Géraldine Danon : « Florence Arthaud voulait faire un film sur sa vie lorsqu’elle était vivante. »
Le 29 novembre, le film Flo, réalisé par Géraldine Danon, sortait au cinéma. Consacré à la vie de la navigatrice Florence Arthaud, première femme à avoir remporté la Route du Rhum en 1990, ce long-métrage montrait la difficulté pour une femme de se faire un nom dans le milieu très masculin de la voile. À l’occasion de la sortie de ce numéro d’Entrevue consacré à la gent féminine, la réalisatrice nous a accordé une interview, évoquant Florence Arthaud, dont elle était très proche, ainsi que la place des femmes dans le milieu de la voile et dans la société…
Jessica Pierné : En novembre dernier, vous avez sorti un film sur la vie de Florence Arthaud. En quoi était-ce si important pour vous de réaliser un film sur elle ?
Géraldine Danon : C’est un film qui est un peu au carrefour de toutes mes vies à moi. C’était la première fois que je faisais de la fiction, car jusque là, j’avais fait du documentaire. Et puis c’est un personnage que je connais bien, car Florence était une amie intime, et une navigatrice de surcroît. Donc il y avait tous les ingrédients : la mer, le cinéma, la fiction, une femme… Ce sont des thématiques qui me tenaient très à cœur.
Il faut s’attendre à un autre film consacré à une femme ?
Oui. Le sujet de mon prochain film est également sur les femmes, mais aussi la nature et le dépassement de soi. Ce sont des sujets qui me tiennent à cœur. Je pense que c’est évidemment fondamental chez moi de raconter des parcours de femmes. C’est même viscéral.
Quel a été le déclic pour passer du documentaire à la fiction ?
Cela faisait longtemps que j’avais envie de passer à la fiction. J’ai réalisé une trentaine de documentaires et je m’apercevais que ces derniers temps, je glissais petit à petit vers la fiction. Cela devenait vital pour moi de raconter une histoire à travers une fiction, avec une autre forme de narration. Florence s’est imposée comme une évidence quand j’ai lu le livre de Yann Queffélec, inspiré de sa vie.
Pensez-vous que Florence Arthaud aurait aimé le film ?
Florence Arthaud voulait faire un film sur sa vie lorsqu’elle était vivante. Elle m’en parlait très souvent, mais j’avais oublié l’idée car j’étais très choquée par ce qui lui est arrivé lors de son accident. Lorsque j’ai lu le livre de Yann Queffélec je me suis dit : « C’est fou ce que sa vie est romanesque ». Et je me suis lancé dans l’écriture de ce scénario, très librement inspiré du livre, en allant cherchant le point de concordance avec ma propre personnalité et ce que j’ai envie de raconter.
Vous disiez que votre prochain film serait consacré à des femmes. Dites-nous-en un peu plus…
Mon prochain film, que je vais tourner l’année prochaine, sera consacré à trois femmes. Il est tiré du livre de Mélissa Da Costa, Les femmes du bout du monde. Il s’agit de la destinée de trois femmes en Nouvelle-Zélande. Il y en a une qui va tout quitter pour aller vivre dans un camping à l’autre bout du monde. Le camping est tenu par une mère et sa fille, et le film va parler de la rencontre de ces trois femmes, ainsi que la façon dont elles vont se réparer dans le matriarcat, les unes au contact des autres, avec cette nature omniprésente et très puissante.
Pour en revenir à Florence Arthaud, qu’est-ce que vous admiriez chez elle ?
Sa volonté, sa liberté, sa fougue, sa boulimie de vivre, sa façon d’être particulièrement vivante, et ce à chaque instant…
Votre film a été présenté en sélection officielle à Cannes. C’est une fierté pour vous ?
C’était une grande fierté et une belle aventure pour un premier film de me retrouver à Cannes en sélection officielle. Les prix font toujours plaisir et les nominations aussi. On est aussi allés à Angoulême en clôture.
Stéphane Caillard ( l’actrice qui interprète Florence Arthaud dans le film, Ndlr. ) a réalisé une performance exceptionnelle. Ça été une déception de ne pas la voir figurer aux César ?
C’est vrai que j’aurais trouvé tout à fait justifié que Stéphane Caillard soit nommée aux César. Je trouve regrettable qu’elle n’y soit pas.
On dit souvent que le milieu de la mer est un univers masculin. Est-ce que c’est toujours difficile de se faire une place dans la navigation quand on est une femme aujourd’hui ?
