Flore Cherry: « On assiste aujourd’hui à une certaine spectacularisation du sexe»
Exploratrice de l’intimité et pionnière du dialogue ouvert sur la sexualité, Flore Cherry nous ouvre les portes de son univers dans cette interview exclusive accordée à Entrevue. De ses débuts marqués par la curiosité à son statut de référence francophone en matière de sexualité, elle se livre sur son parcours singulier de journaliste, d’entrepreneuse et d’autrice engagée, et nous plonge dans les coulisses de son nouveau podcast, Phantasme, offrant une immersion dans l’univers des fantasmes humains.
Entrevue : Comment devient-on une référence du journalisme sur les questions de sexualité ?
Flore Cherry : On accède à ce statut par passion et par une curiosité incessante, ainsi que par la quête de réponses à des questions auxquelles on n’a pas encore trouvé de réponse. Le journalisme spécialisé dans les questions d’intimité et de sexualité, surtout en tant que femme, requiert de s’exposer à des situations inconfortables : nous sommes souvent sexualisées pour tout et n’importe quoi, ce qui peut potentiellement nous fermer des portes, créer de l’incompréhension, voire nous associer injustement à des stéréotypes comme ceux de la nymphomane ou de l’actrice porno. Ces sujets sont généralement traités uniquement dans des médias spécialisés, donc cela nécessite un réel engagement personnel pour tenter de les comprendre et d’en avoir une vision sociétale approfondie.
Ces questions liées à l’intime et à la sexualité vous ont-elles toujours passionnée ?
Je pense que oui, dès mes souvenirs les plus lointains, vers l’âge de 14 ou 15 ans. À cette époque, j’observais un décalage entre les adultes avec lesquels je partageais souvent des opinions sur le monde, mais qui étaient en désaccord sur les questions de sexualité. Par exemple, à l’adolescence, je me demandais si c’était « cool » ou non de faire l’amour. D’un autre côté, il y avait ce paradoxe où il était considéré comme « cool » de faire des choses d’adultes, comme fumer. Plus qu’une passion, c’était au départ une intrigue pour moi, car il y avait cette volonté de ne pas appliquer de logique à la sexualité, ce qui m’a vraiment intriguée. Cependant, on ne se lance pas dans une carrière professionnelle uniquement sur la base d’une question. Plus tard, j’ai eu l’opportunité de faire un job étudiant comme vendeuse de sex-toys . Cette expérience m’a permis de constater les profondes méconnaissances des clientes, qui réagissaient souvent de manière émotionnelle et avaient des idées très arrêtées sur le sexe. Toutes ces raisons m’ont conduite à explorer ces questions sur l’intimité et la sexualité, réalisant qu’il était nécessaire de creuser davantage.
Comment observez-vous l’évolution des rapports hommes-femmes depuis MeToo ?
Le mouvement MeToo a indéniablement changé les rapports hommes-femmes depuis 2017, en mettant en lumière une judiciarisation beaucoup plus marquée. Personnellement, je considère MeToo comme une avancée positive, car il met de manière frontale en question les relations hommes-femmes et révèle un constat troublant : les femmes ressentent généralement un malaise, voire une incompréhension, dans leurs interactions avec les hommes. En France, le recours à la justice a été privilégié pour remédier à cela, mais je ne suis pas convaincue que ce soit la solution la plus adaptée. Il est évident que d’autres solutions doivent être explorées. Le problème soulevé par MeToo est légitime et a été exprimé par un nombre significatif de femmes, mais jusqu’à présent, MeToo n’a pas trouvé de réponse satisfaisante.
Vous êtes journaliste dans le domaine de la sexualité, mais également entrepreneuse. Vous avez fondé Sweet Paradise, un bar à fantasmes à Paris. Mais qu’est-ce qu’un bar à fantasmes ?
