Interview : Christophe Leroy, le chef cuisinier des stars impliqué dans les dîners clandestins, livre ses quatre vérités…
« Un homme politique influent d’Île-de-France était présent. Alors qu’il fumait le cigare, il est parti précipitamment et a jeté son portable tout neuf dans la Seine, tellement il avait peur d’être inquiété… »
Le 8 septembre dernier, Christophe Leroy organisait une soirée de lancement de son livre Mille et une vies d’un chef. Un livre dans lequel le chef cuisinier revient notamment sur les fameux dîners clandestins qui avaient créé la polémique en plein confinement. Blanchi par la justice en avril 2022 mais la réputation toujours ternie, Christophe Leroy veut aujourd’hui « renverser la table » . Comme un pied de nez au destin, la soirée avait lieu au palais Vivienne, chez Pierre-Jean Chalençon, où s’étaient déroulés ces fameux dîners. À cette occasion, nous avons interviewé Christophe Leroy. Il nous livre ses quatre vérités. Interview…
Interview réalisée par Jérôme Goulon (Twitter @JeromeGoulon)
Jérôme Goulon : Vous publiez un livre, Mille et une vies d’un chef. Vous aviez besoin de vous exprimer ?
Christophe Leroy : Après 40 ans de travail, être sali et résumé à un incident de parcours des dîners clandestins, je trouvais que c’était un peu court. J’avais donc envie de donner ma version des faits et faire mon mea culpa, même si j’ai été blanchi par la justice. Je voulais également dire que j’avais accompli autre chose dans ma vie. On a tous un peu de fierté et je voulais montrer les choses positives que j’ai réalisées. J’ai eu une chance incroyable de côtoyer et servir de nombreuses personnalités…
Vous avez été blanchi par la justice en avril 2022, mais vous écrivez que votre réputation reste malgré tout entachée…
Oui. Le tribunal médiatique est parfois plus dur que le tribunal judiciaire. Mais c’est à moi aujourd’hui de renverser la table et continuer de faire mon métier. Il y a du sérieux derrière tout ça, et ça ne se résume pas à l’image qu’on a voulu me donner…
Vous dites que la procureure s’est montrée plutôt sympathique avec vous durant le procès…
Oui, la procureure a demandé ce que je faisais dans le box des accusés ! Quand elle a dit ça, ça a été pour moi un soulagement et surtout une satisfaction. Au bout de sept mois à être traîné dans la boue, je me suis dis : « Enfin quelqu’un qui m’a écouté et compris ! »
Cette polémique sur les dîners clandestins, vous pensez qu’elle aurait eu lieu si vous aviez vendu des sandwiches à 5 euros ?
C’est vrai que ces dîners, c’était très « parisien ». Je peux comprendre que ça choque : un palais en plein cœur de Paris, un cuisinier un peu show-business, l’argent, le caviar, la truffe, le champagne… Ce qui a joué aussi, c’est que Pierre-Jean Chalençon et moi-même ne sommes pas les personnes les plus discrètes. Pierre-Jean a jeté cette boutade sur les ministres qui auraient été présents à ces dîners, et ça été une traînée de poudre. Ce n’est pas la chose la plus adroite qu’il ait faite, surtout que c’était faux ! Il n’y a jamais eu de ministres à ces dîners…
Mais alors pourquoi a-t-il dit ça ?
Parce qu’il est comme ça ! Je l’aime beaucoup, mais parfois, Pierre-Jean dit des conneries ! (Rires)
Vous dites dans votre livre que lorsque les policiers arrivent chez vous, ils voient les photos des célébrités aux murs et vous disent : « Nous avons des clients en commun »…
Oui, c’est exactement ça. Dans la vie, chacun peut avoir des problèmes : Jean-Luc Lahaye, Patrick Poivre d’Arvor et plein d’autres… Ils étaient sympas, les policiers. Ils faisaient leur job… J’ai voulu leur offrir à boire, mais ils ont refusé. Ils ont quand même pris l’étiquette du vin !
« Après 40 ans de travail, être sali et résumé à un incident de parcours des dîners clandestins, je trouvais que c’était un peu court. »
Quel était le type de votre clientèle ?
