Alors que l’édition 2024 de l’Eurovision s’est ponctuée par la victoire de Nemo, artiste suisse non-binaire, mais aura été aussi polluée par de nombreuses polémiques, Fabien Lecœuvre vous propose, en exclusivité pour Entrevue, de revenir sur les chansons qui ont marqué l’histoire du concours. Qu’ils aient remporté l’Eurovision ou qu’ils y aient juste participé, certains titres ont eu de grands destins. Voici les secrets de cinq grandes chansons liées à l’Eurovision des années 60, 70, 80, 90 et 2000…
L’OISEAU ET L’ENFANT
Grand Prix de l’Eurovision en 1977, « L’Oiseau et L’Enfant » a permis à Marie Myriam d’entrer dans la légende de ce Concours et de démarrer une brillante carrière de chanteuse.
C’est parce qu’un soir de 1976, le compositeur Jean-Paul Cara a eu envie de manger des spécialités portugaises qu’il a fait la connaissance d’une jeune fille à la voix de velours, une certaine Myriam Lopes. Myriam n’est autre que la fille du patron du restaurant où il est allé dîner ce soir-là, et lorsque Jean-Paul Cara l’entend chanter, « Ne me quitte pas » de Jacques Brel, il est ébloui par le timbre de sa voix au point de lui proposer de travailler avec elle. Bien évidemment, Myriam accepte sans hésiter et très vite leur collaboration donne naissance à deux premières chansons, « Ma colombe » et « Rêves d’ailleurs » qui ne sortent pas en France mais reçoivent un joli accueil au Québec.
Jean-Paul Cara qui l’année précédente était arrivé deuxième au concours Eurovision avec l’une de ses compositions, « 1, 2,3 », chantée par Catherine Ferry, décide de renouveler l’expérience, en espérant cette fois finir N°1. Pour cela, il décide d’inscrire Myriam Lopes à ce concours. Reste alors à trouver la chanson. Il sort de ces tiroirs, une mélodie qu’il a écrite quelques temps plus tôt et commence à réfléchir à des paroles. Un jour, en remontant la rue des Martyrs, à Montmartre, il voit un enfant qui regarde au loin passer des oiseaux, ce qui lui inspire les premiers mots de la chanson. Pour la suite, il fait appel au propriétaire de son logement, Joe Gracy qui termine le texte de « L’Oiseau et l’Enfant ». Après avoir passé les premières sélections, Myriam Lopes devenue pour l’événement Marie Myriam se présente donc le 7 mai 1977, la veille de ses 20 ans, au grand Concours Eurovision qui se déroule cette année-là, à Wembley, en Angleterre. Avec 136 points, Marie Myriam remporte haut la main le grand prix de l’Eurovision et vendra plus de 4 millions d’exemplaires de « L’Oiseau et l’Enfant » qui marquera pour toujours sa carrière de chanteuse.
NE PARTEZ PAS SANS MOI
Avec la chanson Ne partez pas sans moi, Céline Dion remporte en 1988, pour la Suisse, le 33eConcours Eurovision de la Chanson. Une formidable victoire qui ouvre à la chanteuse, la voie d’une carrière internationale et marque aussi le début de sa grande histoire d’amour avec son manager René Angélil.
L’histoire de la chanson Ne partez-pas sans moi est avant tout le coup de cœur d’un compositeur pour la voix de Céline Dion.
En 1986, Atilla Sereftug, compositeur d’origine turque installé en Suisse était arrivé à la seconde place au Concours Eurovision, avec sa chanson intitulée Pas pour moi interprété par la chanteuse Daniela Simons pour la Suisse. À la suite de cette première participation, le manager du compositeur l’encourage à trouver une autre interprète pour l’Eurovision 1988 avec une nouvelle chanson. Après avoir écouté plusieurs jeunes artistes, Atilla Sereftug craque littéralement pour la voix incroyable de Céline Dion.