Sweet Paradise est un concept inspiré des théâtres érotiques qui existaient dans les années 70-80, notamment à Paris. C’est une expérience unique en France, où le spectateur est souvent impliqué comme acteur sur scène, ce qui peut parfois donner un aspect amateur. Il s’agit souvent de pièces de théâtre immersives, un véritable laboratoire de l’érotisme.
N’est-ce pas une forme de prostitution déguisée ?
Il n’y a évidemment aucune prostitution à Sweet Paradise. Nous proposons des spectacles érotiques, voire même des expériences érotiques personnalisées dans nos boudoirs, avec un menu des fantasmes. Toutefois, il n’y a jamais de contact sexuel entre les spectateurs et les Sweeties.
Vous lancez et produisez un nouveau podcast intitulé « Phantasme ». Quel sera le contenu ?
J’avais à cœur de remettre en question les discours communs sur le fantasme, qui souvent se résument à des clichés tels que « toutes les femmes fantasment sur Brad Pitt » ou « le fantasme numéro un des Français est de faire l’amour sur une plage ». Si un sujet est souvent traité avec légèreté par les médias, c’est bien celui des fantasmes. Depuis 2017, les gens m’abordent avec leurs fantasmes, et je constate que la réalité est bien plus complexe que ces stéréotypes. Les fantasmes ne sont pas toujours glorieux, mais il ne faut pas en avoir honte. Avec ce podcast, je crée une safe place où les invités peuvent se confier en toute honnêteté sur leurs fantasmes, tandis que j’apporte mon regard d’experte pour expliquer leur impact sur la sexualité de la personne.
Vous êtes également autrice et romancière. Votre dernier roman, Matriarchie, publié aux éditions de la Musardine, est une fiction politique centrée sur le sexe. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Matriarchie se positionne en contrepoint au livre d’Éric Zemmour, Le Premier Sexe, qui soutient que les hommes sont naturellement enclins à la guerre, à la conquête, au feu et au sang, tandis que les femmes sont associées à la douceur et à l’empathie. Dans Matriarchie, je me demande qui devrait dominer le monde et qui est manipulé par ses désirs profonds. Je pousse à l’extrême le portrait d’hommes prêts à sacrifier leurs droits civiques pour satisfaire leurs pulsions sexuelles. Au cœur de l’histoire, l’amour joue un rôle central. Le roman explore la relation entre deux responsables politiques que tout oppose, jonglant entre leurs idéaux politiques et leur relation amoureuse naissante. Au milieu d’un débat politique enflammé, leur passion remet en question les frontières entre pouvoir et désir.
Est-ce que le sexe est toujours un sujet tabou ?
Bien que le sexe ait longtemps été un sujet tabou, dans notre culture on a tendance à en parler ouvertement. Dans les années 70, par exemple, il y avait des cinémas pornographiques sur les Champs-Élysées et de nombreux magazines dédiés à ce sujet. Même aujourd’hui, les gens se dénudent librement dans le sud de la France. Bien sûr, certains tabous persistent, mais nous assistons à une évolution, notamment en ce qui concerne la libération de la parole sur des sujets comme l’inceste.
Comment la sexualité des Français évolue-t-elle ?
Nous vivons des changements significatifs dans notre sexualité, notamment au cours des dix dernières années. Les jeunes ont moins de relations sexuelles, tandis que l’utilisation des sex-toys et la pratique de la masturbation féminine sont devenues plus courantes. Parallèlement, la structure familiale évolue avec l’augmentation des divorces, ce qui signifie que les Français auront probablement plus de partenaires au cours de leur vie. De plus, on assiste aujourd’hui à une certaine spectacularisation du sexe, alimentée par l’industrie pornographique et la tendance à partager des photos nues, notamment.
Faut-il aimer le sexe pour faire ce que vous faites ?
Non, je pense qu’il est préférable de ne pas nécessairement aimer le sexe pour travailler dans ce domaine. Il est important d’avoir un certain détachement par rapport à sa propre sexualité et à ses pensées afin de ne pas généraliser ses propres expériences à celles des autres.
Propos recueillis par Radouan Kourak