« Je ne voulais pas mourir sans avoir fait quelque chose qui me ressemble profondément. » Un an après la mort de Jane Birkin, redécouvrez son interview culte pour Entrevue
Jane Birkin s’est éteinte le 16 juillet 2023, il y a un an jour pour jour, à l’âge de 76 ans, laissant de nombreux Français orphelins de son accent anglais légendaire. En 1992, nous avions rencontré celle qui fut longtemps la compagne de Serge Gainsbourg. En souvenir, redécouvrez cette interview culte…
Entrevue : Tu as commencé par être actrice, puis chanteuse, et ensuite réalisatrice. As-tu d’autres ambitions ?
Jane Birkin : Curieusement, je n’ai jamais eu d’ambition. Quand j’ai été auditionnée à 17 ans pour jouer dans une pièce, je ne pensais pas que je serais prise, et si l’audition n’avait pas marché, je crois que je me serais mariée très simplement avec quelqu’un et que j’aurais été une femme au foyer, suivant le désir de mes parents.
Tu n’es pas du genre à te contenter de vivre dans l’ombre de quelqu’un, tu as besoin de te réaliser dans ta vie professionnelle…
Peut-être, mais je n’ai jamais fait une vraie démarche pour être actrice, cela s’est fait tout seul. J’étais embarrassée de me retrouver sur scène et moins j’avais de texte à dire, mieux je me sentais.
Et la musique ?
En ce qui concerne la musique, le point de départ a été la jalousie pure : Mireille Darc souhaitait enregistrer avec Serge la chanson qu’il avait faite pour Bardot et lui. J’avais entendu leur version très « hot », et je pensais que si une autre femme que moi se retrouvait dans la cabine avec Serge pour chanter ça, je le perdais à coup sûr. Tu connais la suite. C’est à partir de la trentaine que j’ai éprouvé une frustration de ne pas faire les choses moi-même et d’être plus ou moins dans l’ombre de quelqu’un. À la suite du décès d’une copine, j’ai réalisé que je ne voulais pas mourir sans avoir fait quelque chose qui me ressemble profondément. Jusque-là, j’étais cantonnée dans des rôles de poupée à voix haut perchée.
Comment as-tu fini par en venir à la mise en scène ?
J’ai commencé à écrire en 1987. Au début, je pensais à un court métrage, et puis Jacques Doillon m’a dit que si j’étais vraiment culottée, il valait mieux faire un film. Le déclic m’est toujours venu de gens qui me mettaient au défi et m’obligeaient à aller au bout de ma peur.
As-tu trouvé une exaltation à te trouver pour la première fois dans la position de la personne qui dirige ?
Énorme. En plus, j’étais tellement absorbée par le jeu des acteurs et la technique cinématographique que je n’étais plus embarrassée par l’émotion : j’étais comme un chirurgien avec son équipe et j’adorais ça.
En faisant de la mise en scène, tu as franchi un pas : faire en fonction de toi plutôt qu’en fonction du regard des autres…
Je le crois, d’autant plus que curieusement, je pense que mon film risque de déplaire. Mais accéder à ce stade a finalement été facilité par la perte simultanée de mon père et de Serge, qui m’avaient d’autant plus permis de continuer à être enfant qu’ils ne m’aiment que de cette façon.
As-tu jamais vécu sans passion ?
Non, puisque j’ai toujours vécu avec quelqu’un.
On dit que lorsqu’on vit des années avec la même personne, la passion se transforme dans le meilleur des cas en amour plus tendre, plus calme, moins violent…
Je suis obsédée par la citation de Serge qui disait : « En amour, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie. »
Et toi, tu souffres ou tu t’ennuies ?
Je ne m’ennuie pas…