et de renforcer ses liens avec Moscou et d’autres acteurs témoigne d’un changement d’orientation stratégique.
La France, qui maintenait encore environ 1 000 soldats au Tchad, doit désormais organiser leur retrait dans un contexte d’incertitudes. Aucun calendrier précis n’a été communiqué, mais cette éviction, qui touche une des dernières grandes bases françaises en Afrique, est un coup dur pour Paris.
La décision tchadienne s’accompagne d’un repositionnement global des forces françaises sur le continent. L’Élysée envisageait déjà une réduction significative des effectifs militaires en Afrique, avec un passage de 2 300 à 600 soldats déployés, répartis principalement entre la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Sénégal. Cependant, les récents développements pourraient contraindre la France à revoir encore à la baisse sa présence militaire.
Cette évolution souligne l’échec relatif du « nouveau modèle de partenariat » voulu par Emmanuel Macron, qui misait sur des coopérations discrètes et ponctuelles pour s’adapter aux aspirations des pays africains. L’objectif était de passer d’une logique de bases permanentes à des déploiements temporaires et moins visibles. Mais ces ajustements n’ont manifestement pas suffi à enrayer la défiance croissante envers la présence militaire française.
Une page se tourne
Le Tchad, qui était considéré comme un bastion historique de l’influence française en Afrique, suit donc la voie de plusieurs pays sahéliens et ouest-africains. Cette décision marque une nouvelle étape dans le processus de rééquilibrage des alliances internationales en Afrique, au détriment de la France, et illustre le poids croissant des aspirations souverainistes sur le continent.