« Flat tax » maintenue : La droite, le centre et le RN unis contre les amendements de la gauche

Entrevue 1

Ce mercredi 23 octobre 2024, à l’Assemblée nationale, les débats sur le projet de loi de finances pour 2025 ont révélé de vives tensions entre les différentes forces politiques. L’une des principales batailles s’est jouée autour de la « flat tax », ou « prélèvement forfaitaire unique » (PFU), un dispositif mis en place en 2018 sous le mandat d’Emmanuel Macron, avec l’objectif d’inciter les contribuables les plus aisés à investir davantage dans l’économie française après la suppression de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF).

Les députés du Nouveau Front populaire ont déposé une série d’amendements visant à augmenter le taux de cette « flat tax ». Actuellement fixé à 30 %, ce prélèvement englobe 12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux. Les amendements proposés visaient à porter le taux global à 31 %, 33 %, 35 %, voire 40 %. Les élus de gauche ont argumenté que les actionnaires et autres détenteurs de capitaux bénéficient d’une fiscalité trop avantageuse, alors que les inégalités continuent de croître dans le pays.

Une opposition féroce et un rejet unanime

En défense de leur proposition, le député écologiste François Ruffin a fustigé ce qu’il considère comme une fiscalité injuste : « Aujourd’hui, ce sont les actionnaires qui vivent très bien, très grassement du travail des autres. Non seulement ils sont gavés de dividendes, mais en plus ils sont moins imposés que les salariés. » Cet argumentaire, relayé par plusieurs membres de la gauche, n’a toutefois pas suffi à convaincre une majorité des députés présents dans l’hémicycle.

La droite et le centre, avec le soutien crucial du Rassemblement national (RN), se sont fermement opposés à toute augmentation du prélèvement forfaitaire unique. Véronique Louwagie, députée Les Républicains (LR), a notamment mis en garde contre les conséquences potentielles d’une telle mesure : « À vouloir faire les poches des contribuables les plus aisés, vous pouvez faire fuir ceux qui investissent dans notre économie. Vous détestez le capital, mais il fait vivre des millions de Français. »

Le RN, qui avait pourtant laissé entrevoir un soutien potentiel à une augmentation modérée du taux en commission des Finances, a finalement choisi de rejeter toutes les propositions de la gauche en séance publique. Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, a justifié ce revirement en expliquant que « les petits porteurs et les chefs d’entreprise se sont sentis injustement visés par ces amendements ». Le RN a préféré défendre une ligne de stabilité fiscale, arguant qu’alourdir la charge fiscale des investisseurs risquerait de nuire à l’attractivité de la France et à la création d’emplois.

Accusations de « complicité » avec le gouvernement

Le revirement du RN a immédiatement suscité l’indignation des élus de gauche. Pour David Guiraud, député La France Insoumise (LFI), ce vote illustre la « complicité » du Rassemblement national avec la majorité gouvernementale dirigée par Michel Barnier. « Le RN a voulu sauver le gouvernement Barnier, terrifié à l’idée d’avoir à se positionner sur une motion de censure après un éventuel 49.3. Vous êtes plus intéressés par votre survie politique que par la justice fiscale et la taxation des plus hauts revenus », a accusé Guiraud dans l’hémicycle, en allusion à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire adopter une loi sans vote.

Le député LFI n’était pas le seul à critiquer l’attitude du RN. Plusieurs parlementaires de gauche ont estimé que le parti de Marine Le Pen cherchait à séduire une partie de l’électorat conservateur et des classes moyennes, plutôt qu’à défendre les intérêts des travailleurs. Cette accusation fait écho aux critiques récurrentes adressées au RN par la gauche, qui l’accuse de protéger les intérêts des plus riches sous couvert de défendre les classes populaires.

La « flat tax » maintenue, mais l' »exit tax » renforcée

Si la gauche n’a pas réussi à augmenter la « flat tax », elle a néanmoins obtenu une petite victoire sur un autre front fiscal : le renforcement de l' »exit tax ». Cet impôt, instauré en 2011 sous Nicolas Sarkozy, vise à décourager les contribuables fortunés de transférer leur domiciliation fiscale à l’étranger en taxant les plus-values latentes de leurs actifs financiers. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, en 2018, le délai permettant d’échapper à cette taxation avait été réduit de 15 à 2 ans, une mesure qui avait suscité de vives critiques à gauche.

Une large majorité de députés, associant la gauche, le RN et la droite, a voté en faveur d’un retour aux dispositions initiales de 2011, avec un délai de 15 ans pour échapper à cette taxe. Cette mesure, soutenue par des députés de tous bords, vise à freiner l’exil fiscal et à maintenir une plus grande équité fiscale entre ceux qui restent en France et ceux qui choisissent de transférer leurs actifs à l’étranger. « Il s’agit de faire en sorte que des personnes ne puissent pas quitter la France avec les poches pleines d’actions, sans rien payer, pour ensuite aller toucher la plus-value ailleurs », a résumé Aurélien Le Coq, député LFI.

Autres mesures fiscales adoptées

Outre ces débats sur la « flat tax » et l' »exit tax », les députés ont également adopté plusieurs amendements visant à mieux encadrer certaines pratiques fiscales. En particulier, deux amendements ont été approuvés pour lutter contre les pratiques dites « CumCum », qui permettent à certains actionnaires d’échapper à l’imposition sur les dividendes en confiant temporairement leurs actions à des intermédiaires étrangers. Cette technique, largement utilisée par des investisseurs institutionnels, permet de contourner la fiscalité française sur les dividendes et est perçue comme une atteinte à l’équité fiscale.

De plus, en matière de logement, un amendement a été adopté pour resserrer les conditions d’exemption de la taxe sur la plus-value lors de la vente d’une résidence principale. Désormais, pour bénéficier de cette exemption, il faudra avoir habité dans le logement pendant au moins cinq ans, contre six mois actuellement, afin de décourager les transactions spéculatives qui contribuent à la flambée des prix immobiliers.

Un budget sous haute tension

L’examen du budget 2025 se poursuit dans un climat de forte tension politique, alors que le gouvernement de Michel Barnier envisage de recourir au 49.3 pour faire passer son projet de loi de finances en force, en l’absence d’une majorité claire à l’Assemblée. La gauche, qui tente de mobiliser contre ce qu’elle perçoit comme un budget « injuste et antisocial », n’a pas dit son dernier mot. Les prochaines séances promettent d’être tout aussi houleuses, avec des débats passionnés sur la réforme de l’assurance-vie, les droits de succession et d’autres mesures fiscales touchant les ménages les plus fortunés.

Au final, le maintien de la « flat tax » et le rejet des amendements de la gauche témoignent des profondes divergences idéologiques qui traversent l’Assemblée sur la question de la fiscalité et de la justice sociale. Si le gouvernement parvient à imposer son budget, il le fera dans un contexte de défiance croissante, tant à gauche qu’à droite.

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