Le 29 août dernier, un chauffard qui faisait du rodéo à moto a percuté mortellement Kamilya, une petite fille de 7 ans, à Vallauris ( Alpes-Maritimes). Le jeune homme, âgé de 19 ans, qui n’avait pas consommé d’alcool ni de stupéfiants au moment des faits, a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Une décision de justice qui a beaucoup fait réagir, beaucoup de Français ayant le sentiment que les victimes sont moins protégées que les coupables.
Ce n’est pas la première fois que la justice fait polémique, comme en témoignent certains cas. Le 22 mai 2023, Crène Mézino, une infirmière de 37 ans et mère de deux enfants, avait été tuée par un homme à l’hôpital de Reims. Poignardée lors de son service, la victime avait succombé dans la nuit. Mais le pire dans cette histoire, c’est que cet horrible fait divers n’aurait jamais dû avoir lieu. L’assassin avait en effet déjà poignardé quatre personnes en 2017, mais la justice avait prononcé un non-lieu, les psychiatres ayant jugé l’homme pénalement irresponsable. Une décision lourde de conséquences. Toujours en mai 2023, un homme qui avait été cambriolé et avait maîtrisé son agresseur avait été condamné à deux ans de prison avec sursis pour séquestration, alors que son cambrioleur s’en était sorti avec une peine moins lourde, puisqu’il n’avait écopé que de six mois avec sursis.
Autre fait divers ayant révolté les Français : le 8 mai 2022, Antoine Alléno, fils du chef cuisinier Yannick Alléno, avait été percuté mortellement par un conducteur en sortant du travail. Le chauffard, positif à l’alcool et aux stupéfiants, conduisait une voiture volée et était multirécidiviste. Pour couronner le tout, l’auteur des faits avait commis un délit de fuite avant d’être arrêté. Malgré ça, le coupable avait été remis en liberté seulement quatre mois plus tard, en attendant son procès.
Autre affaire sordide : le tribunal d’Angoulême, en Charente, avait relaxé il y a quelques années cinq prévenus accusés du viol d’une jeune handicapée, alors que trois d’entre eux avaient pourtant reconnu les faits. La victime, âgée de 22 ans, était une handicapée mentale dont le QI n’excèdait pas celui d’un enfant de 6 ans. Le tribunal, qui n’avait pas la preuve formelle que la femme n’était pas consentante, avait relaxé les prévenus.
Face à ces cas ( et il y en a beaucoup d’autres ) qui peuvent sembler révoltant, nous avons interviewé Sandrine Pégand, avocate pénaliste, Sandrine Pégand nous donne son avis sur des faits divers qui ont marqué l’actualité et choqué les Français…
Jérôme Goulon : De nombreux exemples de faits divers, évoqués plus haut dans cet article, interrogent sur la justice française. N’est-elle pas injuste ?
Sandrine Pégand : Ce genre de cas n’est pas nouveau. Je conserve le souvenir du défunt Maître Henri-René Garaud, qui décrivait une nouvelle race d’inculpés : des honnêtes gens victimes d’une provocation qui les exaspère et qui les conduit à exercer leur légitime défense. Cet avocat gagnait la plupart de ses procès aux assises en terminant sa plaidoirie par la question : « Et vous, qu’auriez-vous fait ? » Éternelle interrogation pour tout un chacun. Quand la justice n’est pas comprise, la perte de confiance gagne du terrain chez les citoyens.
Mais dans ce genre de cas, la justice déraille-t-elle ?
La formule est à l’emporte-pièce. La justice est de nature clivante. Elle a vocation à protéger les victimes en leur accordant des réparations et en punissant les auteurs de crimes ou de délits. Cependant, il existe des lacunes dans le système judiciaire qui peuvent empêcher les victimes d’obtenir une justice complète, notamment en raison de la lenteur des procédures, de la complexité des lois et des coûts élevés associés à la poursuite d’une affaire en justice. De plus, certaines victimes peuvent ne pas se sentir en sécurité ou protégées même après que la justice ait été rendue, ce qui soulève des questions sur l’efficacité de la justice pour protéger les victimes. La notion de légitime défense subjective revient alors : la nécessaire riposte individuelle face à la perception qu’a du danger la personne agressée.
Le drame de la petite Kamilya n’est pas nouveau. On se souvient de Yannick Alléno, qui a perdu son fils dans un accident de la route. Le chauffard avait été lui aussi remis en liberté, et Yannick Alléno avait le sentiment que l’on dépense plus pour les délinquants que pour les victimes…
Le coût de la justice sera toujours un problème. Deux constats s’imposent. Le premier est que depuis les attentats qu’a connu notre pays, les caisses des fonds de garantie sont vides et les assurances privées ne jouent pas le jeu. Le second est qu’un criminel coûtera toujours plus cher à la société en hébergement et frais de défense qu’une victime digne…
La Justice défend-elle plus les bourreaux que les victimes ?
Dans certains cas, la justice française peut sembler favoriser les criminels plutôt que les victimes. Cela peut être dû à des facteurs tels que la richesse, l’éducation ou le statut social des personnes impliquées dans l’affaire. Les auteurs de crimes/délits peuvent également bénéficier de meilleurs avocats ou de ressources financières plus importantes pour se défendre, ce qui rend la tâche plus difficile pour les victimes. Néanmoins, il est important de noter que la justice doit être impartiale et équitable pour toutes les parties concernées dans une affaire, même si le risque est que le parfait équilibre laisse aux auteurs comme aux victimes le sentiment d’avoir été lésés…
Une victime de viol nous expliquait que son violeur n’était pas allé en prison, car la pénétration n’avait pas été prouvée. Comprenez-vous son désarroi ?
En dépit du progrès considérable des techniques en matière de preuves dans les affaires de mœurs, si certaines sentences choquent, je ne peux que me référer à Voltaire lors du procès Calas : « Il vaut mieux 100 coupables en liberté qu’un seul innocent en prison. »
Lorsqu’un délinquant récidive après avoir été remis en liberté conditionnelle, la justice est-elle coupable ?
Une part d’aléa est inévitable, mais le pari du philosophe, Blaise Pascal, s’impose : une personne rationnelle a tout intérêt à croire en la rédemption.
Certaines peines semblent disproportionnées. Un homicide involontaire est moins sévèrement puni qu’une fraude fiscale. N’est-ce pas aberrant ?
La fraude fiscale résulte d’un choix délibéré alors que l’homicide involontaire ne l’est pas. Donc rien de choquant. Et puis la fraude fiscale constitue une rupture du contrat social grave, de celles du genre à priver la justice de moyens…
Maître Sandrine Pégand, avocate pénaliste et consultante BFMTV