EXCLU – Vente aux enchères d’objets de stars: interview de Fabien Lecoeuvre, expert dans les ventes
Grande tendance actuelle dans l’univers de la chanson, les ventes aux enchères d’objets personnels ayant appartenus à des artistes se multiplient. Immersion dans ce véritable phénomène culturel venu des USA et importé en France, par le spécialiste de la chanson, Fabien Lecœuvre, qui nous parle en exclusivité de ce fascinant business, suite à la vente aux enchère ayant eu lieu hier après-midi, samedi 1er juin, à l’Hotel Drouot, à Paris, pour une vente aux enchères consacrée à la chanson française et internationale….
Jérôme Goulon : Vous êtes expert sur les ventes aux enchères d’objets ayant appartenu à des stars. Dites-nous en quoi consiste ce travail ?
Fabien Lecœuvre : Une de mes nombreuses activités en rapport avec la chanson consiste aujourd’hui à intervenir dans de très nombreuses successions de personnalités pour expertiser et authentifier des costumes de scène, des manuscrits, des disques d’or et même des objets insolites ayant appartenu à des célébrités du monde de la musique.
Donnez-nous des exemples…
J’ai expertisé et évalué la dernière Mercedes de Charles Aznavour, le concours d’entrée à la SACEM de Serge Gainsbourg daté du 1er juillet 1954, le slip de scène de Joséphine Baker de 1926, la première maquette du premier album de Jean-Jacques Goldman que toutes les maisons de disques avaient refusé en 1980, des mèches de cheveux de Claude François, Johnny Hallyday ou Juliette Greco, et même le sex-toy de Mistinguett en bois de hêtre que lui avait offert Maurice Chevalier en 1915 au moment où il partait à la guerre.
Quand et où ont lieu ces ventes ?
Des ventes organisées par différents Commissaires-priseurs comme l’étude Coutau-Bégarie, l’étude Crait-Muller, ou l’étude Debussy, ont lieu régulièrement dans toute la France, notamment à l’hôtel Drouot à Paris, à Cannes, à Rennes, à Charenton…Des événements qui attirent de plus en plus de monde chaque année, en salle, mais aussi par téléphone et sur Internet, où elles sont retransmises en direct.
D’où viennent les objets ?
Essentiellement de diverses successions. Des artistes disparus, des anciens directeurs de maisons de disques et de radio, des anciennes habilleuses, attachés de presse et directeurs artistiques, des anciennes compagnes d’artistes décédées ou des fans qui avaient d’importantes collections.
Ce sont eux qui vous contactent ?
Oui, je suis régulièrement contacté par toutes ces personnes pour les conseiller sur la valeur des choses et surtout pour les orienter vers des commissaires-priseurs. Je me souviens d’avoir été mis en contact avec le fils d’une des compagnes de Mike Brant, qui avait retrouvé dans les affaires de sa mère disparue, plusieurs costumes et chemises du chanteur. Également, un jeune Limousin dont la maman décédée avait gagné dans sa jeunesse un costume de Claude François dans un concours organisé par le journal Podium. Aussi, une ancienne habilleuse à qui Johnny Hallyday avait offert quelques costumes et disques d’or. Enfin, de nombreuses successions pour lesquelles je suis expert comme Juliette Greco, Charles Aznavour ou l’ancienne speakerine Jacqueline Caurat, l’ancien directeur de RTL Roger Kreicher et prochainement Patrick Juvet qui nous a quittés le 1er avril 2021.
Comment vous assurez-vous que les objets sont authentiques ?
Mon rôle consiste à faire la traçabilité d’un objet, c’est-à-dire à l’aide de témoignages ou de photos, prouver que ce vêtement ou ce trophée a bien appartenu à une célébrité. Par ailleurs, je mène des recherches auprès d’anciens collaborateurs. Si j’ai le moindre doute, j’écarte immédiatement l’objet. Pour les stars américaines, je prends conseil auprès de mes confrères à New York et à Los Angeles, ce qui a été le cas pour des mocassins dédicacés au feutre argenté, que Michael Jackson portait durant les répétitions au Madison Square Garden à New York le 7 septembre 2001.
Quels sont les objets qui vous ont le plus marqué ?
Les objets les plus marquants sont les mèches de cheveux, qui portent en elles l’ADN d’un artiste…. Je pense à celle de Johnny Hallyday, que m’a apporté un jour une de ses anciennes coiffeuses du Salon Jacques Dessange à Paris, et qui souhaitait s’en séparer pour financer les études d’ingénieur de son fils. Également, une fan de Claude François qui avait soigneusement conservé dans des petites enveloppes datées, plusieurs mèches de cheveux du chanteur. Pour l’anecdote, une enveloppe était datée du mardi 3 février 1976, le jour où je me suis rendu au bureau de Claude François pour y déposer une demande de stage d’entreprise. Ce jour-là, sa collaboratrice Nicole Gruyer m’a proposé de revenir, car Cloclo n’était pas présent et se trouvait chez sa coiffeuse Catherine Martinez, rue Boissy-d’Anglas à Paris !