Les choses ont évolué, mais il est évident que lorsque Florence s’est retrouvée dans ce milieu-là, c’était un domaine où il n’y avait absolument pas de femmes. Déjà, dans la navigation, il n’y avait pas de femmes, mais encore moins dans la compétition. Pour elle, ça a été un vrai défi, un vrai challenge de se rentrer dans ce monde-là. Et elle s’est fait accepter par tous les marins. Ils parlent d’elle avec beaucoup de passion et d’admiration, tous autant qu’ils sont. Aujourd’hui, je crois que ça a beaucoup évolué, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire, notamment quand on voit que certaines navigatrices perdent des sponsors parce qu’elles sont enceintes ou qu’elles vont l’être.
Ces difficultés pour les femmes sont valables dans d’autres milieux…
Oui, c’est un peu la même chose dans le milieu du cinéma et dans beaucoup de milieux. Mais encore plus dans la marine. On accepte très bien que les hommes vieillissent, car dans ce milieu, les gens ne s’épargnent pas, prennent des embruns dans la tête et font la fête. En revanche, on accepte moins que les femmes vieillissent. C’est plus difficile pour une femme que pour un homme de trouver un sponsor après 50 ans, donc il y a encore beaucoup de combats à mener à cet égard pour la cause féminine. Mais heureusement, ça a évolué et ça va dans le bon sens.
Vous êtes vous-même une femme de navigateur ( Géraldine Danon est mariée à Philippe Poupon, Ndlr. ) C’est difficile ?
Je ne me suis jamais considérée comme « femme de ». Il y a beaucoup de points positifs, car on est souvent en mer, avec des bons marins qui conduisent les bateaux. Les points négatifs ? Je n’en vois pas. On va dire que les marins sont une sorte de quintessence des hommes, donc ils ont les qualités et les défauts qu’ont les hommes en général.
Selon vous, quand on est une femme, est-il plus difficile de se lancer dans le cinéma ou la navigation aujourd’hui ?
Ça ne demande pas les mêmes compétences, mais la navigation, c’est compliqué. Il faut un certain courage physique, au-delà du courage mental. Le cinéma est égakement compliqué, parce qu’il y a peu d’élus et beaucoup de gens qui veulent en faire leur métier. Donc c’est compliqué dans les deux cas, mais c’est vrai que braver des océans en solitaire quand on est une femme, ce n’est pas simple…
En ce moment, on parle beaucoup d’abus sexuels et d’emprise sur les actrices. Des langues se délient. Là aussi, les choses bougent?
On a parlé aussi de ce genre de problèmes dans le milieu de la marine. J’ai entendu dire certaines choses, mais oui, je crois que grâce à la prise de parole de certaines femmes, les choses sont en train d’évoluer et c’est formidable. Oui, je suis archi-acquise à cette cause et je soutiens toutes les femmes qui prennent la parole. Ça fait longtemps qu’il y a une sorte de silence, une omertà qui règne sur ce milieu où des choses se passent et sont tolérées par tout le monde. C’est donc formidable qu’il y ait des gens qui prennent la parole pour dénoncer ce qui s’est passé et qui pourrait continuer de se passer si certaines femmes n’avaient pas le courage de parler.
Quelles sont les femmes les plus inspirantes pour vous ?
J’aime beaucoup Andréa Bescond, qui est une amie, qui je trouve a des combats extraordinaires et qui les mène avec beaucoup de courage. J’aime aussi beaucoup Judith Godrèche, qui a pris la parole également. Je trouve ça très courageux. Beaucoup de femmes qui m’ont inspirée : Romy Schneider, Edith Stein, Simone Veil, Simone de Beauvoir et bien sûr Florence Arthaud. J’ai beaucoup d’inspirations très différentes. J’aime toutes celles qui se battent pour l’émancipation de la femme, la liberté et la prise de parole. J’ai de l’admiration pour celles qui ont la volonté de faire avancer la cause des femmes.
Quel est le message que vous aimeriez adresser aux femmes qui veulent devenir navigatrice aujourd’hui ?
De croire en leur rêve et de ne rien s’interdire. Il faut y croire très fort et n’accepter aucune barrière qui puisse être éventuellement dressée sur leur chemin et leurs objectifs.
Pour terminer, je voulais évoquer Alain Delon, qui est votre parrain. A-t-il vu votre film Flo, et avez-vous des nouvelles ?
Non, malheureusement, je ne crois pas qu’il ait vu mon film et je le regrette. Je n’ai pas parlé avec Alain Delon depuis une bonne année. Il me parle uniquement par texto. Il m’a félicité pour la sélection du film Flo à Cannes, mais depuis, on a très peu échangé. Nous n’avons plus de longue conversation depuis un bout de temps…