Laurène Thierry, comédienne et chroniqueuse culture, vous plonge au cœur des spectacles les plus en vogue de la capitale et à travers toute la France. Pour Entrevue, elle explore le monde du théâtre et vous fait découvrir des artistes et des récits captivants.
Après avoir exploré dans Vertige (2001-2021) les destins de sept jeunes gens marqués par les soubresauts d’une époque troublée – par les attentats du 11 septembre et les bouleversements politiques et sociaux –, le metteur en scène et comédien Guillaume Vincent revient avec La Tour de Constance. Conçue en collaboration avec des comédiens de la promotion 11 de l’École du Théâtre National de Bretagne, cette nouvelle pièce se révèle tout aussi introspective, plongeant dans les affres d’une jeunesse en quête de sens. Si Vertige s’interrogeait sur l’impact du temps qui passe et des événements qui façonnent nos vies, La Tour de Constance prolonge cette réflexion en nous entraînant dans les méandres des identités en construction et des désirs contradictoires.
La Tour de Constance se déroule dans un hôtel de luxe à Aigues-Mortes, théâtre des émois et des incertitudes de six jeunes employés, trois hommes et trois femmes. L’histoire s’ouvre sur la rupture de Bonnie, abandonnée par son petit ami Martin, alors qu’elle vient de lui avouer son amour. Dès cet instant, la séparation amoureuse devient le leitmotiv de la pièce et le point de départ d’une exploration des relations entre les personnages qui gravitent autour de ce couple en crise.
Avec La Tour de Constance, Guillaume Vincent excelle à nouveau dans l’art de mettre en scène les questionnements intimes. Chaque personnage cherche sa place, non seulement dans le cadre professionnel mais surtout au sein de ce petit groupe, où la sensualité et la frustration se heurtent constamment. La pièce, initialement envisagée sous le titre Confusion, reflète la période d’entre-deux, entre la fin de l’adolescence et l’âge adulte. Les désirs se heurtent aux contraintes de la réalité qui arrivent avec les premières responsabilités. À l’ombre de la tour de Constance, symbole d’enfermement et de solitude, les protagonistes peinent à se révéler pleinement, souvent prisonniers de leurs peurs et de leurs incertitudes.
La scène, réduite à l’essentiel – quelques chaises oranges, des rideaux bleus et une moquette aux motifs géométriques –, prend vie sous la direction de Guillaume Vincent, qui mise sur l’intensité des corps et des voix. Chaque mouvement, chaque parole, exprime une tension palpable. Les jeux de lumière à fort contraste permettent d’intensifier soit la présence soit les mots. Alison Dechamps, dans le rôle de Bonnie, s’impose avec son énergie brute et sa diction toute personnelle. Son jeu, précis et moderne, contraste avec la fragilité apparente de son personnage, lui conférant une réelle profondeur. Bonnie Barbier dans le rôle d’Alyssa, sa meilleure amie dans la pièce, la complète physiquement et lui rend la pareille en termes de présence et de pertinence de jeu. D’ailleurs, chaque comédien a l’occasion de s’illustrer seul en scène lors de monologues qui dévoilent les interrogations intérieures des personnages.
En filigrane, Guillaume Vincent nous invite à contempler la résonance du passé sur le présent. La figure de Marie Durand, enfermée durant trente-huit ans dans la tour de Constance pour sa foi protestante, hante la pièce comme une ombre silencieuse. À travers les six personnages, cette même solitude et ce même enfermement intérieur transparaissent, offrant une réflexion poignante sur la difficulté d’aimer et de se libérer des chaînes invisibles de son passé.
Venez à la rencontre des personnages de La Tour de Constance et découvrez les trouvailles scéniques de Guillaume Vincent qui réussit à insuffler à cette nouvelle création une profondeur humaine.
La Tour de Constance, à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet jusqu’au 5 octobre 2024.
Laurène Thierry