La Ve République à l’épreuve de la crise : vers une Constitution obsolète ?

16 août, 2024 / Entrevue

Alors que la France reste en attente de la formation d’un nouveau gouvernement, l’avenir institutionnel de la Ve République semble de plus en plus incertain. La crise politique actuelle soulève la question de savoir si les institutions peuvent survivre sans une révision de leurs pratiques. En particulier, le rôle prééminent du Président de la République semble poser problème, et un changement dans le mode de scrutin pourrait offrir une voie d’évolution pour le régime.

Une crise politique qui révèle les limites du système

Depuis les élections législatives, la France n’a pas encore de gouvernement. Le Président de la République, plutôt que de lancer des négociations entre les partis pour former une majorité stable, semble laisser le temps passer. Cette situation est unique en Europe, où une absence de majorité absolue au Parlement est généralement mieux gérée. En France, cette attente se traduit par une dépendance excessive à la décision présidentielle, une illustration des évolutions récentes de la Ve République.

Adoptée en 1958, la Constitution de la Ve République visait à garantir des majorités stables tout en renforçant l’exécutif, avec un Président de la République doté d’un rôle d’arbitre et de contre-pouvoir face aux partis politiques. Cependant, près de 70 ans plus tard, la réalité institutionnelle diverge fortement de cette vision initiale, mettant en question la pérennité du régime.

Une Constitution transformée par la pratique

Michel Debré, président du comité ayant rédigé la Constitution de 1958, expliquait que le Président de la République, élu au suffrage universel indirect à l’origine, ne devait pas être le centre de la vie politique. La révision constitutionnelle de 1962, qui a introduit l’élection du Président au suffrage universel direct, a transformé cette conception. Aujourd’hui, la Constitution de 1958 et la réalité politique de la Ve République sont deux choses distinctes.

Bruno Daugeron, professeur de droit public, souligne que le tournant présidentialiste a créé une subordination du Premier ministre au Président, renforcée par l’article 8 de la Constitution qui permet au Président de nommer le Premier ministre. Le quinquennat et la synchronisation des élections législatives avec l’élection présidentielle accentuent encore cette centralité présidentielle.

Le déclin du fait majoritaire

Le phénomène du « fait majoritaire », où le Président de la République peut compter sur une majorité de députés, est aujourd’hui remis en question. Bastien François, professeur de science politique, explique que ce fait majoritaire a tendance à écraser les députés, réduisant leur rôle à celui de figurants dans un système où le Président détient le pouvoir central. La tripolarisation politique actuelle, avec des partis fragmentés, remet en cause cette centralité présidentielle et suggère que le présidentialisme majoritaire est en déclin.

Une possible parlementarisation du régime ?

La question se pose : peut-on évoluer vers un régime plus parlementaire au sein de la Ve République ? Bruno Daugeron considère que le texte de 1958 pourrait théoriquement s’accommoder d’un Président arbitre, mais il est difficile de revenir à une pratique parlementaire avec un Président élu au suffrage universel direct. Malgré cela, le rôle prééminent du Président de la République, malgré ses pouvoirs constitutionnels limités, continue de structurer les comportements politiques.

La proportionnelle comme solution douce

Un facteur clé dans l’évolution des institutions pourrait être le mode de scrutin. Le système uninominal majoritaire à deux tours, utilisé pour les élections législatives et présidentielles, favorise la formation de majorités claires et des comportements politiques de type majoritaire. Bastien François suggère que l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel pour les législatives pourrait changer cette dynamique. La proportionnelle, en rendant plus difficile pour un parti d’obtenir seul la majorité absolue, pourrait casser la logique de gagnant-perdant et favoriser des accords parlementaires plus équilibrés.

Un changement constitutionnel en perspective ?

L’idée d’une nouvelle Constitution n’est pas à écarter. L’actuelle Constitution a été modifiée à 25 reprises depuis 1958, mais des changements plus profonds pourraient être nécessaires. La procédure de révision de la Constitution, décrite dans l’article 89, est complexe et requiert un consensus politique large. Alternativement, une révision par référendum, comme celle employée par Charles de Gaulle, pourrait être envisagée, bien que cela conférerait un pouvoir considérable au Président.

Une autre option pourrait être une procédure à double détente, modifiant d’abord les règles de révision pour permettre une nouvelle élaboration constitutionnelle. Cette méthode permettrait d’élargir la représentation dans le processus constituant, incluant des acteurs divers et potentiellement plus représentatifs de la société.

Conclusion

La Ve République française, bien que solidement ancrée dans l’histoire politique du pays, semble confrontée à une crise profonde qui interroge sa capacité à évoluer. Les réformes proposées, qu’elles concernent le mode de scrutin ou la Constitution elle-même, pourraient offrir des solutions pour revitaliser le régime et répondre aux défis contemporains. La question reste de savoir si ces évolutions seront suffisantes pour restaurer la stabilité politique ou si une refonte plus radicale deviendra inévitable.