Le compositeur contacte donc par fax, René Angélil pour proposer à l’artiste canadienne de représenter la Suisse au concours Eurovision de la chanson. Dix jours plus tard, il reçoit une réponse pas très enthousiaste de René. Du coup, l’entourage du compositeur lui conseille d’abandonner cette piste et lui propose une autre chanteuse d’origine polonaise. Mais Atilla Sereftug obsédé par la voix de Céline Dion, refuse. Il est convaincu que c’est elle et pas une autre qui doit représenter la Suisse. Pendant une semaine, il écoute sans arrêt la voix de Céline et un matin, réveillé très tôt, il compose en 15 minutes la mélodie de Ne partez pas sans moi. Le soir même, il prépare une maquette dans le studio d’un ami et le lendemain, il l’envoie à René et Céline au Canada.
Deux semaines après avoir reçu la maquette, René Angélil et Céline Dion donnent leurs accords et demandent au compositeur de venir les voir à Montréal pour finaliser la chanson. Ne manque plus qu’à trouver les paroles pour accompagner cette musique. Atilla Sereftug demande alors un texte à la parolière Nella Martinetti qui lui écrit en 48 heures. Quelques jours plus tard, Attila Sereftug s’envole pour le Canada. Il est reçu chaleureusement par René Angélil et Céline Dion. La chanteuse apprend très vite le texte et l’enregistre dès le lendemain en une seule prise.
Le Concours Eurovision de la chanson se déroule le samedi 30 avril 1988, à Dublin en Irlande. Céline Dion, accompagnée de René, arrive une semaine plus tôt. Elle choisit elle-même sa robe. 21 pays participent à ce 33e concours. Céline Dion et sa chanson Ne partez pas sans moi remporte la victoire avec 137 points, avec seulement un point d’avance sur son adversaire, le Britannique Scott Fitzgerald.s. Céline éclate en sanglots à l’annonce des résultats et René crie : « Je t’avais dit, on a gagné ! »
Au cours de cette soirée, la carrière de Céline Dion prend une tout autre dimension. René Angélil utilise habilement cette victoire à l’Eurovision pour faire monter les enchères sur le contrat de Céline Dion avec Sony Music. La maison de disques investira dès lors, 3 millions de dollars pour la sortie en 1990 du premier album en anglais de la chanteuse.
Si professionnellement ce Concours Eurovision a été déterminant pour la carrière internationale de Céline Dion, sur le plan personnel, il a aussi changé la vie de la chanteuse. Après la soirée, René et Céline s’embrassent amoureusement pour la première fois et démarrent véritablement leur histoire d’amour passionnée. Ils la garderont secrète jusqu’en 1993.
34 ans après sa sortie, la chanson Ne partez pas sans moi est remise à l’honneur en 2022. Elle est reprise par les élèves de la Star Academy et devient l’hymne de l’émission de TF1.
POUPÉE DE CIRE, POUPÉE DE SON
Au printemps 1965, c’est une chanson de France Gall qui remporte le Grand Prix de l’Eurovision. Revenons sur la genèse en rose bonbon de « Poupée de cire, poupée de son » composée quelques mois plus tôt par Gainsbourg.
Petite fille de Paul Berthier, organiste à la cathédrale d’Auxerre et co-fondateur des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, France Gall est la fille de Robert Gall, un ancien chanteur lyrique et auteur de centaines de chansons. Après un premier 45 tours vendu à plus de deux cent mille exemplaires, France Gall abandonne l’école et devient la première lolita pop de toute une jeunesse. Elle fait confiance à Serge Gainsbourg pour ses disques suivant dont « n’écoute pas les idoles » et «Laisse tomber les filles » sont les titres phares. Gainsbourg, à cette époque, écrit des chansons inspirées du jazz, de la bossa nova et du rock. Il a déjà écrit pour Michèle Arnaud « La recette de l’amour fou », pour Juliette Gréco « L’amour à la papa » et pour Isabelle Aubret « La chanson de Prévert ». Ses chansons sont souvent à contre-courant des sujets à la mode, et pourtant…
A la rentrée de l’année 1964, dans le référendum du mensuel Salut les Copains, France Gall est élue dauphine de Sylvie Vartan, détrônant Sheila et Françoise Hardy. Et c’’est véritablement le 15 octobre 1964 que commence l’histoire de la chanson « Poupée de cire, poupée de son », lorsque Serge Gainsbourg découvre à la une du magazine Mademoiselle Age Tendre sa jeune interprète. Il est ébloui, tant la photo est belle. Il achète le journal, rentre chez lui et compose les premières notes de « Poupée de cire, poupée de son ». Il faut dire que sur la couverture du magazine, France ressemble à une jolie poupée. Par ailleurs, Gainsbourg n’a pas de mal à trouver les mots, il s’inspire des propos de la jeune artiste que généralement son père lui dicte dans les interviews.
