« La fin de Macron » : Yanis Varoufakis dénonce les erreurs de la politique française face à l’Europe

05 octobre, 2024 / Entrevue

L’ancien ministre grec des Finances dénonce une alliance fragile au sein de la gauche française, soulignant l’absence de sincérité nécessaire pour instaurer un véritable changement.

Yanis Varoufakis, connu pour son franc-parler et son approche sans compromis, critique le Nouveau Front Populaire (NFP), une alliance entre la gauche et l’extrême gauche françaises, dans un entretien accordé à Libération. Selon lui, cette coalition est avant tout « un mariage de convenance », sans le degré d’honnêteté nécessaire que la gauche devrait adopter face aux électeurs. Varoufakis regrette que le NFP n’ait pas expliqué aux Français que leur programme nécessitait un affrontement avec l’Union européenne.

L’ancien ministre estime que, même si Jean-Luc Mélenchon est prêt à un tel affrontement, les socialistes et les Verts, qui partagent la coalition, ne le sont pas. Pour Varoufakis, cette absence d’unité dans la vision politique mènera l’alliance à la même impasse que lui-même a connue en Grèce en 2015, lors de ses négociations avec la Banque centrale européenne, la Commission européenne et le FMI.

Une analyse économique critique de la situation française

Varoufakis évoque également les défis économiques de la France dans le contexte européen. Selon lui, la France se met dans une situation de dépendance face à l’Allemagne, soulignant que chaque mois, le déficit commercial de la France est de 6 à 8 milliards d’euros tandis que l’Allemagne enregistre un excédent de 20 à 25 milliards d’euros. Cette situation est selon lui insoutenable tant que la France fait partie de l’Union européenne.

Pour l’ancien ministre, la seule manière pour la gauche de gagner le soutien populaire est d’être honnête avec les citoyens. « Les fascistes le sont », affirme-t-il, expliquant que leurs intentions sont claires, aussi terribles soient-elles. Il invite la gauche à faire preuve de la même transparence, mais avec des objectifs humanistes.

Critique de la gestion européenne : « La fin de Macron »

Varoufakis se montre tout aussi critique envers la politique menée par Emmanuel Macron. Il juge que le président français n’a pas saisi l’occasion de réformer le pays afin de renforcer la confiance de l’Allemagne, comme il l’avait prévu. « Il ne l’a pas fait, et c’était la fin de Macron », déclare-t-il, estimant que la gauche risque de reproduire les mêmes erreurs.

En outre, Varoufakis critique sévèrement Michel Barnier, ancien négociateur du Brexit, qu’il qualifie de « meilleur exemple de ce qu’il ne faut pas faire en tant qu’être humain en position de pouvoir », le réduisant à « un algorithme » sans idées originales.

Varoufakis va plus loin dans son analyse, affirmant que la France n’a pas de véritable « problème de dette » ; son problème réside dans le fait qu’elle ne contrôle plus sa monnaie. Pour lui, la création de l’euro sans la mise en place de mesures adéquates pour équilibrer les déséquilibres entre pays excédentaires et déficitaires ne fait qu’exacerber les problèmes économiques de la France. En liant sa monnaie à celle de l’Allemagne, la France se trouve contrainte à l’austérité, figée dans des politiques budgétaires incapables de stimuler l’investissement.

La solution selon Varoufakis : une Europe fédérale capable de prendre en charge les déséquilibres économiques grâce à un véritable Trésor fédéral soutenu par la Banque centrale européenne.

Une nouvelle économie sous le joug du « techno-féodalisme »

Dans son dernier livre, Yanis Varoufakis évoque le concept de « techno-féodalisme », selon lequel le capitalisme traditionnel a été remplacé par une quête de rente numérique orchestrée par les grandes entreprises technologiques. À ses yeux, ces géants asservissent les individus en contrôlant leurs données et en dictant les prix à travers des algorithmes.

Il compare ce phénomène à une nouvelle forme de féodalisme, dans laquelle des entreprises comme Amazon agissent comme des « seigneurs numériques », percevant des rentes en échange de nos données. Cette évolution du capitalisme, selon lui, ne peut être résolue par la simple régulation, mais nécessite un changement radical dans la propriété des algorithmes et des plateformes numériques. Varoufakis prône la « socialisation du capital cloud », estimant que ces biens devraient appartenir à la collectivité plutôt qu’à des intérêts privés.

Un appel aux jeunes générations : reconquérir le contrôle des données

Enfin, Varoufakis exhorte les jeunes générations à prendre conscience de l’impact des technologies sur leurs vies et à se mobiliser pour un avenir plus équitable. Il critique les réseaux sociaux pour leur capacité à manipuler les conversations et à créer des divisions, appelant à une approche plus démocratique et collaborative de ces technologies. Pour lui, les jeunes doivent reconnaître la valeur de leurs contributions en ligne et réclamer un contrôle collectif sur les outils numériques qui façonnent la société.

Pour Yanis Varoufakis, la clé de la victoire de la gauche réside dans la transparence et l’honnêteté envers les citoyens. Face à une extrême droite qui affiche clairement ses intentions, la gauche doit, selon lui, afficher tout aussi ouvertement son humanisme et ses ambitions. C’est uniquement à travers cette sincérité que la gauche pourra espérer instaurer un véritable changement et conquérir le soutien populaire.