EXCLU – Donald Trump président après avoir frôlé la mort: interview de Jean-Pierre Diot, garde du corps de hautes personnalités

Jean-Pierre Diot, Donald Trump

Ce lundi 20 janvier marque l’investiture de Donald Trump, élu pour la deuxième fois président des États-Unis d’Amérique. Un événement qui a bien failli ne jamais se produire. Le 13 juillet 2024, Donald Trump, alors candidat à la succession de Joe Biden, donnait un meeting à Butler, en Pennsylvanie, quand un homme lui a tiré dessus. Le candidat républicain a échappé de très peu à la mort, la balle lui ayant blessé l’oreille. Si le tireur, Thomas Matthew Crooks, 20 ans, a été abattu, de nombreuses questions se sont posées sur la sécurité, accusée d’avoir manqué de vigilance. La scène, diffusée en direct à la télévision, a d’ailleurs montré un manque de cohésion et d’organisation des services censés assurer la protection de l’ancien président.

En ce jour d’investiture de Donald Trump, nous avons choisi de revenir sur cet événement « historique » afin de l’analyser. Pour cela, nous avons interviewé Jean-Pierre Diot, garde du corps travaillant pour le GSPRP ( Groupe de sécurité et de protection rapprochée privée ). Il a été pendant 15 ans au Service des hautes personnalités, l’élite de la profession. Il a assuré la protection des plus grands, tels que le pape Jean-Paul II, Bill Clinton, Nicolas Sarkozy, Yasser Arafat ou encore Vladimir Poutine, pour en citer qu’eux. Suite à la tentative d’assassinat sur Donald Trump en juillet dernier, il nous a livré son analyse et nous a parlé des coulisses fascinantes de son métier.

Jérôme Goulon : Ce lundi 20 janvier marque l’investiture de Donald Trump, qui aurait pu ne jamais arriver. Le 13 juillet 2024 a en effet été marqué par la tentative d’assassinat sur le candidat républicain. En tant que garde du corps, avec le recul, quel regard portez-vous sur cet événement ?
Jean-Pierre Diot : Je constate que les effectifs qui entouraient Trump n’ont pas reçu les informations et l’entraînement nécessaires pour ce niveau de protection. Beaucoup de choses laissaient penser qu’on avait plutôt affaire à des gens qui ont été mis là très rapidement, sans avoir à l’esprit que c’était quand même un ancien président et qu’il fallait apporter à la fois des effectifs et du matériel adapté à sa protection. 

Il y a une image qui a fait le tour du monde, c’est celle de la garde du corps qui n’arrive pas à remettre son pistolet dans son étui. Ça paraît quand même assez incroyable…
Pour un garde du corps, la première des choses est de savoir se servir de son outil de travail, à savoir son arme à feu. Et s’en servir, ça veut dire à la fois savoir tirer et aussi savoir la gérer. C’est dans des moments comme ça où il faut montrer une maîtrise complète. On le voit sur les images, elle avait un étui qui était très mal placé. Un officier entraîné sait remettre son arme dans l’étui sans même la regarder. Plein de petites choses comme ça montrent que ce jour-là, niveau sécurité, on n’était pas au top de ce qu’on pouvait attendre. 

La sécurité était assurée par des amateurs ?
Vous savez, dans ces meetings, pour en avoir fait quelques uns, c’est toujours répétitif, et malheureusement, quand on n’est pas trop habitué à ça, quand on n’est pas assez professionnel, on a tendance à se laisser déborder par une espèce de lassitude en pensant qu’il ne se passera rien…

Ça pose question sur le niveau de sécurité des effectifs, non ?
Il ne fait pas généraliser. Le problème que l’on rencontre dans toutes les missions, c’est que quand il ne se passe rien, on nous dit : « Vous voyez, il ne s’est rien passé, donc ce n’était pas la peine de faire de la protection. » Mais quand il ne se passe rien, c’est aussi parce que le boulot a été bien fait, que des suspects ont pu analyser la situation et se dire : « Il y a trop d’effectifs, la sécurité est trop pointue, ce n’est pas la peine. » C’est d’ailleurs ce qui c’était passé à un moment avec Yitzhak Rabin : il avait été observé une première fois, et celui qui voulait le tuer s’était senti observé par les officiers de sécurité, et il n’était pas intervenu. Il a dû attendre une autre tentative…

