L’hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné, âgé de 109 ans, a enfin fait son grand saut dans l’univers numérique, en lançant son site internet le 24 septembre 2024. Ce tournant, attendu depuis longtemps, marque une révolution pour un journal historiquement réticent à investir dans les nouvelles technologies, préférant s’en tenir à son modèle économique traditionnel sans publicité. Dirigé par Érik Emptaz, le Canard entend conserver son identité tout en répondant aux impératifs modernes.
Une transition tardive mais nécessaire
La décision de franchir le cap du numérique a été en partie forcée par la pandémie de Covid-19 en 2020, lorsque la fermeture des kiosques a contraint l’hebdomadaire à proposer une édition téléchargeable en format PDF. Cependant, il aura fallu attendre quatre ans supplémentaires pour que le journal lance un véritable site éditorial, offrant des contenus exclusifs, des archives et bientôt des vidéos et podcasts.
L’initiative répond à la baisse progressive de ses ventes, qui sont passées de 420 000 exemplaires en 2005 à 249 000 l’an dernier. Avec la disparition progressive des points de vente physiques, l’objectif est clair : conquérir un nouveau lectorat, plus jeune et habitué aux formats numériques.
Un site qui reste fidèle à l’esprit du Canard
Pour Érik Emptaz, l’enjeu majeur était de conserver l’identité graphique et l’esprit satirique du Canard, même en ligne. Le nouveau site reprend ainsi la typographie et les dessins caractéristiques du journal papier, avec une attention particulière portée à la mise en page et aux petits canards disséminés ici et là. « On a bataillé pour garder notre identité graphique, qu’il y ait des petits canards partout », a déclaré le directeur, soucieux de rassurer les lecteurs traditionnels.
L’autre défi pour l’équipe du Canard est de répondre à l’exigence de réactivité imposée par l’information en temps réel. Alors que le journal sortait traditionnellement chaque mercredi, l’actualité chaude lui échappait parfois au profit d’autres médias. Désormais, les scoops pourront être publiés directement en ligne, évitant ainsi que le journal ne se fasse « piquer » des informations importantes.
Des archives bientôt accessibles au public
L’arrivée du Canard sur la toile s’accompagne également d’un projet de numérisation ambitieux : ses archives, depuis sa création en 1915, seront progressivement mises en ligne en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ce travail titanesque permettra de redécouvrir les grandes heures du journal satirique, offrant à ses abonnés un accès unique à plus d’un siècle d’histoire.
Ce tournant numérique intervient dans un contexte difficile pour le journal, qui a récemment traversé une crise interne. Une affaire d’emploi fictif, révélée par un journaliste de la rédaction, Christophe Nobili, a ébranlé la direction. Les anciens patrons, Michel Gaillard et Nicolas Brimo, ainsi que le dessinateur André Escaro et son épouse, seront bientôt jugés pour abus de biens sociaux. Érik Emptaz, désormais aux commandes, tente de relancer la dynamique du journal, notamment en donnant une place plus importante aux nouvelles générations de journalistes, plus en phase avec les enjeux contemporains tels que les violences sexuelles ou les questions de genre.
Avec ce lancement numérique, Le Canard Enchaîné amorce une nouvelle ère, sans renier ses fondamentaux. Reste à savoir si cette transition lui permettra de séduire une nouvelle audience tout en conservant son indépendance et son esprit frondeur.