Beaucoup de chefs d’entreprise, des politiques, des gens du monde des médias, ce qu’on appelle le Tout-Paris. J’ai fait ça à un moment où les restaurants n’étaient pas ouverts, donc il y a eu une émulsion.
C’était donc une clientèle aisée…
Oui, je recevais des leaders d’opinion, et c’est eux qui font tourner les grands restaurants. Le club privé que j’ai monté, il est au niveau de deux étoiles au Michelin. Ce n’est pas bon marché, on est entre 200 et 500 euros par personne pour déjeuner ou pour dîner. Donc évidemment, il y a déjà une sélection par le prix, mais ma philosophie, ce n’est pas l’argent. C’est surtout le beau, le bon, et de faire rencontrer les gens. J’aime ça avant tout.
Vous racontez que l’un de vos clients est un jour parti précipitamment du restaurant clandestin…
Oui, c’était un homme politique influent d’Île-de-France. Il déjeunait un samedi à midi, et on m’a fait part d’une vidéo qui tournait sur Internet. Alors qu’il était en train de fumer un cigare, je lui ai parlé de la vidéo, et il est parti précipitamment. Il m’a avoué récemment qu’en partant, il avait jeté son portable tout neuf dans la Seine, tellement il avait peur d’être inquiété.
J’imagine que d’autres clients ont pris peur eux aussi…
Oui. On tournait à plein régime. On refusait du monde, avec des gens qui ont du pouvoir. Et du jour au lendemain, ces gens n’ont plus voulu venir. On était bannis !
Des clients vous ont-ils tourné le dos suite à cette histoire ?
Bien sûr. Mais ce n’est pas la première fois dans ma vie que je rencontre des échecs. Ça fait partie du prix à payer. Quand vous êtes dans la lumière, tout le monde vous aime, et quand vous avez des emmerdes, il y a moins de monde. En fait, ils ne m’ont pas tourné le dos, ils m’ont juste ignoré. Le téléphone n’a plus sonné du jour au lendemain.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, ils reviennent petit à petit, mais ils ont été beaucoup moins nombreux pendant 18 mois…
Selon vous, est-ce qu’ils avaient peur ? Craignaient-ils que vous balanciez leurs noms ?
Bien sûr qu’ils avaient peur ! Les gens sont trouillards. C’est curieux de se dire qu’en France, des gens qui sont à la tête d’entreprises ou qui ont des responsabilités ont peur d’être allés dîner dans un restaurant pendant le Covid. Dans le plus mauvais des cas, ils se prennent une amende…
On vous voit peu sur les plateaux télé pour parler de votre livre. Les médias sont frileux à l’idée de vous inviter ?
Oui, je sens depuis 18 mois qu’on veut m’éviter. On refuse de m’inviter dans beaucoup d’émissions. On me dit que les dîners clandestins, on ne veut pas en entendre parler, alors que mon livre ne parle pas que de ça. Dans mon livre, je donne ma réponse aux accusations, mais derrière, il y a une histoire de vie et de rencontres…
Vous avez l’impression d’être un paria ?
Oui, bien sûr, je suis un paria ! Mais ce n’est pas très grave. Ça fait partie de ma situation et de mon job d’aller au combat et renverser la table de tout ça !
Vous êtes resté en bons termes avec Pierre-Jean Chalençon ?
Évidemment ! C’est d’ailleurs lui qui m’accueille au Palais Vivienne pour la soirée de lancement de mon livre. Pierre-Jean, c’est un homme délicieux qui aime la culture, qui a monté une collection magnifique et un endroit magnifique. Alors certes, il a le défaut de parfois un peu trop parler. Mais c’est son tempérament… Et puis je tiens à rappeler que c’est moi qui l’ai mis dans la merde. C’est moi qui l’ai sollicité pour faire quelque chose dans son palais.
Il y a eu des tensions entre vous au moment où l’affaire des dîners clandestins a éclaté ?