Qu’est ce qu’il se passe dans la tête des gardes du corps qui ont entouré Trump, quand ce dernier brandit le poing en disant : « Fight, fight, fight » ?
On peut remarquer qu’il y a un moment de blocage : il est figé, tout le monde est figé. Ça, ça m’a inquiété. On l’a laissé faire son show et ça a marché, mais avec une équipe de professionnels, il n’aurait pas pu faire ça. Il aurait été couché au sol pour éviter peut-être le coup fatal, car personne ne savait ce qu’il se passait véritablement. Si on avait eu affaire à des tueurs professionnels, ils auraient pu mettre deux tireurs dans deux zones différentes pour assurer le coup. La sécurité de Trump n’aurait jamais dû le laisser faire son show. S’il y avait eu un deuxième tireur, il était mort ! Autre chose que l’on peut remarquer dans cette séquence : on voit au moment de l’évacuation que les gardes du corps de Trump le transportent jusqu’au véhicule. Or, dans une situation gérée par des professionnels, c’est le véhicule qui recule au plus près de la personnalité pour le charger, pour le mettre en sécurité, en se servant de la voiture blindée comme d’un bouclier. C’est tout cela qui me laisse penser que nous avons affaire à des gens qui n’étaient pas vraiment aguerris à ce genre de métier. 

“ Ce que l’on redoute le plus en tant que garde du corps, c’est le coup de feu et l’attaque au couteau. ”

Et comment est-il possible qu’il y ait eu des effectifs non aguerris pour protéger un ex-président, candidat à une nouvelle investiture ?
Il y a beaucoup de meetings, et donc beaucoup d’effectifs à répartir sur les différents sites. C’est ce qui a fait que cette situation est arrivée.

L’investiture de Donald Trump a lieu aujourd’hui dans une salle fermée, et non en plein air, officiellement pour des raisons liées à la météo. C’est plus sûr ?
Ce qui est certain, c’est que les meetings en plein air sont toujours plus risqués. Quand un événement se passe dans un local fermé, c’est plus facile à gérer pour la sécurité…

Après ce genre d’attentat raté, comment réagit-on en interne ?
Je suppose qu’il y a eu un débriefing sévère pour mettre en relief toutes les carences qui ont pu se produire, peut-être même changer les effectifs, parce que là, véritablement, on a une succession d’erreurs dues à un manque d’entraînement, un manque de cohésion, un manque de connaissance de chacun… On reconnaît une bonne équipe de sécurité à sa faculté d’anticiper la défaillance d’un officier de sécurité et à la cohésion d’une équipe : tout ce qu’on a pas vu le 13 juillet. Et tout ça se travaille à l’entraînement, avec des jeux de rôles pour palier à tout ce qui peut arriver. 

La directrice des services secrets a été limogée. C’est justifié selon vous ?
C’est la conséquence logique de ces hauts postes à responsabilité, lorsque la mission a échoué. Mais ne vous inquiétez pas pour elle, elle est reconduite dans une mission différente sans perte de salaire.

On sait qu’il y a plusieurs cercles de protection autour d’une personnalité. Ils ont tous la même importance ?
Tout le monde est complémentaire. Nous, le rôle du premier cercle, c’est d’accompagner la personnalité du point A au point B, et une fois que c’est fait, c’est au deuxième, troisième ou quatrième cercle de s’organiser. Pour vous répondre, souvenez-vous de Jacques Chirac qui s’est fait tirer dessus. Ce sont les éléments en civil tout autour qui ont interpellé le tireur et qui ont fait le travail. En général, le premier cercle autour d’une personnalité, c’est vraiment celui de la dernière situation, quand les éléments qui sont plus écartés de la personnalité n’ont pas permis d’arrêter un assaillant. 

« Si on a peur de se prendre une balle, je crois qu’il faut changer de métier… »

Quand vous protégez une personnalité, quelle est votre plus grande crainte ?
Ce que l’on redoute le plus en tant que garde du corps, c’est le coup de feu et l’attaque au couteau. C’est pour ça que notre rôle est de donner le moins de visibilité possible à un assaillant lors des déplacements d’une personnalité. On a toujours un ou deux porteurs d’une mallette en kevlar, qui travaillent pour pouvoir la déployer à une vitesse la plus rapide possible si nécessaire. 

La mallette arrête tous les calibres ?
Non, pas cette mallette en kevlar qui se déplie en trois parties , mais il en existe de plus performantes qui arrêtent les plus gros calibres. Dans tous les cas, il faut mettre en doute l’agresseur sur ses chances de réussite.

