La France à l’épreuve : analyse du député Philippe Brun sur la crise politique

22 août, 2024 / Entrevue

Philippe Brun, député socialiste de l’Eure, a ce jeudi publié un texte substantiel intitulé « Comprendre le 7 juillet », dans lequel il analyse avec profondeur et inquiétude la situation politique actuelle en France. Selon lui, le pays a frôlé un effondrement historique le 7 juillet, jour où la France aurait pu basculer vers l’extrême droite. Cet effondrement potentiel, que Brun décrit comme une « étrange défaite » évitée de justesse, a été empêché uniquement grâce à une mobilisation exceptionnelle des forces républicaines.

Brun commence son texte en évoquant la torpeur estivale et l’euphorie olympique qui tendent à effacer de nos mémoires la gravité de la situation. Il rappelle l’angoisse qui a régné sur le pays pendant les semaines précédant le scrutin, avec chaque nouveau sondage renforçant l’idée que le Rassemblement National (RN) pourrait obtenir une majorité absolue. Le député déplore l’attitude de certains intellectuels, artistes et influenceurs qui, bien que voilée, trahissait une satisfaction à l’idée de voir le pays basculer vers l’extrême droite. Le résultat du premier tour, où l’extrême droite a récolté plus de 11 millions de voix, n’a fait qu’amplifier ces craintes. Finalement, c’est une mobilisation exceptionnelle du peuple français lors du second tour qui a permis d’éviter ce scénario catastrophique. Brun insiste sur la nécessité de comprendre le message envoyé par les Français à travers les urnes, un message qu’il juge crucial pour l’avenir de la nation.

L’un des axes centraux de l’analyse de Philippe Brun est la fracture profonde qui sépare désormais une grande partie du pays de ses élites. Il évoque sa propre expérience en tant que député de l’Eure, un département historiquement acquis au centre-droit puis aux socialistes, mais où l’extrême droite prospère désormais de manière inquiétante. Brun souligne que l’ensemble des circonscriptions de son département, à l’exception de la sienne, a basculé dans le camp du RN en 2022. Sa propre réélection, obtenue de justesse avec 350 voix d’avance, témoigne de la fragilité de la situation. Il observe que dans la France périurbaine et rurale, les citoyens se sentent de plus en plus délaissés par des élites perçues comme déconnectées de leurs réalités.

Le député dépeint un tableau sombre de l’état actuel de la politique en France. Selon lui, la politique est largement détestée par les citoyens non pas par désintérêt pour les sujets politiques, mais par rejet des politiciens eux-mêmes. Il fait un parallèle avec le mouvement des Gilets Jaunes, où le refus obstiné des manifestants de nommer des délégués témoignait d’une profonde méfiance envers une représentation jugée illégitime. Cette défiance, selon Brun, est le fruit de décennies de désillusions face à des représentants perçus comme déconnectés et peu soucieux des préoccupations des citoyens ordinaires.

Philippe Brun critique également l’évolution des partis politiques, qui selon lui, sont devenus des entités déconnectées de la société civile. Il pointe du doigt la fin du cumul des mandats et l’arrivée de « partis-entreprises » qui parachutent des candidats ne connaissant rien de la réalité des territoires qu’ils sont censés représenter. Il souligne que cette déconnexion est exacerbée par un langage technocratique et incompréhensible, qui ne parle qu’à une élite très éduquée, mais qui laisse de côté les préoccupations des classes populaires. Brun cite en exemple les zones à faibles émissions, qu’il décrit comme des « outils de relégation sociale » pour les habitants des périphéries, condamnés à l’exclusion sans véritable système de compensation.

Il critique également le programme politique de la gauche, qu’il juge en partie déconnecté des véritables enjeux du quotidien. Par exemple, il déplore l’absence de propositions concrètes sur le handicap, un sujet crucial pour de nombreux Français, mais largement ignoré dans les programmes des principaux partis. Brun raconte comment, chaque semaine, il rencontre des parents d’enfants handicapés ou des représentants d’associations qui expriment leur frustration face à l’inaction politique en matière de prise en charge du handicap.

Philippe Brun voit dans le vote du 7 juillet un avertissement, un dernier appel avant un basculement définitif. Il exhorte le prochain gouvernement à s’attaquer aux sujets orphelins de la politique française, tels que le handicap, la monoparentalité, la désertification médicale, et le recul des services publics. Il appelle également à une révision institutionnelle pour remédier à la crise de la représentation, notamment par l’introduction du référendum d’initiative citoyenne, une revendication issue du mouvement des Gilets Jaunes.

Le député insiste également sur l’aspiration des Français à un vrai changement. Il témoigne de la lassitude des électeurs face à un système politique perçu comme inefficace et paralysé par une bureaucratie excessive. Brun évoque les innombrables dossiers administratifs bloqués qui engorgent sa permanence parlementaire, symboles d’un système incapable de tenir les promesses faites aux citoyens. Il avertit que le prochain gouvernement devra s’attaquer résolument à cette bureaucratie et à la paralysie de l’action publique, sous peine de voir le pays sombrer dans un rejet total de la classe politique.

Un autre message clé de ce texte est la demande des Français pour plus d’ordre et de respect. Brun souligne que la montée de l’insécurité, réelle ou perçue, alimente la popularité de l’extrême droite. Il avertit que la gauche ne doit pas sous-estimer l’importance de ces préoccupations, même si elles sont souvent instrumentalisées par le RN. Selon lui, le prochain gouvernement devra porter un discours clair et fort sur la sécurité et la justice, pour éviter que l’extrême droite ne capitalise sur le sentiment d’insécurité qui traverse la société française.

En conclusion, Philippe Brun appelle à un grand changement politique, une réorientation profonde de la gouvernance pour répondre aux attentes des citoyens. Il insiste sur la nécessité d’un gouvernement de salut public, capable de réenchanter ceux qui ont perdu confiance en la politique. Pour Brun, la situation actuelle est trop grave pour se permettre des demi-mesures ou des compromis, et il appelle à un engagement total pour préserver les valeurs républicaines face à la menace croissante de l’extrême droite.