À un moment, je lui ai dit : « Ferme ta gueule, Pierre-Jean ! » Mais on s’est parlé entre amis ! À aucun moment, ça n’a entaché notre relation. Et puis ce n’était pas quand on était les pieds dans la merde qu’il fallait se bagarrer…
« J’ai marché sur la patte du petit chien de Michel Sardou. Ça a été une affaire d’État, j’ai cru qu’il allait me casser la tête ! »
Vous l’avez dit, votre livre ne parle pas que des dîners clandestins. Vous racontez plein d’anecdotes avec des célébrités que vous avez côtoyées. Et notamment une assez croustillante avec Michel Sardou…
(Rires) Oui, un soir, je lui ai servi un dîner d’après-spectacle au Zenith de Toulon. J’étais aux cuisines. Il est passé me saluer avant le dîner avec son petit chien. Et là, j’ai marché sur la patte du petit chien de Michel Sardou. Ça a été une affaire d’État, j’ai cru qu’il allait me casser la tête !
Sa réaction vous a surpris ?
Non. Ces gens-là, ils ont leur tempérament. Ils ont aussi un stress. Ils chantent devant des milliers de personnes, ce n’est pas rien. Donc c’est à moi de comprendre. Mon métier, c’est un métier de coulisses. C’est servir, écouter et essayer de leur apporter le meilleur à un moment donné…
Autre anecdote étonnante. Vous avez cuisiné pour le mariage de Johnny et Adeline à Saint-Tropez, mais vous avez connu une belle frayeur…
Oui. Lors des préparatifs, mon fourneau, qui faisait quatre à cinq mètres de long, s’est écrasé complètement sur le sol lors du transport. J’ai dû appeler le gérant de l’hôtel et j’ai demandé en urgence de réquisitionner toutes les gazinières électriques des magasins environnants. Mais vous savez, quand vous êtes dans le feu de l’action, rien ne vous fait peur !
Quelle personnalité vous a le plus marqué ?
Johnny, c’est celui que j’ai le plus connu. Brigitte Bardot, c’est aussi un personnage, elle est insaisissable. Ils sont tous un peu insaisissables. Ce sont tous des tueurs, des lions. Ils ont un affect plus que les autres. Ce sont des dinosaures, ils mangent la vie à une vitesse et avec une force incroyable. Nous, nous ne sommes qu’un ingrédient à un moment donné de leur vie. J’étais avec le Prince Albert la semaine dernière, il a parlé dix minutes avec moi comme si on se voyait tous les jours, très conscient qu’on ne se reverrait que dans cinq ans, six mois ou deux jours…
Un petit mot sur Elizabeth II, la reine d’Angleterre, qui vient de nous quitter ?
J’ai envie de dire bravo ! Bravo d’avoir tenu ses engagements tout au long de sa vie. C’est assez unique. En France, les présidents se succèdent les uns aux autres, donc la royauté, ce n’est pas si mal. Ça rassure les gens d’avoir quelqu’un qu’ils écoutent et en qui ils croient, plutôt que des présidents successifs qui se déchirent constamment…
Quelle est votre actu dans les mois à venir ?
J’ai toujours mon club privé à Saint-Tropez, puis à Paris l’hiver. Je vais changer d’endroit par rapport à ce qui s’est passé. Ça paraît logique. Mais le club, ce n’est pas forcément un lieu, c’est surtout une philosophie. Le club, il peut être partout. Je marie les gens venus d’horizons différents.
Et le palais Vivienne, c’est terminé ou vous allez de nouveau organiser des dîners ?
Je vais évidemment organiser de nouveau des dîners au palais Vivienne ! J’ai des clients potentiels qui veulent faire des choses ici…
Vous semblez prendre les choses avec beaucoup de philosophie…
Oui. Je considère que la vie est une blague. On n’est pas éternels, on est là pour profiter. Il ne faut pas se prendre au sérieux. C’est pour ça d’ailleurs que j’aime Saint-Tropez. Il a plusieurs facettes, ce village. Il y a le côté bling-bling l’été, et puis il y a les autochtones. J’aime ce mélange. Moi, ma vie, elle a toujours été dans le bonheur. Il faut que la vie soit drôle. Même quand je suis en garde à vue, je me marre d’une blanquette de dinde, en me disant qu’elle n’est pas mauvaise…
On ne vous a pas plutôt donné de bœufs-carotte en garde à vue ?
Non, blanquette de dinde plusieurs fois par jour ! (Rires)