Avec cette chanson, France Gall est alors sélectionnée pour représenter le Luxembourg à la dixième édition du Grand Prix de l’Eurovision. Le 20 mars 1965, elle part pour Naples avec Serge Gainsbourg et sa grande confidente Brigitte Berthollier. L’après-midi, les répétitions ne se passent pas très bien. Les musiciens du spectacle n’aiment pas les orchestrations trop rapides de la chanson. Quand l’artiste a fini de répéter, ils sifflent et protestent violemment. Tout le monde sur place est catastrophé, Gainsbourg fait la tête et menace de rentrer à Paris. France Gall se moque de tout cela car le soir même, en direct, elle interprète la voix tremblante et le teint pâle, devant deux cent millions de téléspectateurs « Poupée de cire, poupée de son ». Plébiscitée par le jury à la majorité absolue des voix, elle se retrouve propulsée à la première place avec 32 points. Consacrée vedette internationale en un instant, bousculée oppressée, elle rentre seule à Paris au lendemain de ce succès dont elle ne mesure pas encore l’ampleur. La presse française se déchaine et dans son ensemble conteste ce choix. Alors Gainsbourg sort ses griffes et défend sa jeune interprète. Il n’admet pas qu’on dise du mal de cette fille qui chante juste. Il accuse les nouvelles idoles yé-yé de ne pas admettre le succès de France Gall et trouve Françoise Hardy trop « adolescentine ». De retour à Paris, il affirme : «France Gall est un personnage ambigu. Sous couvert d’une gentillesse enfantine, elle est la seule de nos chanteuses pop à attaquer le système. France Gall, c’est Alice au Pays des Merveilles… Si vous savez ouvrir cette huitre, vous y trouverez la perle… Sinon vous tomberez sur une moule ! »
Serge Gainsbourg est émerveillé après la victoire de sa chanson « Poupée de cire, poupée de son ». Les propositions de galas pour l’étranger se précisent. Au Japon, France Gall devient du jour au lendemain Millionnaire du disque. Elle enregistre en Italien, en espagnol et en allemand la chanson et se classe parmi les meilleures ventes de l’année dans plus de dix neuf pays. En France, « Poupée de cire, poupée de son » se vend à plus d’un million six cent mille exemplaires. Un record absolu dans l’histoire de la chanson française en 1965.
J’AI CHERCHÉ
Incontestable tube de l’été 2016, J’ai cherché interprété par le chanteur franco- israélien Amir Haddad est arrivé en 6e position au 61e Concours de l’Eurovision.
Amir Haddad est né à Paris en 1984 mais à l’âge de 8 ans il part s’installer en Israël avec sa famille. Doué pour la chanson, malgré une surdité à la naissance, c’est là-bas qu’il se fait connaître en 2006, en arrivant en finale de la version israélienne de l’émission La nouvelle Star. Même si une carrière musicale se dessine alors pour lui, il entreprend parallèlement des études pour devenir dentiste. En 2011, il sort un premier album sur lequel figure la version en hébreu du titre de Patrick Bruel, Je te le dis quand même qui connaît un beau succès. Deux ans après, Amir de retour en France après avoir obtenu son diplôme de dentiste, se présente aux castings de la 3e saison de l’émission The Voice, diffusée sur TF1. Il est retenu et participe au programme entre janvier et mai 2014, coaché par Jenifer. Amir arrive en Finale mais il est battu par Kendji Girac. Après l’émission, Amir prépare alors un premier album en français et c’est en travaillant sur des titres pour cet album que va naitre la chanson J’ai cherché.
