Alors que la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie rebat profondément les cartes régionales, les services de renseignement français observent avec une extrême vigilance l’évolution de la situation sur le terrain. À mesure que de nouveaux équilibres s’esquissent, la menace djihadiste, longtemps concentrée autour de l’État islamique (EI), pourrait se recomposer, prenant des formes plus diffuses et difficilement prévisibles. Quatre principaux points de vigilance ont été identifiés par les autorités françaises.
La première source d’inquiétude réside dans le sort des quelque 150 ressortissants français – hommes, femmes, et un nombre équivalent voire supérieur d’enfants – retenus dans les camps et prisons du nord-est syrien, gérés par les forces kurdes. Originaires de France et partis rejoindre l’EI, ces individus comptent parmi les plus radicalisés. Leur situation humanitaire précaire et la fragilité de la zone laissent craindre des évasions ou des libérations forcées en cas d’avancée de groupes armés, ce qui pourrait relancer le cycle de la violence djihadiste.
À cela s’ajoute la problématique de quelque 110 Français installés dans le nord-ouest de la Syrie, une région où opère le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Issu de l’ancienne branche d’Al-Qaïda en Syrie, le HTS se présente aujourd’hui comme un acteur local, se targuant d’avoir rompu avec le djihadisme international. Cependant, une minorité de Français, parfois ralliés à la katiba d’Omar Diaby, figure du jihadisme francophone, demeure sur place. L’incertitude règne quant à leur degré d’implication dans des actions violentes passées ou futures, et sur leur capacité à se mobiliser à nouveau alors que le pays entre dans une nouvelle phase.
La recomposition de l’État islamique
Si le HTS aspire à un projet plus local et cherche à « normaliser » son discours, il n’en reste pas moins classé comme organisation terroriste par de nombreux États, dont les États-Unis. Parallèlement, l’EI, pourtant considérablement affaibli, demeure une entité idéologiquement structurée qui pourrait tirer parti du chaos et de l’évolution politique syrienne pour tenter une résurgence. La perspective d’une nouvelle dynamique terroriste, peut-être moins visible mais toujours potentiellement mortelle, hante les spécialistes de la sécurité.
Enfin, la question de l’attrait de la zone syrienne pour les djihadistes européens, notamment français, demeure sensible. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) surveille de près l’impact des bouleversements en Syrie sur d’éventuelles velléités de départ. Si, à ce jour, aucun projet concret de rejoindre ces territoires n’a été détecté, la persistance du récit « pro-EI » chez certains extrémistes laisse ouverte la possibilité d’un nouveau flux de combattants étrangers.
La chute de Bachar al-Assad, saluée par une partie de la communauté internationale, ne doit pas conduire à sous-estimer les risques qui planent désormais sur la région et, par extension, sur l’Europe. Les services de renseignement français en sont conscients : après la fin du « califat » de l’EI, un nouvel épisode pourrait se jouer. Il convient de prévenir la résurgence de groupuscules capables d’exporter la terreur au-delà des frontières syriennes, en particulier vers la France, déjà éprouvée par une série d’attentats meurtriers.
Le défi est donc multiple : éviter la libération incontrôlée de djihadistes convaincus, surveiller de près la recomposition des groupes extrémistes, anticiper les risques d’attractivité de la zone, et peser diplomatiquement pour que le nouveau pouvoir syrien, fût-il issu de la rébellion, ne devienne pas la base arrière d’un prochain cycle de terrorisme.