Quelle est la fourchette des prix auxquels partent ces objets ? Il y en a pour tout le monde ?
Bien sûr, tout le monde peut repartir avec un souvenir de son chanteur préféré. Que ce soit un disque dédicacé par Joe Dassin ou Jean-Jacques Goldman à 120 euros, ou même un disque signé par les quatre membres du groupe Queen pour la somme de 2 200 euros. En ce qui concerne les disques d’or et trophées, il faut compter entre 300 et 9 000 euros. Cela dépend du nom de l’artiste, du destinataire et du nombre d’exemplaires.
Et les costumes ?
Pour les costumes de scène, les prix varient de 8 000 euros, pour le costume de scène que Johnny Hallyday portait à l’Olympia en 1961, à 34 000 euros pour un costume que Claude François portait le 17 décembre 1975 pour l’arbre de Noël de l’Élysée. Une célèbre tenue de scène achetée par un jeune belge de 23 ans, fan de Cloclo. Enfin, un tableau peint par Serge Gainsbourg à la fin des années 1940, intitulé Enfants au square, et offert à Juliette Greco en juillet 1959, à l’issue d’une émission de radio, a été adjugé 134 000 euros en novembre 2021.
Quels sont les acheteurs ?
Beaucoup d’anonymes de tous âges, qui veulent garder un souvenir unique de leur idole, mais aussi des personnalités du monde du spectacle comme Pascal Obispo, qui avait acheté un manuscrit de Serge Gainsbourg. Autre exemple : Franck Saurat, un célèbre producteur de télévision, qui avait réussi à obtenir dans l’enchère un canotier de Maurice Chevalier et un costume de Thierry Le Luron, l’idole de son enfance.
Qu’est-ce qui fait qu’un objet est cher ?
Tout d’abord, le fait qu’il ait appartenu à une célébrité. Ensuite, sa rareté et enfin, l’histoire que peut raconter cet objet dans la carrière d’un artiste ou d’un groupe. Une baguette du batteur du groupe Indochine jetée dans la foule à l’issue d’un concert s’est vendue à plus de 2 500 euros. Une affiche pour annoncer le tout premier concert des Rolling Stones à l’Olympia le 20 octobre 1964 a été adjugée à 3 800 euros.
Quels sont les artistes qui sont le plus sollicités ?
En France, il y a 15 artistes très collectionnés par des centaines de personnes. En tête bien sûr et depuis plus de 12 ans, il y a Johnny Hallyday, Claude François et Mylène Farmer. Viennent ensuite Renaud, Michel Sardou, Serge Gainsbourg, Dalida, Jacques Brel, Mike Brant, les groupes Téléphone et Indochine, Céline Dion, Patrick Bruel, Jean-Jacques Goldman, Florent Pagny. Personne ne peut expliquer un tel engouement pour certains noms et moins pour d’autres.
Des objets ont été portés par des personnalités vivantes, d’autres disparues. Quand une personnalité meurt, la valeur augmente ?
Incontestablement, je l’ai observé au moment de la disparition de Johnny, le 5 décembre 2017. Tous les prix ont pratiquement doublé, les fans voulant conserver un ultime souvenir lié souvent à leur enfance. La demande s’est élargie depuis 6 ans maintenant. Un blouson porté par Johnny Hallyday au printemps de l’année 1973 vendu 3 500 euros en mars 2016 s’est revendu en décembre 2023 à 6 600 euros.
Ces objets peuvent-ils prendre de la valeur dans le temps ?
Je suis certain qu’avec le temps, cet art nouveau musical va prendre encore plus d’essor. Le public est de plus en plus nombreux à acheter dans ces ventes aux enchères. La demande est aujourd’hui plus importante que l’offre. La valeur et les prix augmentent.
Tout cela mériterait un livre…
Justement, je publie un ouvrage aux Éditions du Signe dans lequel j’ai répertorié les prix de nombreux objets et effets personnels d’artistes, vendus depuis 12 ans dans différentes ventes avec parfois des records impressionnants…
Mèche de cheveux de Johnny Hallyday que le chanteur a offert à sa coiffeuse attitrée du salon Jacques Dessange en 1982 à l’issue d’un rendez-vous. Vendue le 21 novembre 2020 pour 6 440 €