Pour créer cette chanson, Amir Haddad s’est entouré de deux jeunes auteurs compositeurs. L’un s’appelle Nazim Khaled, il est originaire de Marseille mais a grandi à Saint Etienne où il a étudié la musique au Conservatoire de la ville. On lui doit des chansons pour Yannick Noah, Chimène Badi ou pour Kendji Girac. L’autre co-auteur de J’ai cherché s’appelle Johan Errami. C’est un auteur compositeur de 25 ans, originaire de Tarare dans le Rhône. Il a composé d’abord pour des rappeurs comme Soprano, Alonzo ou Rohff avant de créer des chansons comme Mi Amor ou Les yeux de la mama pour Kendji Girac. Amir, Nazim et Johan se rencontrent en janvier 2015 et très vite le courant passe entre eux. Ils décident alors d’écrire et de composer ensemble des titres. J’ai cherché nait en seulement deux heures, au cours d’une nuit blanche dans un studio d’enregistrement parisien. Au départ, la chanson ne satisfait pas les trois créateurs qui n’envisagent pas du tout qu’elle devienne un single. C’est en la faisant écouter à différentes personnes extérieures à l’équipe qu’ils vont changer d’avis. L’album d’Amir est signé chez Warner Music. Il est précédé d’un premier single en juin 2015, intitulé Oasis qui passe relativement inaperçu. J’ai cherché sort officiellement le 22 janvier 2016 sans qu’il soit encore question que cette chanson représente la France au 61e Concours Eurovision de la chanson. C’est seulement le 29 février 2016 que France 2 officialise la nouvelle. La Finale se déroule à Stockholm, le samedi 14 mai 2016. Amir Haddad et son titre J’ai cherché arrive à la sixième place du concours avec 257 point, ce qui en fait le meilleur classement pour la France depuis 2002. Devenu déjà un beau succès radio en France, durant tout le printemps, ce bon résultat à l’Eurovision lui permet de devenir aussi l’un des grands tubes de l’été 2016. Pour la petite histoire, le secrétaire d’Etat à la francophonie André Vallini avait lancé une polémique en s’offusquant via les réseaux sociaux que J’ai cherché avait un refrain en anglais ce qui était un comble pour une chanson représentant la France. Amir s’en est défendu en disant que la chanson était partie d’un gimmick qui sonnait comme de l’anglais mais qu’en aucun cas il n’avait eu l’intention d’écrire une chanson avec un refrain en anglais. Finalement, le succès de la chanson et son bon résultat au concours Eurovision auront finalement raison de la polémique.
WHITE AND BLACK BLUES
En 1990, Serge Gainsbourg signe les paroles de White and Black Blues, la chanson qui représente la France au Concours Eurovision de la chanson. Avec ce titre magnifique ode à la tolérance et aux respects des différences, Joëlle Ursull se classe à la deuxième place ex-aequo du concours et entre au Top 50.Entre Gainsbourg et l’Eurovision, c’est une longue histoire qui démarre en 1965 quand avec l’une de ses chansons qu’il a écrite et composée : Poupée de cire, poupée de son, la jeune France Gall remporte le concours pour le Luxembourg. Deux ans après, en 1967, Serge Gainsbourg remet ça en écrivant et composant Boum-Badaboum, une chanson interprétée par Minouche Barelli qui représente Monaco au Concours et se classe à la 5e place. Et puis, en 1990, c’est à nouveau une de ses chansons, White and black blues, dont il a seulement signé les paroles qui est en compétition lors du 35e concours Eurovision qui se déroule à Zagreb, en Yougoslavie, le 5 mai 1990. C’est à l’initiative de la nouvelle directrice des divertissements d’Antenne 2, Marie France Brière que Serge Gainsbourg est sollicité pour écrire une chanson pour Joëlle Ursull, l’ex-membre du groupe Zouk Machine qui démarre une carrière solo et qui a été choisie pour représenter la France, à l’Eurovision cette année-làSur une musique du guitariste et compositeur Georges Augier de Moussac, connu notamment pour ses nombreuses collaborations avec Hugues Aufray, Serge Gainsbourg imagine un texte qui dénonce le racisme et revendique la fierté de ses racines. Avec ce titre, Joëlle Ursull se classe avec 132 points, à la seconde place, ex-aequo avec Liam Reilly, le chanteur qui représentait l’Irlande, juste derrière Toto Cutugno qui a remporté le concours. Même si avec cette chanson, Joëlle Ursull n’est pas arrivée à la première place, elle obtient un immense succès commercial. Le disque se vend à 500 000 exemplaires et devient disque d’Or se classant même N°2 au Top 50 au mois de juillet 1990.