Quand on est garde du corps de personnalité, la peur de se prendre une balle est-elle présente ?
Nous sommes des policiers avant tout, et nous avons tous fait face à des situations particulières. Beaucoup viennent de la brigade anti-criminalité, donc ils ont une connaissance du terrain. Si on a peur de se prendre une balle, je crois qu’il faut changer de métier, parce que malheureusement, c’est ce qui peut arriver. On travaille pour que cela n’arrive pas, mais ça peut arriver. Et puis on a quand même un gilet pare-balles, même si tenir toute une journée avec, c’est très dur. Avec tout notre équipement, les chargeurs, les armes, la matraque, la gazeuse, la radio, on peut peser 20 kg de plus. Il faut tenir le coup et être entraîné pour ça.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
J’ai travaillé 5 ans dans un commissariat de police. Ensuite, j’ai passé les examens pour être instructeur, moniteur de sport de combat, d’éducation physique et autre. J’entraînais les commissariats, et puis j’ai vu une annonce pour être instructeur au service de protection des hautes personnalités. C’était en 1994. J’ai postulé, on était nombreux, et j’ai eu la chance d’être sélectionné pour faire partie de cette équipe. Je suis entré dans la foulée au Groupe d’Appui des Hautes Personnalités. Ce groupe de 20 personnes avait vocation de protéger les personnalités les plus menacées de la planète qui venaient en France.

Vous avez protégé de nombreuses personnalités, dont Nicolas Sarkozy. Le concernant, comment ça s’est passé ? C’est vous qui choisissez quelle personne vous souhaitez défendre ?
Non. J’étais en Bolivie en train de faire une formation pour le président bolivien, et j’ai été appelé pour me rendre au bureau de mon patron le jour de mon retour. Je ne savais pas pourquoi, et il m’a dit : « Je vais vous mettre avec Nicolas Sarkozy. » J’ai été mis à sa disposition, mais je ne l’avais pas demandé. 

Quels autres politiques avez-vous protégé ?
J’ai protégé les personnalités les plus menacées de la planète, comme le roi d’Espagne ou le ministre des Affaires étrangères espagnol, avec les menaces de l’ETA. J’ai défendu des politiques venant d’Israël et de Russie, comme Poutine, dont j’ai été plusieurs fois affecté à la protection. Il y  a eu aussi président américain Bill Clinton, le pape Jean-Paul  II ou encore Yasser Arafat…

Quelle est la relation entre les personnalités et les gardes du corps ? Vous nouez des liens avec eux?
Bien sûr qu’il y a des liens, mais j’ai toujours dit que les liens qui devaient se développer entre une personnalité et un officier de sécurité devaient rester très professionnels. 

Pourquoi ?
Des personnalités peuvent nous tutoyer, mais pour autant, nous ne sommes pas leurs amis. On doit rester à sa place, et ça, je peux vous assurer qu’ils apprécient énormément. On peut avoir une intimité tout à fait professionnelle, mais pour autant, il faut toujours garder sa place. On les connaît, on connaît leur humeur. Quand ils vont faire un footing, ils aiment bien être dans leur monde à eux, car c’est un moment de détente, et ce n’est pas le moment de leur parler. Dans toutes les formations que j’ai faites, savoir rester à sa place, c’est vraiment quelque chose auquel je tenais, car c’est de là qu’on reconnaît un bon officier : savoir prendre ses distances tout en étant à côté… 

Durant votre carrière, est-ce qu’il y a une personnalité qui vous a marqué plus qu’une autre ?
Ça va vous sembler étrange, mais celui que j’ai protégé et qui prenait le plus soin de son équipe de sécurité, c’était Yasser Arafat. Il s’assurait toujours qu’on n’ait besoin de rien, car nous avions de très longues journées. C’est même arrivé qu’une fois, nous n’avons pas réussi à avoir des chambres d’hôtel, et sa porte-parole nous a donné sa chambre pour que l’équipe de sécurité puisse se reposer sur place. C’est quelque chose qu’on ne voit jamais d’habitude. D’autres personnalités ne vous offriraient jamais ne serait-ce qu’un verre d’eau. 

Ce n’est pas trop difficile de risquer sa vie pour une personne qui ne veut même pas vous donner un verre d’eau ? 
C’est le métier. Il y a des personnalités qui sont vraiment infâmes, mais souvent, les plus désagréables, ce sont tous les membres du staff autour. Je me souviens d’une mission pour protéger une personnalité américaine. Sa responsable de la sécurité nous avait dit : « Surtout, vous ne lui adressez pas la parole ». On a respecté ça, mais du coup, c’est lui qui est venu au contact avec nous, c’est lui qui nous posait des questions, il était super sympa. 

