INTERVIEW – Walid Harfouch : « La propagande russe est une arme de distraction de masse qui doit être arrêtée »
Walid Harfouch et le president Ukrainien Volodymyr Zelensky à la présidence de la République à Kiev quelques semaines avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Nous avons rencontré Walid Harfouch, dirigeant de médias internationaux, producteur et personnalité publique influente, avant sa présentation à la conférence « Liberté d’expression : pierre angulaire des sociétés démocratiques » en Moldavie. Communicatif, intelligent, souvent drôle et incisif, Walid est un interlocuteur rafraîchissant et captivant sur tout ce qui concerne les médias et la politique de l’information. Avec son expérience exceptionnelle en tant que cadre supérieur à Euronews pendant plus de dix ans et comme fondateur d’une association anti-racisme qui a fait adopter une loi au Parlement ukrainien criminalisant le racisme, Harfouch connaît la valeur de l’information comme peu de gens. Né et élevé au Liban, il a démontré ses talents pour l’entrepreneuriat et les médias en Ukraine avant de s’installer en France. Désormais, il partage son temps entre la France et l’Ukraine. Dans cette interview exclusive pour Entrevue, il partage ses réflexions sur l’influence des médias modernes sur les processus politiques mondiaux, les nouveaux défis posés par la propagande, son rôle dans les conflits militaires et les guerres par procuration, ainsi que les dangers liés à l’absence de contrôle sur les nouveaux médias et la propagation des fausses nouvelles.
Entrevue : Walid, vous participez activement à la vie publique ; et le 24 juin, vous interviendrez à la conférence « Liberté d’expression : pierre angulaire des sociétés démocratiques » en Moldavie. Pourquoi la Moldavie ? Quels messages allez-vous y diffuser et quelles idées espérez-vous entendre ?
Walid Harfouch : Comme vous le savez, la Moldavie traverse une période historique. Le 20 octobre 2024, la Moldavie organisera ses élections présidentielles et un référendum crucial sur son adhésion à l’UE. La guerre en Ukraine a placé la Moldavie sur la scène internationale, et les Européens sont prêts à accélérer son intégration dans l’Union européenne ! Le parcours de la Moldavie vers l’adhésion a été marqué par des réalisations importantes, mais ces succès sont éclipsés par l’escalade de la rhétorique agressive de la Russie. En Ukraine, nous avons vécu une situation similaire. La propagande a un impact énorme sur les populations. Je crois que les solutions politiques seules ne suffisent pas ; la société civile doit également évoluer et se familiariser avec ses futurs droits européens. La liberté d’expression est essentielle, et la présidente moldave Maia Sandu fait un travail remarquable en ce sens.
Entrevue : Vous avez vécu une situation similaire en Ukraine. Quelles leçons peut-on en tirer pour l’avenir ?
Walid Harfouch : Le pouvoir de la communication ne repose plus seulement sur les médias traditionnels. Il est crucial que le public soit éduqué pour résister à la propagande. Les politiciens doivent également protéger les citoyens contre les abus de désinformation. Un excellent exemple est l’interdiction de RT France, la branche française du diffuseur d’État russe, qui diffusait de la désinformation pro-Kremlin. Des études montrent que les médias imprimés de confiance, comme Le Monde, Le Figaro, El Pais, The New York Times, et The International Consortium of Investigative Journalists, restent des sources importantes d’information pour les publics européens. C’est un signe positif.
Entrevue : La propagande russe occupe encore une place importante dans les médias européens. Peut-on lutter contre cela aujourd’hui ?
Walid Harfouch : La propagande russe est une arme de distraction de masse qui doit être arrêtée par tous les moyens possibles ! L’Union européenne doit investir davantage pour protéger ses citoyens contre ces menaces. Plus de ressources devraient être allouées à l’infrastructure technologique et à la recherche en intelligence artificielle pour permettre aux gens de vérifier plus facilement les informations qu’ils reçoivent instantanément.
Entrevue : La guerre en Ukraine a profondément changé le monde. Comment cela vous a-t-il affecté personnellement ?
Walid Harfouch : Cette guerre a changé ma vie à jamais. Ayant grandi pendant la guerre civile au Liban, les événements du 24 février 2022 ont ravivé des souvenirs tragiques de mon enfance. Aujourd’hui, j’ai de grandes responsabilités en tant que père de cinq enfants, et mes priorités ont changé. Poutine a apporté cette tragédie à des millions d’Ukrainiens, mais aussi à ses propres citoyens. La guerre entraîne toujours plus de guerre, et nous voyons des conflits éclater partout dans le monde.
Entrevue : Le Liban a traversé une guerre civile dévastatrice. Y a-t-il une lueur d’espoir pour le développement post-conflit ?
Walid Harfouch : Je l’espère. En mai 2022, je suis retourné au Liban pour soutenir mon frère Omar lors des élections législatives. Son programme visait à transformer le système politique libanais. J’étais très fier de lui, et ce moment était très émouvant pour moi.
Entrevue : Pensez-vous que le sommet pour la paix en Ukraine en Suisse a joué un rôle dans la résolution de la crise en cours ?
Walid Harfouch : Tous les professionnels des médias savent combien il est difficile de maintenir l’attention médiatique. Nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier la guerre en Ukraine. Le sommet pour la paix en Suisse a eu une énorme valeur idéologique, illustrant la résistance et la créativité du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy dans la quête de la paix pour l’Ukraine.
Entrevue : Lorsque vous parlez de la guerre qui entraîne la guerre, pensez-vous qu’un grand conflit en Europe soit imminent ?
Walid Harfouch : Je doute que cela soit possible. Il s’agit de mathématiques et de logique de base en matière d’armement. Mais la guerre des mots est une toute autre affaire. La Russie investit des milliards dans les outils médiatiques pour diffuser des mensonges. Notre responsabilité collective est de relever les défis de la sécurité médiatique mondiale. Les réseaux sociaux comme Facebook et Telegram permettent un partage rapide de l’information, souvent sans vérification. C’est pourquoi l’IA devrait être utilisée pour détecter les fausses nouvelles.
Entrevue : Pensez-vous qu’une personne aussi influente qu’Elon Musk pourrait avoir un impact négatif sur le monde ? Le X d’Elon Musk est-il une menace pour la démocratie ?
Walid Harfouch : J’ai vu Elon Musk au Festival international de la créativité des Lions de Cannes le 19 juin. Musk est un véritable visionnaire, incomparable aux autres entrepreneurs. Son contrôle sur les technologies clés lui confère un pouvoir équivalent à celui de certains gouvernements. Cependant, même les innovateurs comme Elon peuvent se tromper. Sa plus grande erreur, à mon avis, a été de renommer Twitter en « X ».
Entrevue : Le fondateur de Telegram, Pavel Durov, se plaint des pressions exercées par les gouvernements. Comment protéger la liberté d’expression tout en combattant la propagande ?
Walid Harfouch : Telegram est devenu le plus grand centre de propagande russe. Durov lui-même est, selon moi, le projet de propagande le plus réussi de la Russie. Le nom « Telegram » évoque des souvenirs du lexique du Parti communiste de l’Union soviétique. Telegram remplace intelligemment « Russia Today » et gagne du terrain partout dans le monde. Nous devons utiliser l’IA pour détecter et contrer ces fausses nouvelles sur les réseaux sociaux et autres plateformes d’information.