DAVA 9 : Plongée dans un maelström de non-sens et de vérités grinçantes

03 octobre, 2024 / Laurène Thierry

Laurène Thierry, comédienne et chroniqueuse culture, vous plonge au cœur des spectacles les plus en vogue de la capitale et à travers toute la France. Pour Entrevue, elle explore le monde du théâtre et vous fait découvrir des artistes et des récits captivants.

DAVA 9, c’est un peu comme une blague de mauvais goût à laquelle on hésite d’abord à rire, puis qui finit par nous emporter. Sur scène, Sacha Béhar et Augustin Shackelpopoulos, duo complice et insaisissable, transforment chaque instant de leur spectacle en une expérience délicieusement inconfortable. Le spectateur se retrouve pris entre éclats de rire et légère gêne. Leur humour se tord de rire sur lui-même, se prend les pieds dans le tapis et rebondit avec panache sur un socle d’absurdité pure. C’est précisément là que réside tout l’art de DAVA (qui signifie Divertissement Ad Vitam Æternam) : jouer sur ce fil de l’embarras, là où la gêne devient un vecteur de réflexion inattendu.

La scène du Palais des Glaces est dénudée, à peine encombrée de quelques accessoires : deux chaises, deux micros et un écran au fond, support de leurs vidéos follement décalées. Le spectacle s’ouvre comme une mauvaise émission de télé avec la projection d’un compte à rebours kitchissime volontairement interminable. Puis les deux compères apparaissent sur scène et commencent par s’interviewer mutuellement. Cette demi-heure de parodie de talk-show introduit l’actualité délirante du duo. On apprend par exemple qu’Augustin travaille d’arrache pied à la création d’un parc à thème… sur Nietzsche ! Avec, pour attraction phare, le “Zarathousplash”. Les trente minutes suivantes tournent au chaos comique entre remerciements, name dropping absurde et défilé d’anecdotes incongrues. 

À coups de dialogues surréalistes et de pastiches de journaux télévisés, les deux humoristes dynamitent la rhétorique creuse – marketing d’entreprise, langage politique – qui envahit notre quotidien. Tout y passe. Sacha et Augustin n’hésitent pas à brasser tous les thèmes, des plus anodins aux plus épineux : écologie, politique, actualité… Ils dépècent chaque sujet, l’écorchent, l’étirent jusqu’à l’absurde, pour révéler au final ce qu’il a de plus vide et de plus risible. Ils tapent sur les GAFAV (Augustin tient à ajouter Vimeo à la liste), soutiennent les météorologues français, dénoncent le chemsex et Pierre Palmade. Ils démontent les discours convenus autour d’Emmanuel Macron, se moquent de la gauche comme de la droite, prétendent déchiffrer le langage caché des plantes, encouragent la consommation locale, remixent Bob Dylan… Leurs visages fermés et sérieux et leur ton premier degré contrastent avec ces discussions sans lien apparent. Chaque phrase semble se heurter à la précédente, tout raisonnement se saborde dans l’incohérence la plus totale. Et pourtant, de ce chaos naît un sens : DAVA 9, derrière son vernis de non-sens, son apparente désinvolture, soulève une critique acerbe et dévastatrice de la vacuité des discours contemporains. 

Leurs vidéos projetées à l’écran font office de pauses, mais pas de répit : elles plongent encore plus loin dans leur univers. On y voit des compilations d’extraits d’émissions détournées qui traitent de la nouvelle secte DAVA, des campagnes de publicité faites maison ou encore de fausses archives de la Seconde Guerre mondiale.

Ce n’est donc pas seulement l’absurde qui est au cœur de DAVA 9, mais aussi une forme d’humour grinçant qui se joue des limites de la bienséance. Les spectateurs se retrouvent souvent dans une position inconfortable, pris à partie par les questions piégeuses du duo ou mis face à leur propre gêne. Le public rit, hésite, se tend. Les deux complices savent jouer de cette tension comme d’un instrument bien rodé, installant un climat de flottement où rien n’est jamais vraiment sûr.

DAVA 9, de retour au Palais des Glaces le 16 octobre à 21h, est une invitation à prendre le contre-pied de tout, à revisiter notre rapport à l’actualité et à la communication.