Vous avez assuré la sécurité de Jean-Paul II. Quel souvenir avez-vous de lui ?
Le pape, ça a été l’un de mes plus beaux souvenirs de sécurité rapprochée. Je l’ai fait deux fois. C’était une très grosse organisation, car il était très affaibli. On l’accompagnait jusqu’à sa suite, donc on avait un contact très privilégié. Tout pape qu’il était, c’était un être humain. Mais c’était une grosse organisation. Il fallait prévoir un  hélicoptère pour une évacuation d’urgence. On avait aussi prévu un protocole d’évacuation d’urgence très particulier, parce qu’on savait qu’il pouvait faire un malaise à tout moment, et il ne fallait pas que le public le voit dans un état défaillant. 

Quel est votre pire souvenir ?
Je n’ai pas de pire souvenir en particulier. Ce que je peux dire, c’est que le plus difficile, ce n’est pas la mission, mais les heures d’attente. On est 90% du temps en attente. Il faut donc être patient et toujours avoir un équipement infaillible. Quand vous êtes sur une mission qui dure 14 heures, que vous dormez deux heures, vous avez intérêt à avoir de bonnes chaussures et un costard qui vous va nickel. Tout doit être calculé. Quand vous êtes longtemps sur des positions d’attente, en plein soleil, à marcher très peu, si vous n’avez pas un bon équipement, ça peut devenir difficile. 

Perdre une personnalité, c’est une hantise ?
On est constamment sur le qui-vive. La mission, elle commence à la descente de l’avion jusqu’à la remontée dans l’avion. Tant que la personnalité n’est pas remontée dans l’avion, on est en tension permanente. Et même quand l’avion décolle, il faut attendre le point de non-retour pour repartir, soit 30 minutes après le décollage, car il peut toujours y avoir un incident en vol. Tant que le point de non-retour n’est pas annoncé, on reste en attente.  

Quand on est garde du corps, on peut avoir une vie en dehors du travail ?
On peut avoir une vie, mais il faut être marié avec une épouse qui comprenne. Moi, ma femme était policière, donc ça allait. Une mission peut arriver à tout moment, même si pour les missions les plus importantes, on le sait à l’avance.

Avec le temps, qu’est-ce qui a le plus évolué dans votre métier ?
C’est surtout le matériel qui a évolué, avec l’amélioration des véhicules, des protections balistiques, et l’apparition notamment des brouilleurs et des drones, qui permettent de repérer des lieux. Maintenant,  à moins d’envoyer une armée de droïdes autour d’une personnalité, l’homme reste ce qu’il est. Et encore, ce n’est pas le nombre qui fait la qualité. En Corée du Nord par exemple, ils font des murs humains autour d’une personnalité, mais ce n’est pas plus efficace. Regardez l’évacuation de Donald Trump lors de sa tentative d’assassinant, il y avait beaucoup de monde autour de lui, mais il n’y avait aucune cohésion. On voyait un manque de connaissance des uns et des autres au sein de l’équipe de sécurité.

Pour terminer sur une note plus légère, que pensez-vous des films mettant en scène des gardes du corps, comme Bodyguard ?
Beaucoup de gens identifient la profession de garde du corps à des films. On m’a souvent parlé de Kevin Costner. Dans l’esprit des gens, le garde du corps, c’est le costard noir et les lunettes noires, même si pour moi, les lunettes noires ne sont pas un avantage…

Pourquoi ?
Quand on met des lunettes noires, les gens ne peuvent pas voir où vous regardez. Ce n’est pas forcément bien. Le fait de ne pas avoir de lunettes et de porter le regard sur des potentiels suspects, ça peut les dissuader d’agir et leur faire penser: « Il m’a vu, je suis repéré. Donc je renonce. » Quand un suspect est repéré, il a une attitude différente, car il a le doute d’avoir été repéré. Et regarder un suspect dans les yeux peut le dissuader d’agir. Donc je ne suis pas pour les lunettes noires, même si les Américains ont tout le temps ça. D’ailleurs, regardez la tentative d’assassinat de Trump : une agent de sécurité perd ses lunettes et essaye de les remettre… Panique générale ! Ça ne fait pas sérieux… Donc les lunettes noires, c’est un cliché, mais dans les faits, ce n’est pas un atout selon moi… 

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Entré à la rédaction d’Entrevue en 1999 en tant que stagiaire avant d'en devenir le rédacteur en chef en 2014, Jérôme Goulon a dirigé le service reportages et réalisé de grosses enquêtes en caméra cachée et d’infiltration. Passionné de médias, d’actualité et de sport, il a publié de nombreuses interviews exclusives. En parallèle, il apparaît régulièrement depuis 2007 à la télévision sur différentes chaînes ( TF1, France 3, M6, C8, NRJ 12, RMC Story ), notamment sur les plateaux de Jean-Marc Morandini et Cyril Hanouna. Il a également été chroniqueur pour Non Stop people (groupe Canal+) et sur Radio J. 

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